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» César et Jupiter semblent, durant nos fêtes,
>> Se partager le monde, et régner tour à tour.

Le triumvir voulut connaître l'auteur de cette ingénieuse flatterie. Bathylle profita du silence de Virgile, et, s'emparant de ce léger succès, il en reçut la récompense. Pour confondre le plagiaire, Virgile fit placer au même endroit ce

vers accusateur :

Hos ego versiculos feci, tulit alter honores.

« J'ai fait ces vers, un imposteur,

» Sans le mérite en a l'honneur. >>

Il y ajouta le commencement du vers suivant, répété quatre fois :

Sic vos non vobis......

« Ainsi...... »

Bathylle, invité d'en achever le sens, ne put y parvenir, et Virgile alors se fit connaître, en le terminant de cette manière :

Sic vos non vobis nidificatis, aves;
Sic vos non vobis vellera fertis, oves;
Sic vos non vobis mellificatis, apes;
Sic vos non vobis fertis aratra, boves.

« Ainsi le jeune oiseau couve pour l'oiseleur,

» Ainsi pour le berger l'agneau porte sa laine,
>> Ainsi l'abeille en vain moissonne chaque fleur,

>> Ainsi pour le fermier le taureau fend la plaine. »

Bathylle devint la fable de Rome, et Virgile vit augmenter pour lui la faveur de la cour et l'estime de son maître. Il en avait besoin, et sut l'employer d'une manière aussi favorable à sa famille, que généreuse, mais inutile, pour les malheureux habitants du village qui l'avait vu naître.

Quand le sort des armes eut terminé la lutte courageuse des partisans de la république, la mort de Brutus et de Cas

sius semblait avoir mis fin à la guerre civile; mais elle n'avait effectivement cessé que dans les plaines de Philippe. On la vit renaître partout et sur tous les points de la république, après la victoire d'Antoine et d'Octave. Les vétérans qui la procurèrent aux triumvirs se livrèrent à une licence effrénée, et remplirent de vols et de brigandages tous les lieux où ils se répandirent. Il fallait supporter leurs excès, dans l'impossibilité de fournir aux récompenses illusoires qui, depuis longtemps, leur étaient promises. Antoine, sans s'occuper de leur tenir parole, n'avait songé qu'à se mettre en possession des riches provinces d'Orient, qu'il avait exigées dans le partage de l'empire; il s'était éloigné de l'Italie et de ses troubles. Lépide se livrait avec insouciance à une mollesse stupide; Octave restait seul pour apaiser la fermentation d'une soldatesque avide et impérieuse. Pressé par des cris séditieux, on le voyait un jour se décider à mettre les soldats en possession des terres qu'on leur avait donné le droit d'exiger; mais bientôt il se trouvait arrêté dans sa résolution par les intrigues de Lucius et de Fulvie, qui lui prêtaient la volonté d'accroître sa puissance en usurpant à lui seul le mérite de cette récompense. Ces deux personnages turbulents l'accusaient tour à tour d'un retard coupable et d'une précipitation calculée par son ambition. L'embarras d'Octave était extrême. Il ne se passait aucun jour sans que les soldats ne se portassent à des violences, et ne fissent quelques insultes à leurs officiers; enfin il reçut de l'armée une députation de centurions, qui le décida, par la nature de leurs remontrances, à l'accomplissement du traité fait avec les vétérans avant la dernière campagne.

Les biens confisqués sur tant de Romains ne suffisaient pas pour acquitter l'engagement des triumvirs. Octave s'empara des trésors de tous les temples de Rome et des environs; ce fut trop peu de ces dépouilles sacriléges, on y joignit la propriété des citoyens. Ce fut alors qu'une foule immense de familles, plus ou moins opulentes, et que les habitants de

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différentes provinces, furent, dans vingt-cinq grandes villes, et dans les villages voisins, expulsés de leurs demeures, chassés de leurs possessions, proscrits de leurs territoires, et forcés de tout céder à une troupe barbare de vieux soldats. Le frère d'Antoine, Lucius, qui avait d'abord exigé l'exécution de ces mesures cruelles, se déclara bientôt le protecteur des malheureux que l'on chassait de leur patrimoine, et se mit à la tête de ces hommes dépouillés, auxquels Octave était odieux. Les citoyens expulsés de leur demeures, se croyant soutenus par un chef aussi puissant, commencèrent par massacrer tous les vétérans, on les tuait, par les fenêtres, à coups de pierres, de flèches, et de mille débris dont s'emparait le désespoir. Octave autorisa ses soldats à se maintenir par la force; et, pour se venger, ils remplirent à leur tour les provinces de meurtres et d'incendies.

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Le bruit de ces calamités vint effrayer Virgile; il craignit d'en voir atteints son père et sa famille, et qu'ils ne fussent comme tant d'autres, chassés de leurs possessions à Andès. Il s'occupa de leur assurer une retraite, et la demanda, pour eux à son ami Scyron, en lui adressant de Rome, les vers suivants : AD VILLAM SCYRONIS.

Villula, quæ Scyronis eras, et pauper agelle,
Verùm illi domino, tu quoque divitiæ;

Me tibi, et hos unà mecum, et quos semper amavi,
Si quid de patriâ tristius audiero, '

Commendo, in primisque patrem ; tu nunc eris illi,
Mantua quod fuerat, quodque Cremona priùs.

« Petite ferme de Scyron,

>> Toi, dont le champ borné lui tient lieu de richesse,
>> D'un maître et d'un ami j'invoque le doux nom;

>> Garde un asile à ma tristesse !

>> Trop loin de mes foyers, je tremble chaque jour

» Je frémis du récit qui me fera connaître

>> Que ma famille aura fui sans retour

» Le toit chéri qui m'a vu naître ;

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>> Petite ferme.de mon maître,

>> Que ton enceinte alors et ton site écarté,
>> Que ton utile obscurité

» Dérobe aux yeux tout ce que j'aime :
» A mon père avant tout accorde sûreté;
» C'est te livrer plus que moi-même !

» Au milieu de ses biens, réduit à l'abandon,

>> Cache-lui tous les maux dont le sort l'environne;

» Si tu remplis mes vœux, domaine de Scyron,

>> Tu me seras plus cher que Mantoue et Crémone. »

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Les craintes de Virgile ne tardèrent pas à se réaliser. Un nombre infini de citadins et de cultivateurs, jeunes, vieillards, femmes, enfans, arrivèrent en foule à Rome, et remplirent le Forum et les temples, qu'ils faisaient retentir de leurs lamentations. Les habitans de Mantoue se trouvaient de ce nombre, sans autre motif que d'être voisins de Crémone, comme l'exprime ce vers de la neuvième Pastorale, Mantua væ misera nimiùm vicina Cremona ! et le vieux père de Virgile partageait leur malheur.

Si, dans une oppression générale, on peut remarquer une injustice partielle, on trouvera plus criante encore celle dont cette ville était particulièrement la victime. Crémone était une colonie gauloise, établie en Italie avant l'expédition d'Annibal: pendant la guerre longue et sanglante que les triumvirs avaient soutenue, dix-huit autres colonies avaient refusé les recrues et l'argent qu'on leur demandait, en exposant leur extrême pauvreté, et les habitants de Crémone et des environs avaient librement donné un double contingent de l'un et de l'autre. Virgile, en intercédant pour sa famille, essaya de faire valoir le zèle et le dévouement de ses compatriotes, et d'unir leur cause à la sienne. Il s'adressa vainement à Varus, à Mécène, à Gallus. L'entière exemption de son pays fut impossible. Il ne put obtenir que la restitution de son patrimoine; et dans la position embarrassante où la violence des soldats plaçait Octave, il ne fallait pas moins

que la bienveillance personnelle qu'il accordait à Virgile, pour le soustraire à une mesure commune; encore verra-t-on bientôt comment le triumvir était libre dans sa bienfaisance. Virgile lui présenta son père, et quitta Rome pour le reconduire à Mantoue, et jouir du bonheur de le rétablir lui-même dans sa modeste propriété. Ce fut pour témoigner sa reconnaissance à Cesar, que Virgile composa la touchante pastorale de Tityre. On y voit deux bergers, dont Fun gémit sur les malheurs du temps et la devastation apportée par les soldats au sein des campagnes de Mantoue, tandis que l'autre, heureux d'avoir conservé ses troupeaux, ses champs et sa tranquillité, promet d'honorer comme un dieu son puissant bienfaiteur.

Mais les transports et la joie de Virgile ne furent pas de longue durée. Dès qu'il se présenta pour remettre son père en possesion de son bien, il en fut violemment repoussé par l'usurpateur. Hæc mea sunt, lui dit-il, comme il le rapporte luimême, veteres migrate coloni.

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Et Virgile eût infailliblement péri sous les coups du centurion Arius, qu'il trouva dans la demeure paternelle, s'il ne se fût soustrait à sa fureur par la fuite, et en se précipitant à la nage dans le Mincio.

Triste et découragé par ce contre-temps inattendu, et par ce mépris des ordres d'Octave, Virgile revint à Rome et résolut d'y faire entendre de nouveau ses plaintes. Ce fut pendant ce voyage qu'il composa cette pastorale, qu'il a placée la neuvième; elle semble avoir été faite à la hâte, de plusieurs fragments réunis de différents poëmes et de quelques imitations de Théocrite. On y trouve cependant une suite de vers très-soignés et composés avec trop d'art pour n'être pas remarqués. C'est le morceau poétique où il conseille aux bergers de ne plus s'arrêter aux anciennes constellations qu'ils avaient

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