expressions, de peur que par mégarde il n'en échappât une qui l'entrainât dans un vil cachot? >>

« Vous ne voudrez pas, mes collègues, établir une pareille inquisition qui ne fut jamais tentée, pas même lors des jours horribles qui précédèrent le neuf thermidor; vous ne voudrez pas porter l'effroi dans tous les cœurs, lorsqu'il vous importe tant de gagner leur amour; vous rejeterez donc unanimement l'article 4 du nouveau projet, dont le moindre vice est d'être absolument impraticable, et qui ne pourrait être exécuté partiellement qu'à l'aide de précautions vexatoires, de délations et d'espionnages, qui seraient l'opprobre de la législation qu'il nous appartient de donner aux Français.

& Au lieu de tracasser nos commettans par de petites mesures, indignes également et d'eux et de nous, cherchons à agrandir leurs âmes et à les pénétrer fortement de cette dignité qui convient à des hommes libres; employons tous nos efforts pour leur inspirer des émotions généreuses; apprenons-leur enfin à savoir évaluer les avantages et l'importance qui sont attachés au titre de citoyen, avant d'essayer de les contraindre à s'en servir dans leurs conversations familières. »

« Ah! sans doute 9 un jour viendra (veuillent les dieux en rapprocher l'époque où chaque Français se trouverá her d'être autorisé à porter un titre revêtu de tant d'éclat et de majesté; mais nous,

en attendant ces jours prospères, si nous voulons en accélérer l'effet, sachons user de ménagemens utiles, et n'employons que des moyens qui peuvent être propres à exciter des affections élevées dans l'âme de nos compatriotes. >>

« Tel est celui que la commission propose et auquel j'aime à applaudir, lorsqu'elle nous invite à défendre aux étrangers, ainsi qu'aux comdamnés à des peines infamantes, de s'appliquer l'auguste dénomination de citoyen; peut-être même cette mesure seraitelle la seule qu'il conviendrait de prendre quant à présent. >>

« C'est par des moyens combinés de la sorte, et toujours adaptés aux sentimens les plus nobles de l'âme, que nous saurons porter la conviction dans les cœurs, et que la foule nombreuse des hommes insoucians ou peu éclairés s'accoutumera à faire cas de la dénomination de citoyen, lorsqu'ils la verront interdite à la fois et aux étrangers qui ne jouissent pas des droits qu'elle rappelle, et aux criminels qui ont mérité de la perdre.» « C'est ainsi, c'est par des mesures bâsées sur les convenances morales et politiques, que nous parviendrons peu à peu à régulariser l'esprit public, à relever le caractère national, à honorer notre propre caractère, et non pas en fournissant aux autres nations l'idée de penser, que ce titre si beau de citoyen Français, qu'elles ont si bien appris à respecter, et qui est couvert au loin de tant d'admirations et d'hommages, est,

en quelque sorte, dédaigné dans l'intérieur, et qu'il faut des lois pénales pour contraindre leurs vainqueurs à le porter. »

Usons toujours de modération et de prudence, et bientôt tous les Français, éclairés par leurs propres intérêts, apprendront à apprécier les charmes de la dénomination de citoyen; ils sentiront sur-tout, qu'ils ont une patrie, quand nous leur aurons donné un code unique de lois sages; car ce sont de bonnes lois et non de belles phrases qui font vraiment les citoyens. »

» Avant de terminer ce discours, qu'il soit permis à un vieil ami de la liberté et de la patrie, qui touche à la fin de sa carrière fégislative, de vous faire entendre encore les accens impérissables de la vérité, de cette vérité austère et entièrement indépendante qui, pendant le long cours de deux missions difficiles, fut toujours sur ses lèvres comme sous sa plume, que peut-être il s'efforce pour la dernière fois de proclamer à cette tribune (1), et dont il saura conserver le caractère dans le calme de la vie privée, après lequel il soupire dès longtemps ! »

» Omes collègues! persuadons nous enfin, comme premier élément des organisations sociales, qu'en tout espoir d'administration

(1) Note. Si je n'eusse pas été réélu, il est trèsvraisemblable, qu'à dater de l'époque où ma plume traçait ces expressions,' je n'aurais plus prononcé ni écrit aucune opinion législative. Voyez le n.o 67.

applicable à des hommes libres, il faut commencer par obtenir leur confiance; or, la confiance s'acquiert, elle ne se commande pas; loin d'être compatible avec aucune sorte de vexations, elle est repoussée à jamais par des actes trop peu réfléchis de violence et de rigueur.

« Consultez la nature dont, en législation comme en morale, il faut s'attacher toujours à suivre les immuables préceptes.

Vous avez vu bien des pères de famille; les uns n'emploient que la persuasion et la douceur vis-à-vis leurs enfans; les autres au contraire les dirigent à force de menaces et de corrections: c'est votre bonne foi que j'interroge; dites, si les premiers ne sont pas toujours les mieux obéis! ... Et pourquoi? parce qu'ils sont aimés. »

» L'art de gouverner les hommes est aussi une sorte de paternité politique : ici, comme là, l'obéissance suit de près la confiance et l'amour.»>

« Je me résume et je dis, qu'il serait souverainement injuste de faire payer un port décuple à ceux qui reçoivent des lettres dont il ne dépend pas d'eux de régler la suscription; je répète qu'une loi qui infligerait des peines pour le nom de monsieur, donné verbalement dans l'usage habituel de la société, ne serait pas exécutée, ou ne pourrait l'être, qu'en ouvrant une source intarissable d'inégalités, de désordres et de dissentions. »

<< En conséquence, je réclame la priorité

1

pour le premier projet de la commission; mais, comme ce projet est susceptible de plusieurs modifications indispensables, je demande qu'il soit renvoyé à un nouvel examen de la commission, qui pesera les observations que je viens de soumettre au Conseil. »

NOTE.

Je ne m'étais point trompé, dans le présage que contiennent les lignes qui précèdent cette opinion dont la publicité m'attira beaucoup de reproches ; j'en reçus même d'un certain côté d'où j'étais bien éloigné de les attendre.

Ces inculpations furent produites ou par l'exaltation d'idées irréfléchies, ou par l'esprit de parti : le temps de l'exaltation est déja passé; celui de l'esprit de parti passera de même..... il n'y a que les vrais principes, qui restent et qu'on aime à retrouver dans tous les temps.

N. 65.

30 BRUMAIRE.

LETTRE

Contre les mesures arbitraires.

» Hiccine libertatem aiunt æquam esse omnibus ! »>

TERENCE. Adelphi.

Tu connais assez mon aversion, tant de

fois manifestée contre toutes les sortes d'actes arbitraires, pour croire que j'ai dû répugner à ceux que le Directoire vient de