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CONTE.

1802.

LETTRE

DE M. L'ABBÉ MAUDUIT

A L'ÉDITEUR.

Bergerac, le premier juin, l'an de grâce 1802.

Vous habitez toujours la capitale, mon cher ami; veuillez y publier, je vous prie, un conte dévot que j'ai composé pour réjouir les fidèles, et convertir les philosophes. Nous n'avons pas un bon imprimeur à Bergerac; il s'en faut bien d'ailleurs qu'il y ait autant de philosophes qu'à Paris. J'avais quelque droit à m'exercer dans le genre des

pieuses narrations: vous n'avez pas oublié que je

descends en ligne directe de l'abbé de Choisy, célèbre par ses histoires édifiantes, et par l'habitude moins édifiante de s'habiller en femme. On

prétend que ce vêtement peu sacerdotal le brouilla avec les jésuites: calomnie pure, et calomnie maladroite. Les jésuites n'étaient pas dupes; ils se méfiaient des apparences, et ne jugeaient pas des hommes sur l'habit.

Cette prétendue brouillerie est si fausse que l'abbé de Choisy, sous-ambassadeur, fit un long voyage avec les jésuites, pour aller convertir le roi de Siam, au nom de Louis XIV. Il a écrit le journal de ce voyage. Il y rend justice, non-seu

lement au zèle ardent de M. Basset et de M. Vachet, missionnaires, mais encore à l'éloquence du P. Lecomte et à l'esprit du P. Gerbillon, tous les deux jésuites. Il pardonna même au P. Gerbillon de lui avoir gagné une partie d'échecs. Le roi de Siam ne se convertit pas; mais il chargea l'abbé de Choisy, qui repartait pour l'Europe, de faire ses complimens au pape et au cardinal de Bouillon. Malheureusement le cardinal de Bouillon, qui n'était pas disgracié à la cour de Siam, l'était alors à celle de Versailles; et le roi de Siam, qui n'en savait rien, jouait un tour cruel au sous-ambassadeur. Quelques jours avant de se rembarquer, l'abbé, ne sachant que faire à Siam, songea qu'ayant possédé toute sa vie de riches bénéfices il ne ferait peut être pas mal de recevoir les ordres sacrés. Il avait alors quarante-deux ans. Il reçut les quatre mineurs le 7 décembre au

matin; il se dépêcha de recevoir les trois majeurs, et n'eut pas plus tôt le bonheur d'être prêtre, qu'il voulut se donner le plaisir de dire la messe, et même de prêcher. Il prêcha donc en pleine mer, comme il eût prêché pour son ami l'abbé de Dangeau, en beau français académique, à la grande satisfaction des matelots, qui n'entendaient que le bas-breton.

Votre amitié voudra bien excuser tous ces détails: on aime à parler de ses ancêtres. Je n'ajoute qu'un mot sur l'abbé de Choisy. Ce fut avant, après, ou durant son voyage à Siam, qu'il écrivit ses histoires édifiantes. Il n'aurait tenu qu'à lui de les appeler contes; car elles ne sont appuyées d'aucune autorité, d'aucun témoignage historique. Il n'en est pas ainsi du conte dévot que je vous envoie : j'aurais eu le droit de l'appeler histoire. Il est connu sous le nom des Gabs 1, vieux mot français qui veut dire gageures; on le trouvera dans les aventures authentiques de Guérin de Montglave et de Galien le restauré. Bernard de la Monnaie, dans la troisième partie du Ménagiana, raconte ces miracles, en les gâtant un peu.

1. Voyez ce que Chénier dit au sujet du mot Gabs dans sa Leçon sur les romans français, depuis le règne de Louis VII jusqu'au règne de François Ier, tom. IV, OEuvres anciennes.

OEuvres anciennes. III.

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Au reste, les jurés éplucheurs, nommés censeurs royaux, malgré leur rigueur janséniste pour le Ménagiana, laissèrent passer l'anecdote. Il s'agissait de miracles aussi bien attestés que ceux du diacre Pâris. On n'a pas été plus sévère pour Tressan qui les a rapportés depuis dans les extraits de nos anciens romans. J'ai suivi le récit original, en l'ornant avec discrétion, sachant le respect qu'on doit aux textes sacrés.

Dans mon religieux préambule, j'ai fait commémoration de trois de nos patrons les plus signalés: M. l'abbé Geoffroi, François-Auguste de Châteaubriant, et madame de Genlis. Je n'ai point parlé de plusieurs autres: c'est peut-être un injuste oubli; mais vous savez qu'on ne peut pas tout dire.

Pour M. l'abbé Geoffroi, je vous prie de lui recommander et l'auteur et l'ouvrage. Mais ne vous y trompez pas: s'il en dit du bien, je suis infailliblement sauvé dans l'autre monde, mais je suis perdu dans celui-ci. Qu'il déchire l'ouvrage et l'auteur, il rend mon succès infaillible; et, de cette manière, son avis est d'un grand poids. Ce que je vous écris est confidentiel; quant à moi, je ne partage pas sur ce point l'opinion générale. J'ai foi complète en ce digne homme je lis tous les matins son feuilleton; et tous les matins, après cette lecture, je dis avec le grand saint Augustin:

JE CROIS PARCE QUE CELA EST ABSUrde.

Vous voyez

que je me souviens des Pères de l'église. J'aime à voir avec quelles injures édifiantes, avec quelle sainte brutalité, l'intrépide Geoffroi combat chaque jour la damnée philosophie du dix-huitième siècle. Sans doute il est payé, comme cela est juste, en raison de l'absurdité. Il doit posséder une grande fortune: s'il n'est pas millionnaire, il est volé.

Dites à François-Auguste de Châteaubriant que, dans mes fonctions sacerdotales, je ne cesse de le recommander au GRAND CELIBATAIRE. Dieu est le mot de cette énigme. Si elle eût été proposée à Thèbes, OEdipe, au lieu d'épouser sa mère, aurait été mangé par le Sphinx. En général, la langue de Châteaubriant n'est qu'à lui; et même, en dépit de Condillac, il a créé une nouvelle logique. Elle sera long-tems nouvelle. J'ai lu avec transport, ou pour mieux dire, dans une continuelle extase, sa brochure en cinq volumes seulement, sur les beautés poétiques du christianisme. Je prépare moi-même deux petits in-folio sur les beautés musicales de notre sainte religion. Cette idée m'est venue lorsque j'ai entendu le son tant regretté des cloches du pays. A propos de cloches, il existe deux partis dans Bergerac. Ne vous effrayez pas: il s'agit d'une question fort innocente. La voici Lequel fait le plus de bruit le gros

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