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De ces gens, toutefois, qu'on aime avec tendresse...

A.

Ah!...

B.

Pour leur cuisinier, ou bien pour leur maîtresse. Certes! vous aviez là deux meubles excellens, Qui tiennent lieu d'esprit, de savoir, de talens. Gardez-les bien.

A.

Tenez, je permets que l'on rie; Mais trêve, en ce moment, à la plaisanterie. Mille gens aujourd'hui, que j'aime et que je croi, M'ont dit que dès long-temps on a les yeux sur moi, Que partout dans le monde on vante mes lumières.

B.

Ces discours sont bien doux; ils vous semblent sincères.
Telle est l'humaine espèce; et jamais un flatteur
N'eut à nos yeux déçus les traits d'un imposteur.
Moi, qu'aucune raison n'engage à vous séduire,
De ce qu'on dit de vous je veux bien vous instruire.
Vos amis, je le crois, ont pu mieux vous juger;
Très-souvent le public est injuste et léger:
Marmontel s'en plaignit quand naguère au théâtre
Le sifflet se souvint encor de Cléopâtre 1.

1. Cléopátre, tragédie de M. Marmontel, fut jouée et sifflée pour la première fois en 1750. L'auteur l'a fait remettre au théâtre en 1784; et le publie l'a encore sifflée.

Mais, enfin, ce public veut être respecté;
Il condamne, il absout, de pleine autorité;
C'est à lui qu'il faut plaire; et ce juge suprême
Peut seul casser l'arrêt qu'il a porté lui-même.
Vous ne sauriez pourtant l'accuser de rigueur:
Il vous peint jusqu'ici comme un homme d'honneur,
Sans esprit, mais bon homme, et c'est bien quelque chose;
Faible, et dont, par malheur, une Phryné dispose;
Et, s'il faut librement vous parler jusqu'au bout,
Aucuns ont prétendu que vous lui devez tout;
Qu'au fond de son boudoir, puissante protectrice,
Elle a de vos grandeurs élevé l'édifice.

A.

Fi donc! fi! Mais comment croyez-vous à cela?
Comment prenez-vous garde à ces sottises-là?
Autant vaut écouter sur un point de musique
Les discours de Suard', et ce fin politique
Qui tient le sort des rois en ses bourgeoises mains,
Rapatrie à son gré Bataves et Germains,

Ou, brouillant, sans raison, la France et l'Angleterre,
Tous les soirs au Caveau fait la paix ou la guerre.
Au poste où me voici, non, j'ose m'en flatter,
Le beau sexe tout seul ne m'a pas fait monter;

1. M. Suard, de l'Académie française, se mêle quelquefois de donner des conseils sur la musique, quoiqu'il ne connaisse pas même la gamme. Il prétend que ses oreilles académiques doivent juger de tout. (Note de Chénier.)

Et, dût-on me taxer d'un orgueil imbécile,

Peut-être un meilleur choix n'eût pas été facile.

B.

Ce n'est pas ce qu'on dit. Aurait-on si grand tort? Raisonnons un moment : le voulez-vous?

A.

D'accord.

B.

On pourrait, tout au moins, vous taxer d'ignorance.
Pour être un bon ministre, il suffit donc, en France,
D'avoir une maîtresse et de puissans amis?
Tandis qu'en vos bureaux d'impertinens commis,
Suivant pour toutes lois une obscure routine,
Régiront de l'Etat l'importante machine,
Paris, édifié, chaque soir vous verra
Gouverner en sultan les choeurs de l'Opéra!

A.

Oui. L'Opéra, les choeurs : c'est dans mon ministère.

B.

Ne renferme-t-il pas plus d'un devoir austère?
L'Opéra, je le sais, peut compter sur vos soins;
Mais la prison du pauvre, où siégent les besoins;
Celle où veillent souvent l'innocence et le crime;
L'hospice où chaque instant dévore sa victime;
L'infirme à soulager, l'indigent à couvrir;
Ces routes, ces canaux, que vous devez ouvrir;
Ces champs long-temps ingrats qu'il faut rendre fertiles;
Le commerce, les arts, charme et soutien des villes:

Tant d'objets importans exigent, m'a-t-on dit,
Du savoir, de l'étude, et même un peu d'esprit.

A.

De l'esprit! Du savoir! O la tête insensée!
C'est très bon quand on veut, professant au lycée,
Pour mille écus tournois harangueur éternel,
Endoctriner les murs, et juger sans appel.

Mais Damon, dont je suis aujourd'hui le confrère,
Est doué d'un esprit au moins très ordinaire:
Son style n'est pas beau; tout cela n'y fait rien:
On peut fort mal écrire et gouverner fort bien.
Lisez moins, voyez mieux; laissez là vos chimères.
Le savoir est pédant; l'esprit nuit en affaires;
Et voilà, Dieu merci! le principe assuré
Dont le gouvernement s'est toujours pénétré.
Le sens commun suffit: le reste est du grimoire.
Et comment! désormais, si l'on veut vous en croire,
Depuis qu'il est vanté par tant d'honnêtes gens
Que les cafés, pour lui devenus indulgens,
Exaltent son esprit et sa rare éloquence,

Caron de Beaumarchais peut gouverner la France!

B.

Mais vraiment, comme un autre ; et je vous
suis garant
Qu'il vaudrait beaucoup mieux qu'un ministre ignorant.
Eh quoi! Ces favoris des Nymphes de mémoire
Qui de tous leurs momens rendent compte à la gloire,
Incapables des soins qui font l'homme d'État,

Pour de si grands travaux n'ont qu'un génie ingrat!

Français il en est temps; de vos aïeux gothiques
Abjurez désormais les préjugés antiques:

La science excitait leur stupide mépris!

Hélas! il est encor bien des Goths dans Paris.
Aux lettres, aux beaux-arts, la Seine doit son lustre :
Le génie est amant de cette nymphe illustre;
Elle est souvent ingrate; et, tandis qu'à Berlin
D'un peuple généreux le digne souverain
Respecte les neuf Sœurs au noble et doux langage,
Et même avec succès leur offrit son hommage,
Trouvez-moi dans Paris un Fermier-général
Qui reconnût Pindare ou Le Brun pour égal 1.
Devant le grand Corneille, aux jeux de notre scène,
La France a vu debout l'émule de Turenne!
Les palmes qui ceignaient ce front victorieux.
S'inclinaient à l'aspect du favori des Dieux!
Un faquin, décoré du titre d'homme en place,
Eût d'un regard pesant nargué l'auteur d'Horace,
Ou, pour comble d'insulte, osant le protéger,
D'un salut gauche et plat daigné l'encourager.

A.

Un semblable discours a droit de me confondre. Grand Dieu! sur tous les points je voudrais vous répondre; Mais par où commencer?

1. M. Lebrun, celui de nos poètes lyriques qui a le plus approché de Pindare. Voyez, pour vous en convaincre, sa belle ode à M. de Buffon. (Note de Chenier.)

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