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ingénieuses que celles qu'ils ont imaginées, je leur ai entendu dire que toutes ces découvertes, faites dans le cabinet, souffroient de grandes difficultés sur les lieux. Cependant, malgré ces observations, malgré le ridicule de l'agromanie, il faut convenir que l'agriculture ne peut que gagner aux travaux des savants: par leur secours, elle sortira insensiblement des sentiers étroits que lui a tracés la routine, et des ténèbres où la retient un instinct aveugle.

On ne s'est pas contenté de chercher des méthodes nouvelles, on a voulu connoître celles des anciens. On sait combien l'agriculture étoit florissante et honorée parmi eux. Pour ne parler que des Romains, avec quel plaisir lisons-nous dans leur histoire les noms des consuls et des dictateurs qu'on alloit prendre à la charrue, et qui, comme dit Pline, du Capitole où ils étoient montés triomphants, retournoient dans leurs terres enorgueillies de se voir cultivées par leurs mains victorieuses!

de

L'agriculture a exercé non seulement les plus grands héros, mais encore les plus grands écrivains de l'antiquité. Parmi les Grecs, Hésiode, qui vivoit un siècle après la guerre Troie, a écrit un poëme sur l'agriculture: Démocrite, Xénophon, Aristote, Théophraste, en ont traité en prose. Parmi les Romains, Ca

ton,

le fameux censeur, a composé un ouvrage sur l'économie rurale, et a été imité par le savant Varron. Caton écrit comme un vieux cultivateur plein d'expérience: ses ouvrages abondent en sentences; il entremêle aux leçons d'agriculture des préceptes de morale. Varron montre dans ses écrits plus de théorie que de pratique ; il se livre à des recherches sur l'antiquité, remonte à l'étymologie des mots, et nous lui devons un catalogue de ceux qui ont écrit avant lui sur l'agriculture. L'ouvrage de Columelle est le plus considérable que les anciens nous aient laissé sur ce sujet. Plusieurs souverains ont aussi honoré l'agriculture, en composant des traités sur cette matière. Si les rois sont dispensés aujourd'hui d'écrire sur cet art, ils ne le sont pas de le protéger.

Mais, parmi ces écrivains, Virgile tient sans contredit le premier rang, même indépendamment de la beauté du style. Lui-même cultiva ses terres près de Mantoue jusqu'à l'âge de vingt ans. Ce fut alors qu'il parut à Rome pour la première fois, et qu'il fut admis à la faveur d'Auguste. La longue durée des guerres civiles avoit presque dépeuplé les campagnes, et Rome même l'étoit au point qu'Auguste se vit menacé de ne régner que sur des déserts et des tombeaux. Une grande partie des terres de

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l'Italie avoit été partagée entre les soldats, qui s'étoient occupés trop long-temps à les ravager, pour avoir appris à les cultiver. Il falloit donc ranimer parmi les Romains leur premier amour et leur premier talent pour l'agriculture. Mécène, qui mettoit toute sa gloire à augmenter celle de son maître et de son ami, engagea Virgile à se charger de cette entreprise. On voit combien les arts, dans les anciens gouvernements, influoient sur la politique. Réduits chez les peuples modernes à distraire l'oisiveté des riches, à exercer la critique des prétendus connoisseurs, à exciter l'envie des artistes, à faire de bas protégés et d'insolents protecteurs, ils étoient chez les anciens un ressort utile, qui remuoit puissamment les esprits de la multitude; et les orateurs et les poëtes furent en quelque sorte les premiers législateurs.

Virgile employa sept ans à la composition de cet ouvrage. On y reconnoît par-tout le dessein dans lequel il l'avoit composé, et les vues de Mécène: mais on le reconnoît sur-tout dans ses plaintes touchantes sur la décadence de l'agriculture, qu'on lit à la fin du premier livre; encore plus dans ce bel éloge de la vie champêtre qui termine le second; et dans lequel Virgile semble avoir réuni toute la force et

toutes les graces de la poésie, pour rappeler les Romains à leur ancien amour de l'agriculture. Virgile fut le premier, parmi les Romains, qui introduisit trois genres de poésie empruntés de trois fameux poëtes grecs, Théocrite, Hésiode, et Homère. Théocrite et Homère lui ont toujours disputé la palme, l'un dans le poëme pastoral, et l'autre dans le poëme épique; mais il a laissé Hésiode bien loin derrière lui dans le poëme géorgique. Hésiode étoit plus agriculteur que poëte; il songe toujours à instruire, et rarement à plaire; jamais une digression agréable ne rompt chez lui la continuité et l'ennui des préceptes. Cette manière de décrire chaque mois l'un après l'autre, a quelque chose de trop uniforme et de trop simple, et donne à son ouvrage l'air d'un almanach en vers. On retrouve, il est vrai, la nature dans sa poésie; mais ce n'est pas toujours la belle nature. Il n'est pas plus judicieux dans ses préceptes, qui souvent sont entassés sans choix, chargés de détails minutieux, et revêtus d'images puériles. Après tout, il faut regarder son ouvrage comme la première esquisse du poëme géorgique : l'antiquité de ce monument nous offre quelque chose de vénérable. Mais si nous voulons voir cette esquisse s'agrandir, les figures devenir plus correctes, les couleurs

essayer

plus brillantes, et le tableau parfait, il faut l'attendre de la main d'un plus grand maître. Tel est le poëme de Virgile. Je crois devoir ici de détruire quelques préjugés que j'ai trouvés répandus à ce sujet, même parmi un certain nombre de gens de lettres et de personnes éclairées. A quoi bon, m'a-t-on dit, traduire un ouvrage plein d'erreurs, écrit sans méthode, et dont le fond est peu intéressant?

1° Je crois que ceux qui regardent les Géorgiques comme un ouvrage rempli d'erreurs, en jugent moins d'après une connoissance exacte de ce poëme, que d'après sa qualité de poëme et son antiquité.

On s'imagine d'abord qu'un poëte, même dans une matière sérieuse, songe plus à plaire qu'à instruire, et sacrifie souvent une vérité ennuyeuse à une erreur agréable. Je crois Virgile absous de cette accusation, par le respect avec lequel tous ceux qui, parmi les Romains, ont écrit après lui sur l'agriculture, parlent de ses ouvrages. Pline le naturaliste s'appuie souvent sur son autorité. Un pareil suffrage est assurément très décisif en faveur de Virgile. Si quelqu'un de nos premiers poëtes avoit écrit sur l'histoire naturelle, de quel poids ne seroit pas pour lui l'avantage d'être cité par M. de Buffon! Il est vrai que Virgile n'est point

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