Billeder på siden
PDF
ePub

SOYEZ

LETTRE LVII.

A M. L'ABBÉ DE GUASCO.

OYEZ le bien venu, mon cher comte; je ne doute pas que ma concierge n'ait fait bien échauffer votre lit. Fatigué, comme vous deviez l'être, d'avoir couru la poste jour et nuit, et des courses faites à Fontainebleau, vous aviez besoin de ces petits soins pour vous remettre. Vous ne devez point partir de ma chambre ni de Paris que je n'arrive, à moins que vous ne vouliez venir à Paris pour me dire que je ne vous verrai pas. Je vois que vous allez en Flandre. Je voudrois bien que vous eussiez d'assez bonnes raisons de rester avec nous, outre celle de l'amitié; mais je vois qu'il ne faudra bientôt plus à nos prélats pour coopérateurs que des Doyenart 2. Eussiez-vous cru que

a Pierre Doyenart fut laquais du fils de Montesquieu, pendant qu'il étoit au collège de Louis le Grand. Ayant appris un peu de latin, il se sentit appelé à l'état ecclésiastique, et, par l'intercession d'une dame, il obtint de l'évêque de Bayonne, dont il étoit diocésain, la permission d'en prendre l'habit. Devenu prêtre et bénéficier dans l'église, il vint à Paris demander à Montesquieu sa protection auprès du comte de Maurepas pour avoir un meilleur bénéfice qui vaquoit, le priant, à cet effet, de se charger d'une requête pour le ministre. Elle débutoit par ces mots: Pierre Doyenart, prêtre du diocèse de Bayonne, ci-devant employé par feu M. l'évêque à découvrir les complots des jansénistes, ces perfides qui ne connoissent ni pape ni roi, etc. Montesquieu ayant lu ce début, plia la requête, la rendit au suppliant, et lui dit: Allez, monsieur, la présenter vous-même; elle vous fera honneur et aura plus d'effet: mais auparavant passez dans

[ocr errors]
[ocr errors]

1

ce laquais, métamorphosé en prêtre fanatique, conservant les sentimens de son premier état, parvînt à obtenir une dignité dans un chapitre? J'aurai bien des choses à vous dire si je vous trouve à Paris, comme je l'espère; car vous ne brûlerez pas un ami qui abandonne ses foyers pour vous courir, dès qu'il sait où vous prendre.

Je suis fort aise que S. A. R. monseigneur le duc de Savoie agrée la dédicace de votre traduction italienne, et très - flatté que mon ouvrage paroisse en Italie sous de si grands auspices. J'ai achevé de lire cette traduction, et j'ai trouvé partout mes pensées rendues aussi clairement que fidèlement. Votre épître dédicatoire est aussi très-bien; mais je ne suis pas assez fort dans la langue italienne pour juger de la diction.

Je trouve le projet et le plan de votre Traité sur les Statues a intéressant et beau, et je suis bien curieux de le voir. Adieu.

[ocr errors]

De la Brède, le 2 décembre 1754.

ma cuisine, pour déjeûner avec mes valets": ce que M. Doyenart n'oublioit jamais de faire dans les visites fréquentes qu'il faisoit à son ancien maître. Il parvint, quelque temps après, à la dignité de trésorier dans un chapitre d'une cathédrale en Bretagne.

a Cet ouvrage, qui n'étoit alors que commencé, a été continué; mais les incommodités survenues à l'auteur l'ont empêché, pendant quelques années, d'y donner la dernière main." ́

J'apprends cependant qu'il vient d'être terminé, et qu'il ne reste plus que d'être copié, pour être mis en état d'être imprimé. Quelques chapitres qui ont été lus par des savans en font bien juger, et souhaiter d'avoir l'ouvrage en entier, On dit qu'on y trouve autant de philosophie que d'érudition.

LETTRE LVIIL

DANS

A U MÊME.

ANS l'incertitude où je suis que vous m'attendiez, je vous écrirai encore une lettre avant de partir. Vous êtes chanoine de Tournay, et moi je fais des prairies. J'aurois besoin de cin ́quante livres de graines de trèfle de Flandre, que l'on pourroit m'envoyer par Dunkerque à Bordeaux. Je vous prie donc de charger quelqu'un de vos amis à Tournay de me faire cette commission, et je vous paierai comme un gentilhomme, ou, pour mieux dire, comme un marchand; et quand vous viendrez à la Brède, vous verrez votre trèfle dans toute sa gloire. Considérez que mes prés sont de votre création : ce sont des enfans à qui vous devez continuer l'éducation. Je compte que vous aurez vu nos amis, et que vous leur aurez un peu parlé de moi. Je vous verrai certainement bientôt: mais cela ne doit point vous empêcher de faire des histoires du prétendant à mademoiselle Betty a; vous n'en serez que mieux soigné. Je vous marquerai par une lettre particulière le jour de mon arrivée, que je ne sais point; et quand je ne vous écrirois pas, en cas que j'apparusse devant vous sans

a Irlandaise, concierge de la maison qu'il tenoit à Paris, fort zélée pour le prétendant.

vous avoir prévenu, vous aurez bientôt transporté votre pelisse, votre bréviaire et vos médailles, dans l'appartement de mon fils. Quand vous verrez madame Dupré de Saint-Maur demandez-lui si elle a reçu une lettre de moi. Présentez-lui, je vous prie, mes respects, et à M. de Trudaine, notre respectable ami. L'abbé, encore une fois, attendez-moi.

Puisque vous êtes d'avis que j'écrive à M. l'auditeur Bertolini, je vous adresse la lettre pour la lui faire tenir. Je vous embrasse de tout mon

coeur.

De la Brède, le 5 décembre 1754.

1

JE

LETTRE

LIX.

A M. L'AUDITEUR BERTOLIN I.

A Florence.

E finis la lecture des deux morceaux de votre préface, monsieur, et je prends la plume pour vous dire que j'en ai été enchanté; et quoique je ne l'aie vue qu'au travers de mon amour-propre, parce que je m'y trouve paré comme dans un jour de fête, je ne crois pas que j'eusse pu y trouver tant de beautés, si elles n'y étoient point. Il y a un endroit que je vous supplie de retrancher: c'est l'article qui concerne les Anglais b, et

a Ce magistrat éclairé de Florence a fait un ouvrage dans lequel il prouve que les principes de l'Esprit des lois sont ceux des meilleurs écrivains de l'antiquité. Cet ouvrage n'a point été imprimé, et la république des lettres a droit de le lui demander. Le discours préliminaire de cet ouvrage est actuellement sous presse, et je crois que le public me saura gré de lui en avoir fait part.

(Bertolini est auteur d'une Analyse raisonnée de l'Esprit des lois. Cet ouvrage excellent portoit le titre de Préface lorsqu'il fut porté à Montesquieu, parce qu'il devoit être placé à la tête d'une édition de l'Esprit des lois. Il ne doit pas être confondu avec des notes du même auteur destinées à l'ouvrage de Montesquieu. L'Analyse de l'Esprit des lois par d'Alembert est regardée comme inférieure à celle de Bertolini; elle est peu connue en France, et rare en Italie. On la trouvera à la fin de ce volume. Note des éditeurs.)

b Cet article fut retranché.

« ForrigeFortsæt »