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bas, et que l'on a conservés comme adressés à Scyron son ancien maître, par son élève.

Virgile, qu'attirait à Rome l'éclatante renommée de Jules César, ne jouit que peu d'instants du grand spectacle qu'il y cherchait. Il fut bientôt témoin de l'assassinat d'un grand homme, et des affreux désastres qui le suivirent. Tous les partis, comme ceux qui n'en suivaient aucun, n'éprouvèrent d'abord qu'un même sentiment, et ce fut celui de la terreur. Les meurtriers se réfugièrent au Capitole. Les membres du sénat s'étouffèrent aux portes en prenant la fuite; Antoine s'échappa de sa demeure sous les habits d'un esclave; chaque maison fut barricadée; et, plus tard, quand Octave, instruit de l'événement, eut quitté l'Illyrie pour se rendre à Rome, il n'osa débarquer à Brindes, et prit terre en secret dans un golfe ignoré de la Calabre. Chacun s'étonnait de ne pas être poursuivi par un pouvoir dominateur; ce qui fit dire à Cicéron, que les conjurés avaient projeté en enfants ce qu'ils exécu— tèrent en hommes.

Antoine fut le premier qui jugea la situation des esprits ; il reparut avec autorité, retrouva son caractère, et ce fut lui qui rassura Brutus. Le succès de cette audace en augmenta l'énergie. On voulut des funérailles publiques pour César; elles furent ordonnées. Antoine s'empara de la tribune, fit placer auprès les restes du dictateur, et dans les mêmes. lieux où, par un même moyen, le cadavre de Lucrèce avait été le signal de la liberté ; le cadavre de César devint le signal des plus grands troubles et de la plus terrible oppression. La maîtresse du monde resta la proie d'une foule de chefs qui voulaient tous y commander. Chacun, pour y parvenir, ventait les moyens les plus révoltants. L'un abolissait les dettes et se faisait des partisans de tous les débauchés, des prodigues et des indigents; l'autre, pour dépouiller ses ennemis ou les perdre, se créait un tribunal de centurions étrangers, et faisait juger à volonté les Romains par des Gaulois, des

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Achéens et des Crétois. Rome alors devint l'habitacle de tous les crimes; elle fut l'arène où combattirent toutes les passions les plus affreuses, et où se réunirent, dans leurs fureurs, les intérêts les plus opposés. On vit le neveu de Jules, son héritier, son fils adoptif, courtiser Brutus, servir sa cause, le combattre, et commander ensuite qu'on jetât sa tête au pied de la statue de César. On vit Antoine, au lieu d'unir sa vengeance à celle d'Octave, le repousser par avarice, le poursuivre par des satires injurieuses, l'accuser d'assassinat, et se joindre à lui, par les soins de Lépide, pour se baigner tous trois dans le sang le plus précieux. Les murs de Rome furent couverts de proclamations horribles et de proclamations généreuses : les unes promettaient de l'or au dénonciateur d'un proscrit; les autres, au nom chéri du jeune Pompée, promettaient une double récompense à tout protecteur d'un citoyen. C'est en vain que le plus noble courage voulut désintéresser la barbarie; l'ingratitude s'unit à la férocité. Nul obstacle ne doit arrêter les triumvirs dans leurs projets de meurtre; et, pour se le prouver l'un à l'autre, ils s'enchaînent par le plus cruel échange de victimes: Lépide sacrifie son frère; Antoine son oncle; Octave, son tuteur, et, pour comble d'horreur, il accorde la mort de Cicéron, que depuis deux ans il appelait son père.

De si terribles événements devaient hâter pour Virgile les leçons de l'expérience, et lui commander la circonspection; mais elle n'arrive qu'avec l'âge. L'admiration et la reconnaissance parlèrent seules à son âme en faveur de Cicéron. Ce fut alors que Virgile publia cette pastorale intitulée le Moucheron, allégorie touchante qu'il offrit aux mânes du plus vertueux et du plus éloquent des Romains, et par laquelle il semblait inviter Octave à élever au moins un monument à ce grand orateur, dont il avait tant de fois imploré les conseils et tant de fois obtenu l'appui.

Virgile, dans ce petit poëme, représente un berger que

le sommeil a surpris au bord d'un marais. Il est réveillé par l'aiguillon d'un insecte qu'il écrase dans un premier mouvement. Il reconnaît alors que, sans le service du moucheron, il aurait péri de la piqûre d'un serpent qu'il aperçoit à ses côtés; il le tue, et dans ses justes regrets de la mort involontaire de son protecteur, il se fait un devoir de lui élever un tombeau.

On a prétendu que cette pièce n'était pas de Virgile, parce que son style n'a pas le charme de celui de ses autres pastorales. Mais quel auteur a paru toujours égal, et n'a pas montré quelque faiblesse dans le début de son jeune âge, et même dans les productions de sa vieillesse ? Le sublime chantre d'Enée a donc pu, d'après la loi commune, s'annoncer comme le dit Martial, par un ouvrage d'une poésie même un peu rude:

Protinus Italiam concepit, et arma virumque,

Qui modò vix Culicem fleverat ore rudi.

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Le talent poétique de Virgile n'a pas besoin d'une preuve de plus; mais on a trop de satisfaction à retrouver un témoignage honorable de sa reconnaissance et de son courage, pour chercher à le contester. C'est à ceux qui élèveront quelque doute à ce sujet, que l'on pourra présenter encore l'autorité de Martial. On osera leur dire avec ce poëte: « Récevez » avec affection, parmi les ouvrages de Virgile, son intéressant

» Moucheron. »

Accipe facundi Culicem, studiose, Maronis.

Cette pièce eut heureusement le sort de tous les premiers ouvrages d'un jeune poëte; elle fut sans doute ignorée d'Octave, et ne fit pas grande sensation dans Rome. Perdu dans cette ville immense, Virgile n'avait que de faibles secours à espérer des Muses. Les ressources du barreau qu'il suivait, n'existaient plus à cette époque funeste où il n'y avait de lois que celles de la violence et de la force. Il paraît que Virgile, encore

jeune, entraîné par les désordres de Rome, et recherchant les plaisirs de son âge, qui, suivant sa propre expression, acri gaudet equo,« se plait à l'exercice violent du cheval, » trouva le moyen de se lier avec le chef des équipages d'Octave ; et que, pour mieux satisfaire ses goûts, il prit du service dans cette partie de la maison du triumvir. Ce fut alors que les Crotoniates ayant fait hommage à César d'un jeune poulain de la plus grande beauté, Virgile annonça que l'espérance de force et de légèreté qu'il donnait serait trompeuse. Sa prédiction s'étant réalisée, on augmenta son traitement, au nom du triumvir, d'une double ration de pain. Le même genre de récompense lui fut accordé de nouveau, pour avoir prévu la vitesse que l'on reconnut dans la suite à des chiens d'Espagne nouvellement arrivés de ce pays, et offerts comme un présent rare à Octave. De pareilles décisions, ce léger succès dans des objets de si peu d'importance, firent plus de bruit que les vers déjà publiés du jeune poëte, et acquirent une sorte de réputation à Virgile. Ce n'est pas la seule fois que d'heureux effets naquirent de petites causes; et cette histoire n'a rien de plus étonnant que celle des piesgrièches qui firent la haute fortune du jeune Cadenet, sous Louis XIII.

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M. de Voltaire, cependant, s'indigne de ce récit, qu'il traite de fable injurieuse, quoiqu'il soit répété par le plus grand nombre des historiens de Virgile. « Je ne sais par quelle » fatalité, dit-il, la mémoire des grands hommes est presque toujours déshonorée par des contes insipides. » A l'en croire, on insulte Virgile; on ose en faire une espèce de maquignen; comme si le vénérable Homère n'avait pas été mendiant Démosthènes forgeron, et qu'Abdalonyme n'eût pas été jardinier avant d'être fait roi de Sidon par Alexandre ! C'est assurément une grande autorité que celle de M. de Voltaire; mais il semble qu'il devait, plus que personne, n'attacher de prix qu'au mérite personnel, et qu'en faisant de pareils re

proches, l'auteur du commentaire sur Corneille, pouvait leur trouver une réponse satisfaisante dans ces beaux vers qu'il ne devait pas oublier :

Un pur hasard sans nous règle notre naissance;
Mais comme le mérite est en notre puissance,
La honte du destin qu'on voit mal assorti,

Fait d'autant plus d'honneur quand on en est sorti.

(CORNEILLE.)

Quoi qu'il en soit, il paraît qu'Octave, convaincu de la science de Virgile sur la race des animaux, s'imagina qu'il pouvait avoir d'égales notions sur l'origine des hommes. Cette opinion doit peu surprendre, en reconnaissant que les Romains étaient le plus ignorant de tous les peuples sur ce qui concerne les causes naturelles. Le jeune poëte fut donc jugé digne d'être présenté au maître de Rome comme un physi→ cien très-habile.

Octave avait la faiblesse de ne pouvoir oublier les satires et les lettres injurieuses d'Antoine, dans lesquelles il lui avait reproché la bassesse de son origine, faisant entrer, à ce que dit Suétone, un cordier, un copiste et un boulanger dans la liste de ses ancêtres. Ce fut dans l'espérance d'élaircir ses doutes qu'il fit appeler Virgile, et lui demanda s'il savait qui il était, et quelle puissance il avait pour assurer le bonheur des hommes? « Je sais lui dit Virgile, que tu es César, et que >> ta puissance égale celle des dieux immortels. Je te veux » du bien, lui dit le triumvir, et si tu m'éclaires sur la vé» rité que je veux connaître, je prendrai soin de ta fortune.» Virgile protesta de sa soumission. « Les uns pensent, reprit

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César, que je suis fils d'Octave, les autres publient qu'un » autre père m'a donné le jour : éclaircis mes doutes. » Virgile, étonné par le sérieux d'une question si positive et si bizarre, répondit en souriant: « Je dirai franchement ce que » je pense, mais je souhaiterais que la permission m'en fût » accordée, » César l'assura par serment qu'il ne s'offenserait

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