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REMARQUES

SUR L'ÉGLOGUE QUATRIÈME.

PLUSIEURS

LUSIEURS critiques ont trouvé le ton de cette églogue trop élevé ; ils n'ont pas fait attention que c'est le poëte qui parle lui-même, et qu'il a dû prendre un ton convenable à son sujet. Les bergers, dans leurs chansons, doivent avoir un langage simple et naïf; mais il faut croire que le poëte peut, sans manquer aux règles, se montrer quelquefois au-dessus des bergers qu'il met en scène. Avant Virgile, Théocrite s'était élevé au ton de l'ode et de l'épopée, pour célébrer la gloire de Ptolomée et d'Hiéron.

Le poëte latin pourrait répondre à ses critiques ce que Corydon dit à Alexis, dans la seconde églogue, habitárunt di quoque silvas. Les Muses sont nées dans les champs, et les premiers poëtes furent des bergers. Au temps d'Homère, il existait peu de grandes villes; la gloire d'Achille fut sans doute célébrée dans quelque cabane rustique; les anciens poëtes ont tous été inspirés par le spectacle de la nature: Apollon gardait alors les troupeaux, et la lyre d'Orphée enchantait les forêts.

Au milieu du soin des troupeaux, et dans la simplicité de la vie rustique, il nous semble que l'esprit humain peut s'élever aux conceptions et aux idées les plus sublimes. Les merveilles de la création, les bienfaits d'un Dieu ne doivent-ils pas frapper sans cesse ceux qui habitent les champs et les prairies? Refusera-t-on à la Muse bucolique le droit de s'élever à la hauteur d'un pareil sujet? Quel peuple conserva mieux les mœurs pastorales que les Hébreux, et quels poëtes parlent un langage plus élevé que les prophètes? Le père Rapin, qui est

un de ceux qui ont ôté à la poésie pastorale le droit de traiter les plus grands sujets, a lui-même mis en églogues ce que notre religion a de plus relevé.

La simplicité qu'on exige dans les poésies bucoliques, doit s'entendre surtout de la simplicité des mœurs et des maniè– res; les Muses champêtres ne doivent point prendre leurs modèles dans les cours; mais cette simplicité n'exclut point l'enthousiasme poétique. L'enthousiasme naît du sentiment, et le sentiment est bien moins étranger aux mœurs des bergeries qu'à celles des cités.

(1) PAGE 126, vers 4.

Ultima Cumai venit jam carminis ætas
Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo :
Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna;
Jam nova progenies cœlo demittitur alto.

Après une courte invocation, le poëte entre sur le champ en matière; il parle comme un homme dont les Muses ont exaucé la prière; déjà il est animé d'un délire prophétique ; rien n'est plus certain que ce qu'il va annoncer aux hommes; on partage son enthousiasme : le véritable enthousiasme est celui qui se communique.

J.-B. Rousseau a pris dans cette églogue l'idée de sa belle ode sur la naissance du duc de Bretagne. Il à imité ainsi les vers latins que nous venons de citer.

Les temps prédits par la Sibylle

A leur terme sont parvenus:
Nous touchons au règne tranquille
Du vieux Saturné et de Janus.
Voici la saison désirée,

Où Saturne et sa sœur Astrée,
Rétablissant leurs saints autels,
Vont ramener ces jours insignes
Où nos vertus nous rendaient dignes
Du commerce des immortels.

Cette strophe ne rend que deux vers du poëte latin, les deux autres sont rendus dans la strophe suivante :

Un nouveau monde vient d'éclore;
L'univers se reforme encore

Dans les abîmes du chaos;
Et, pour réparer ses ruines,

Je vois, des demeures divines,
Descendre un peuple de héros.

Ces vers, et surtout les derniers, ont l'éclat et la pompe des vers de Virgile; mais le poëte français a été obligé de sacrifier le mérite de la précision, au nombre du style, qui est une des conditions du genre lyrique. Rousseau a rendu plus littéra– lement le même passage dans son églogue intitulée Elise.

(2) PAGE 126, vers 8.

Tu modò nascenti puero, quo ferrea primùm
Desinet, ac toto surget gens aurea mundo,
Casta, fave, Lucina: tuus jam regnat Apollo.

Virgile ne parle de l'auguste enfant qui vient de naître qu'après avoir imprimé un caractère sacré à sa naissance. Le ciel et la terre sont déjà intéressés à sa destinée; le poëte s'adresse à Lucine, avec une confiance proportionnée à la justice de sa demande; la prière qu'il lui fait est comme un avertissement qu'il lui donne, au nom des hommes et des dieux, au nom de son propre intérêt et de sa propre gloire. Aussi s'exprime-t-il en peu de mots, bien persuadé d'être écouté,

La sibylle de Cumes avait annoncé qu'il naîtrait un roi qui régnerait sur le monde; les courtisans d'Auguste n'avaient pas négligé cette prophétie, et ils en firent plusieurs fois l'application à l'empereur, pour l'engager à prendre le nom de roi; Auguste pensa que le titre de roi n'ajouterait rien à sa puissance; il n'écouta point ses courtisans, et se contenta du titre d'empereur, qui est devenu le premier de tous.

Virgile fait l'application de cette prophétie au jeune Marcellus, neveu d'Auguste, et héritier présomptif de l'empire; l'application est plus naturelle et plus heureuse.

Quelques commentateurs ont pensé que le poëte latin avait annoncé la venue de Jésus-Christ; cette opinion est sans fondement: il est vrai cependant de dire que les vers de Virgile ont quelques rapports avec les prophéties; et voici comment on peut expliquer cette ressemblance. Le chantre de Marcellus n'a fait que mettre en beaux vers les oracles de la Sibylle, et ces oracles n'étaient autre chose que des traditions venues de la Judée, et recueillies chez les Romains, qui admettaient aisément les opinions religieuses des autres peuples. Pour donner quelque vraisemblance à cette explication, il nous suffira de citer quelques passages d'Isaïe, et de les comparer avec les vers de cette églogue. « Un petit enfant nous est né, dit » le prophète, et un fils nous a été donné ; il sera appelé l'ad>> mirable, le conseil, le dieu fort, le prince du siècle futur, » le prince de la paix. » Nous citerons d'autres passages dans les remarques suivantes.

(3) PAGE 126, VERS 15.

Ille deûm vitam accipiet, divisque videbit
Permixtos heroas, et ipse videbitur illis ;
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem.

Ces vers sont du style de l'épopée; Voltaire pensait qu'ils n'auraient pas été déplacés dans le sixième livre de l'Énéide; le troisième surtout est de la plus grande beauté.

(4) PAGE 128, VERS 1.

At tibi prima, puer, nullo munuscula cultu,
Errantes hederas passim cum baccare tellus
Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.
Ipsæ lacte domum referent distenta capella
Ubera;
nec magnos metuent armenta leones :
Ipsa tibi blandos fundent cunabula flores :

Occidet et serpens, et fallax herba veneni

Occidet......

Après s'être élevé au ton de l'épopée, le poëte revient à ce que les bergeries ont de plus gracieux; il descend au ton aimable et naïf de l'enfance. Tels sont les priviléges de la Muse pastorale.

Le diminutif munuscula, est plein de délicatesse; le verbe. fundet, exprime bien l'heureuse fécondité de la terre; elle ne produit pas les fleurs, elle les verse à profusion; les lierres se répandent çà et là, errantes passim; les plantes et les fleurs sont formées en bouquets, en guirlandes, mixta ridenti. Les poëtes latins ne donnent pas l'épithète de ridenti à l'acanthe'; mais l'image est juste autant que gracieuse en cette occasion: le poëte représente une époque merveilleuse; on croit voir la nature sourire à l'enfance, et l'auguste enfant, en ouvrant les yeux à la lumière, se joue déjà au milieu des groupes riants de Flore; son berceau, si bien peint par cet autre diminutif, cunabula, semble rendre à la terre la parure qu'il en reçoit ; il produit à son tour des fleurs, présage charmant des bienfaits que le monde attend de l'enfant qui vient de naître.

Mais ce n'est point assez de ce bonheur; il faut que le monde puisse en jouir paisiblement : le poëte a soin d'éloigner tous les sujets d'alarmes; les troupeaux ne craindront plus les lions, le serpent mourra, l'herbe vénéneuse mourra. La répétition du verbe occidet, montre l'assurance avec laquelle parle le poëte, et cette assurance passe dans l'esprit de son lecteur. On trouve dans ces images de Virgile quelque chose qui tient de l'enchantement.

Les images qu'emploie le prophète ont cependant plus de rapidité et plus d'énergie. « Le désert et le lieu aride, s'écrie

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Isaïe, se réjouiront; le lieu solitaire s'égaiera, et fleurira » comme une rose..... la gloire du Liban viendra vers toi; >> le sapin, l'orme et le bouis viendront ensemble pour rendre » honorable le lieu de ton sanctuaire. » Dans un autre pas

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