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d'aucune de ses réponses, et qu'au contraire, de quelque nature qu'elle fût, il ne sortirait pas de sa présence sans recevoir un témoignage de sa libéralité. Virgile alors se crut autorisé à jouer un rôle auquel il se voyait forcé par la circonstance. Ilse mit à contempler attentivement le visage du triumvir, et lui dit, en affectant la gravité la plus naturelle : « Il est aisé, » noble César, au philosophe comme au mathématicien, de » connaître la race des animaux ; mais celui qui prétendrait, » à la seule inspection, deviner celle des hommes, ne serait qu'un imposteur. En réfléchissant toutefois sur vos habitu» des, elles me suggèrent une opinion, bien hasardée sans doute, mais qui conviendrait à la profession que l'on pour» rait supposer à votre père. » César, piqué par une curiosité plus vive, le pressa de la satisfaire. «< Autant que mes conjec>>tures l'autorisent, lui dit enfin Virgile, j'oserais vous croire » le fils d'un boulanger. » Octave étonné cherchait en luimême comment une pareille origine pouvait être la sienne, et toujours frappé des sarcasmes d'Antoine, il crut ce propos analogue aux bruits injurieux qu'il avait répandus. Virgile continuant son discours, rendit son interprétation moins inquiétante. «< Voici, dit-il, ce qui fonde mon opinion: je me » suis permis tour à tour sur la race de vos chevaux et des chiens de vos équipages, des prédictions que le temps a jus» tifiées ; Octave, alors maître de Rome, ne m'a fait donner >> chaque fois, pour toute récompense, qu'un surcroît de rations de pain: n'est-ce pas ainsi qu'un boulanger dispenserait » ses faveurs? » Cette plaisanterie, dont plus d'un souverain aurait pu s'offenser, eut le bonheur de réussir auprès d'Octave, soit que ce fût de sa part une preuve de bon esprit, ou seulement parce qu'elle dissipa son inquiétude. « A l'avenir, » lui dit César avec bonté, tu reconnaîtras à mes dons qu'ils » ne sont pas ceux de l'artisan dont tu me fais descendre, » mais du magnanime héritier de César. » L'effet suivit la promesse dès ce moment il le combla de marques d'estime,

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pourvut à ses besoins, et le recommanda particulièrement à Pollion, lieutenant des provinces où se trouvaient les modestes possessions de sa famille.

Virgile, entouré des protecteurs que lui procura naturellement la faveur d'Octave, honoré de l'amitié de Mécène, de Varus, de Pollion et de Gallus, se trouva sans inquiétude du côté de la fortune, et se livra, plus que jamais, au commerce des Muses. Il abandonna le barreau malgré ses succès dans plusieurs causes, et s'occupa quelques temps de l'idée brillante et hardie de composer un poëme sur les guerres civiles de Rome; mais on a lieu de croire qu'après quelques essais, il recula devant la difficulté de concilier, avec une poésie harmonieuse, la rudesse et l'âpreté des vieux noms romains et de leurs alliés (1). Il pensa ce que Boileau disait de l'effroyable Woerden et de son horrible Wurtz:

Et qui peut sans frémir aborder Woerden?

Wurtz.... Ah! quel nom, grand roi, quel Hector que ce Wurtz!

C'est à ce projet de poëme que Virgile fait allusion dans les vers de sa sixième pastorale, où il prétend que, pour le détourner de son entreprise, Apollon le tira par l'oreille, et l'avertit de sa faiblesse :

Cùm canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit et admonuit.....

« J'ai voulu des héros célébrer les hauts faits;

>> Mais me tirant l'oreille et me parlant en maître:

>> Reprends, me dit Phébus, un ton simple et champêtre.

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Les beautés naturelles et la grâce des idylles de Théocrite firent encore plus d'impression sur Virgile que l'avertisse

(1) Il n'était pas facile en effet de placer heureusement en vers les noms de Piccarius-Scarpus, Decius Mus, Zygactes, Rhasq, Chizico Virbius-Caudex, Ranaquil, Tarcondimot, Al-Gand, ni même Hirtius-Pansa, etc. etc.

19 ment d'Apollon. Il eut la généreuse ambition de rivaliser avec le chantre de Sicile, et d'enrichir les lettres romaines d'un nouveau genre de poésie. Il reprit en effet celui de la pastorale. Différents essais de cette nature, anciennement publiés, et surtout deux idylles déjà couronnées d'un brillant succès, le confirmèrent dans cette résolution. Il est infiniment probable que la première de ces compositions fut le morceau plein de sentiment, de passion et de poésie, connu sous le nom d'Alexis. On présume qu'il avait paru l'an 709 de Rome, quelque temps avant l'assassinat de César, époque à laquelle le jeune Virgile avait vingt-cinq ans. On regarde comme la seconde, la dispute des deux bergers qui prennent Palémon pour juge.

Après ces deux pastorales, on place au troisième rang, dans l'ordre chronologique, l'admirable poëme intitulé Silène, et que l'on peut regarder comme un hymne sublime, quoi qu'en dise Fontenelle qui ose mettre au-dessus de ce chef-d'œuvre l'imitation bizarre qu'en a faite Némésien (1). On assure que cet admirable tableau de la philosophie d'Épicure, enrichi des plus aimables fictions de la mythologie, fut récité en public, au théâtre, par la célèbre comédienne Cythéris, qui se distinguait surtout par un organe enchanteur et par la justesse de sa déclamation.

Servius atteste que Cicéron, présent au récit de cet admirable poëme, et charmé d'y retrouver la doctrine et la poésie de Lucrèce, s'écria, dans son enthousiasme : : magno spes altera Roma, « second espoir de Rome l'immortelle ; » rapprochement aujourd'hui plus glorieux pour Lucrèce qu'il ne le fut alors pour Virgile. On aime à voir que ce grand poëte a consacré sa reconnaissance d'un éloge aussi flatteur dans le

(1) Il y représente le jeune Bacchus prenant plaisir à aplatir le nez déjà très-écrasé de Silène.

Et simas tenero collidit pollice nares.

12. chant de l'Énéide, en appliquant cette expression au jeune Ascagne.

Il paraît que Virgile, après l'audience dont il sortit comblé des bontés d'Octave, s'occupa de chercher un sujet qui pût entretenir la faveur dont il avait des preuves pour le moment et l'espérance pour l'avenir. Il saisit un fait historique, cité par Dion Cassius. Cet écrivain rapporte que, l'an de Rome 712, les triumvirs Antoine, Octave et Lépide, élevé rent dans le Forum un temple qu'ils consacrèrent à Jules César, qu'ils promenèrent solennellement sa statue et celle de Vénus dans le Cirque, qu'ils ordonnèrent que des prières seraient adressées au dictateur à la nouvelle de chaque victoire, et qu'ils lui décernèrent les honneurs divins. Cette apothéose fit naître à Virgile l'idée de sa cinquième pastorale. Il y met en scène deux bergers qui déplorent la fin prématurée de Daphnis, enlevé par une mort cruelle, crudeli funere. Les troupeaux partagent leur douleur et refusent leur nourriture; les bêtes sauvages gémissent de cette perte, les campagnes la pleurent; Apollon et Palès abandonnent les plaines, les nymphes versent des larmes autour de son corps, et Vénus ellemême se livre à des plaintes amères :

Cùm, complexa sui corpus miserabile nati,
Atque deos, atque astra vocat crudelia mater.

« Quand, auprès de son fils, une mère éperdue
>> Le couvrait de baisers, le serrait dans ses bras,
» Et reprochait aux dieux son barbare trépas. »

Cette mère, que représente Virgile, ne peut être que Vénus. Cette opinion s'appuie d'un passage des Métamorphoses d'Ovide, où l'on retrouve', au sujet de la mort de César, et les mêmes images et la même douleur de la déesse.

Tùm verò Cytherea manu percussit utrâque

Pectus et Æneaden molitur condere nube.

« Vénus à coups pressés outrage ses appas;

>> Elle veut, dans l'effroi d'un si cruel trépas,
» Envelopper César d'un nuage céleste. »

(ST.-ANGE.)

La seconde partie de cette pastorale est consacrée par le poëte à une scène de joie et de triomphe, qui contraste admirablement avec le ton lugubre du premier tableau.

On y voit Daphnis admis dans l'Olympe; le plaisir, une allégresse universelle, rendent à la terre sa parure et ses fleurs; les montagnes retentissent d'heureux concerts, les animaux sauvages perdent leur férocité, des autels s'élèvent, et le nouveau dieu reçoit des sacrifices solennels, comme ceux que l'on offre à Cérès et à Bacchus.

Octave, adopté par César, partageait avec lui les hommages rendus à sa mémoire, et le triumvir dut naturellement se charger de la reconnaissance du nouveau dieu.

A côté de ses productions achevées et de la poésie la plus brillante, Virgile, occupé de plaire à son protecteur, ne négligeait point de placer des vers de circonstances, et qui augmentent de prix par leur juste à-propos.

Un distique de cette nature fit naître une scène plaisante, qui servit d'autant mieux la gloire de son auteur, qu'elle naquit de sa modestie, et que l'événement fit applaudir à la douce vengeance qu'il tira d'un poëte médiocre, qui nous serait sans doute inconnu, sans l'audace de ses prétentions et de sa jalousie contre Virgile.

Pendant les fêtes qu'Octave donnait au peuple, autant par politique que par magnificence, et que l'intempérie du ciel contrariait fréquemment, ces deux vers parurent attachés à la porte de son palais :

Nocte pluit totâ, redeunt spectacula manè :
Divisum imperium cum Jove Cæsar habet.

« Les vents, la foudre, les tempêtes,
» Grondent la nuit, cessent le jour;

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