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Et comment une Muse, honorant son génie,
L'amena triomphant aux sommets d'Aonie.
Il paraît: son nom seul imprime le respect,
Et la cour d'Apollon se lève à son aspect.
Linus, dont mille fleurs composent la couronne,
Lui présente une lyre : « Apollon te la donne,

Dit-il, et cet hommage a l'aveu des neuf sœurs : » Hésiode autrefois l'obtint de leurs faveurs ; » Aux sons que sous ses doigts elle faisait entendre, » On a vu de ces monts les bois entiers descendre; >> Chante ceux de Grynée, objet de tes concerts, >> Ces bois au dieu du Pinde en deviendront plus chers. » Dois-je des deux Scylla dire ce qu'il raconte?

L'une du sang d'un père osant payer sa honte ;
L'autre, les flancs armés de monstres aboyants,
Dévorant les nochers sous des flots tournoyants,
Et fière, en s'acharnant sur les vaisseaux d'Ulysse.
Bientôt de Philomèle il décrit le supplice,

Et le récit muet qu'elle en fit à sa sœur ;
Le festin qu'à Térée apprêta leur fureur,
Ses cris, son épouvante, et comment devant elles
De son palais désert il s'enfuit sur des ailes.

Tous les chants qu'autrefois le puissant dieu du jour
Fit redire au laurier qui trompa son amour,
Silène les imite, et, fidèle interprète,
L'écho charme les cieux des concerts qu'il répète.
Mais les troupeaux comptés déjà quittent les champs,
Et la nuit, à regret, vient suspendre ses chants.

REMARQUES

SUR L'ÉGLOGUE SIXIÈME.

CETTE églogue est une des plus belles de Virgile; l'exposition en est simple et intéressante. Le poëte latin n'a mis nulle part plus de force et plus de verve dans l'expression, plus de vivacité dans les images, plus de rapidité, plus de variété dans les tournures, plus de flexibilité dans les transitions. Il embellit tout ce qu'il touche, il anime tout ce qu'il voit, il fait vivre tout ce qu'il peint.

(1) PAGE 168, VERS 2.

Nostra neque erubuit silvas habitare Thalia.

Notre Thalie n'a point rougi d'habiter les forêts. On pourrait s'étonner de voir un poëte bucolique invoquer la Muse de la comédie. Quelques auteurs anciens, comme Apollonius, veulent qu'elle ait inventé l'agriculture et la géométrie, et la font présider aux plantes et aux arbres. Cette opinion des anciens ne suffit point pour expliquer l'expression de Virgile. Le poëte dit que Thalie n'a point rougi d'habiter les forêts; mais si Thalie présidait aux arbres, elle n'avait point à rougir d'un pareil séjour. Il est plus naturel de penser que Thalie est prise ici pour la Muse de la comédie. La pastorale, telle que Virgile et Théocrite nous en ont laissé des modèles, est presque toujours une véritable scène. On y distingue une exposition, une action quelconque, un dénouement. Ici, c'est Silène endormi qui se réveille enchaîné dans des liens de fleurs; les bergers veulent entendre les chants qu'il leur a

promis depuis longtemps; il est contraint de céder à leurs vœux. Beaucoup d'anciennes comédies n'ont pas une action plus vive et plus intéressante. Celui qui le premier promena par les bourgs ses acteurs barbouillés de lie, n'offrit point aux spectateurs une intrigue plus variée et plus animée que celle de la troisième églogue. La comédie, née au milieu des vendanges, n'était réellement que la satire ou l'idylle mise en action.

Carmine qui tragico vilem certavit ob hircum;
Mox etiam agrestes satyros nudavit......

(HOR., Ars poet.)

On n'attacha point d'abord la même importance à la comédie qu'à la tragédie; de-là vient qu'elle se perfectionna plus tard. Epicharme et Chromis commencèrent à y mettre une action : tous deux étaient Siciliens. Ainsi la comédie est originaire de Sicile comme l'églogue. La comédie française commença aussi par la pastorale. Ce n'est donc pas sans raison que Virgile regarde ici Thalie comme sa Muse.

(2) PAGE 168, VERS 13.

Chromis et Mnasylus in antro

Iaccho.

Silenum pueri somno vidêre jacentem,
Inflatum hesterno venas, ut semper,
Serta procul tantùm capiti delapsa jacebant,
Et gravis attritâ pendebat cantharus ansâ.
Aggressi (nam sæpè senex spe carminis ambos
Luserat) injiciunt ipsis ex vincula sertis.
Addit se sociam, timidisque supervenit Ægle,
Ægle, naïadum pulcherrima; jamque videnti
Sanguineis frontem moris et tempora pingit.
Ille dolum ridens. . . . . .

Les personnages de ce drame pastoral sont adroitement mis en scène. Deux bergers ont surpris Silène endormi dans un antre. La belle Églé arrive; sa présence anime et varie le tableau. Rien n'est plus pittoresque que la peinture du satyre

endormi dans l'ivresse. Jacentem, à la fin du vers, est une expression heureuse; inflatum hesterno, peint à la fois les mœurs de Silène et le genre de sommeil dans lequel il est enseveli. Le vers suivant, serta procul, etc., composé de sons inégaux, nous montre tout le désordre qui règne autour du demi-dieu assoupi.

L'épithète gravis peint la première qualité de la coupe d'un buveur, qui doit être large et profonde. Le mot pendebat exprime heureusement l'abandon, la langueur de l'ivresse et du sommeil. Le mot attritá rappelle ces vers si connus de Lafontaine :

Baucis en égala les appuis chancelants,

Des débris d'un vieux vase, autre injure des ans.

Virgile, après avoir peint le repos du sommeil, termine cette peinture par un contraste ingénieux. Il oppose au tableau de Silène endormi, celui de deux bergers qui accourent pour accabler le dieu sous des liens de fleurs; pour achever ce contraste aimable, il fait arriver Églé, nymphe jeune et folâtre : addit se sociam, placé au commencement de la phrase, fait voir d'avance l'intention de la jeune nymphe qui ne demande que l'occasion de folâtrer, et qui a déjà pris part à l'espièglerie des bergers, avant même que d'être arrivée auprès d'eux. Églé anime ce groupe joyeux; c'est elle qui en fait le charme. Aussi le poëte semble-t-il se plaire à nous la montrer. Il se contente de désigner les bergers par leurs noms; quand il vient à Églé, il la nomme deux fois, et il la désigne comme la plus belle des naïades, Egle, naïadum pulcherrima. Le tour qu'elle joue à Silène en lui barbouillant le visage de mûres, suffit pour peindre l'enjouement d'une nymphe. Némésien, dans sa troisième églogue, représente Bacchus enfant sur les genoux de Silène. Le jeune dieu sourit au vieux satyre, arrache le poil hérissé de sa poitrine, promène des doigts légers sur ses oreilles aiguës, son menton court et son nez écrasé qu'il aplatit encore. Les traits de ce

179 tableau ne sont pas sans grâce, mais ils sont trop accumulés, et ils n'ont pas l'aimable simplicité de celui qui termine si heureusement le tableau de Virgile. Jamque videnti rend à la fois le réveil de Silène, l'impuissance où il est d'échapper, et l'audace d'Églé qui brave les regards du dieu. Ce dieu est au pouvoir des bergers et d'une nymphe; il n'a rien de mieux à faire que de rire du tour qu'on lui joue : ille dolum ridens; ces mots, qui font sourire le lecteur, caractérisent heureusement l'esprit enjoué du satyre et le badinage innocent des bergers.

(3) PAGE 170, VERS 9.

Simul incipit ipse.

Tùm verò in numerum faunosque ferasque videres
Ludere, tùm rigidas motare cacumina quercus :
Nec tantùm Phœbo gaudet Parnassia rupes,

Nec tantùm Rhodope miratur, et Ismarus Orphea.

Le dieu a commencé ses chants, incipit ipse. Tout à coup la scène change, et de grands prodiges frappent l'attention du lecteur. Les faunes et les animaux sauvages se réunissent, et semblent confondre leur enthousiasme et leur allégresse; les chênes agitent leur cime: toute la nature se réveille et s'anime à la voix de Silène. Tels sont les phénomènes qu'opérait la musique chez les anciens. Ces traditions deviennent plus fabuleuses à mesure qu'on vante davantage les progrès de l'art. L'idée de la musique se lie encore parmi nous à l'idée des enchantements; le théâtre que l'harmonie a choisi pour son sanctuaire, est encore le pays des miracles, mais ce n'est point la musique seule qui les fait.

Les vers par lesquels Virgile veut peindre la puissance de l'harmonie, sont eux-mêmes pleins d'une harmonie noble et imposante; ils sont comme l'ouverture d'un opéra magnifique: ils disposent les esprits à entendre les chants sublimes d'un die u.

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