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suite de ces entrevues, dans lesquelles je me dérobe à tout ce que je puis être, à tout ce que j'ai été, pour me mêler avec l'univers, et sentir ce que je ne puis jamais exprimer, ni taire entièrement. »

Le pélerin touche au terme de son voyage. Avant de déposer ses sandales et son bourdon, il s'arrête aux bords de l'Océan qu'il décrit avec une pompe et une grandeur admirables. Mais ses chants ont cessé, le charme de son rêve est rompu, les visions qui lui apparaissaient s'évanouissent. L'ardeur qui habitait dans son âme est presque éteinte. Il est au but: il a fait sa dernière course.

Il ne faut pas chercher dans le poème de Childe Harold un plan et des incidens.Il est évident que lord Byron n'a voulu en faire qu'une suite de méditations animées par ses souvenirs et par la description des lieux qu'il avait visités. Il se laisse aller à de continuelles rêveries. C'est le travail de la pensée qui passe d'un sujet à un autre sans pouvoir définir ce qui l'y a conduit. Il est peu personnes qui n'aient éprouvé cette sensation. Au bout de cinq minutes de réflexion, on se trouve si loin du point d'où l'on est parti, qu'il est souvent impossible de se rendre compte de tout ce qui

From all I may be, or have been before,
To mingle with the Universe, and feel

What I can ne'er express, yet cannot all conceal

de

Childe

s'est offert à l'esprit en si peu de temps; Harold a cette espèce de vague, et cela plaît, surtout aux gens accoutumés à rêver, et à ceux qui aiment à étudier la marche de l'esprit. Tout décousu que paraît d'abord ce poème, il ne l'est pas dès qu'on l'envisage ainsi. Une image amène une autre image, une idée une autre idée; tout se lie, excepté dans deux ou trois morceaux où le poète a brusquement changé le cours de ses réflexions; encore découvrirait-on la cause de cette interruption dans les stances qui la précèdent. Je ne crois pas me tromper en mettant au nombre des qualités de cet ouvrage ce manque de planqu'on a regardé comme un défaut ; la preuve qu'au lieu de nuire à l'intérêt, il l'augmente, c'est qu'on ne peut s'arrêter en lisant Childe Harold. Un récit de faits ou d'aventures s'interromprait plus facilement. La pensée rêveuse s'attache à celle du poète, s'identifie à elle, s'attendrit ou s'exalte suivant ce qu'elle exprime: et ce ne sont point des rêveries oiseuses, c'est la marche d'une âme forte et puissante qui embrasse tout ce qui est beau, qui s'élance vers tout ce qui est grand, en même temps qu'elle flétrit tout ce qui est ignoble; elle nous enlève tout-à-fait à nous-mêmes, elle nous fait comprendre la véritable gloire, elle réveille l'amour de la vertu.

Il est vrai qu'en montrant tous ces biens, lord Byron peint son héros comme incapable d'en jouir;

mais cela se rattache à l'idée morale de son poème; idée qu'il a développée ainsi dans une seconde préface. << En mettant Childe Harold en scène, je n'ai voulu que démontrer que la corruption précoce de l'esprit et de la morale nous conduit à la satiété des plaisirs passés et nous empêche de goûter les plaisirs nouveaux; et que ce qui est même plus capable d'exciter l'esprit de l'homme (toutefois après l'ambition, le plus puissant des moteurs), le spectacle des beautés de la nature et les voyages, ont perdu leur effet sur un âme ainsi pervertie ou égarée. » Quoique s'identifiant parfois à son héros, le poète ne partage pas cette disposition passive, car il parle de la vertu, de la liberté, du dévoûment à une noble cause, avec une admiration profondément sentie.

Les notes de Childe Harold sont aussi du plus haut intérêt. Elles contiennent une foule de détails curieux et de renseignemens sur les pays que lord Byron a parcouru. Le style en est très simple, concis et quelquefois acerbe, selon le sentiment qui les a dictées.

CHAPITRE XI.

SÉJOUR DE LORD BYRON A MILAN ET A VENISE. TRAITS DE GÉNÉROSITÉ.

LE RÊVE.

EN quittant la Suisse, lord Byron visita le nord de l'Italie, et s'arrêta à Milan, où se trouvaient alors plusieurs littérateurs italiens. Il habitait cette ville en 1816. Il allait souvent au spectacle, et faisait de longues promenades à cheval. Les personnes qui l'ont vu à cette époque, disent qu'il était sombre et mélancolique ; cependant il s'animait en parlant de ses sujets de conversation favoris, la littérature et la politique. Il discutait toujours avec douceur et simplicité, attaquant plutôt les abus que les hommes (*). Il exprimait, avec une grande clarté, ses idées larges et profondes. Lord Byron, si froissé par les individus, sympathisait avec les masses. Il s'intéressait à elles, et se passionnait quelquefois jusqu'aux larmes sur les malheurs de l'humanité. Certains mots avaient le pouvoir d'éveiller en lui le plus vif en

(*) Un homme de beaucoup d'esprit, qui a connu lord Byron à Milan, a bien voulu me donner des détails très intéressans et très curieux sur son caractère et sa conversation. (Voyez la note 54.)

thousiasme. Un trait de vertu ou de courage lui causait une émotion profonde, pourvu qu'il fût convaincu qu'il n'y entrait aucun desir de briller ou de faire effet. Ses impressions étaient très mobiles, et il obéissait toujours à l'impulsion du moment qui le portait souvent au bien. Jamais il ne vit un être souffrant sans chercher à le soulager. Connaissant la pauvreté d'un artiste dont le mérite était ignoré, il lui fit passer secrètement jusqu'à deux cents livres sterling à-la-fois; et quand il croyait cette somme épuisée, il la renouvelait, en prenant toutes les précautions possibles pour n'être pas découvert : ce ne fut qu'à force de recherches et de persévérance que le protégé apprit quel était son bienfaiteur.

Lord Byron n'était ni avare, ni prodigue, comme on s'est plu à le dire: il veillait à ses intérêts, ne souffrait point qu'on le trompât, et se faisait rendre un compte exact de ses revenus, parce qu'il trouvait absurde et immoral de laisser un champ libre aux fripons; mais, dès qu'il s'offrait une occasion de dépenser noblement, il sacrifiait des sommes considérables, dans un but utile.

Il mettait aussi une grâce extrême dans sa manière d'obliger. On sait qu'une jeune personne de beaucoup de talent se trouvant dans une situation très malheureuse, se présenta chez lui à Londres, pour le prier de souscrire à un volume de poésies qu'elle allait publier. Lord By

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