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sera la garantie d'Alexandre dans l'alliance. Il devenait évident qu'Alexandre se réservait la plus grande part du duché de Varsovie. Knesebeck refusa de signer; sur quoi, Alexandre, de sa propre expression, « le planta là. » Il envoie Anstett, à Breslau, afin de brusquer la négociation, et, de sa main, il écrit, le 24 février, à Frédéric-Guillaume une lettre affectueuse et comminatoire qu'il confie à Stein. « C'est certainement un des plus fidèles sujets que possède Votre Majesté. Pendant près d'une année qu'il est resté auprès de moi, j'ai appris encore mieux à le connaître et à le respecter. Il est au fait de toutes mes intentions et de mes désirs sur l'Allemagne et pourra vous en rendre un compte exact. >> Bon gré, mal gré, il faut que l'armée prussienne passe du rôle d'auxiliaire de Napoléon contre la Russie à celui d'auxiliaire de l'armée russe contre Napoléon; que la Prusse subisse les conditions de son libérateur comme elle a subi celles de son vainqueur; que Frédéric-Guillaume comprenne le rôle qu'Alexandre lui réserve, celui de lieutenant général de la Russie en Allemagne, le rôle auquel la République s'était flattée de le réduire en le comblant de titres et de terres.

VI

<< Il est clair; écrivait Frédéric-Guillaume à Hardenberg, le 21 février, qu'on veut nous entraîner coûte que coûte et nous compromettre. » Toutefois il estima l'heure venue de se livrer. Il ne pouvait pas plus longtemps abuser les Français, ni pousser plus loin ses armnemens sans être sûr de la Russie. Alors, la résolution prise, l'impatience succède à la lenteur calculée. Hardenberg envoie un courrier à Knesebeck, le 23, le pressant de conclure; il ajoute : « Les traités avec l'Angleterre et la Suède, calqués sur celui de la Russie, sont prêts. » Mais deux jours passent, sans nouvelles, dans la plus cruelle anxiété. Le 25, seulement, un billet d'Anstett annonce son arrivée à Breslau, en compagnie de Stein. Il demande un entretien à Hardenberg pour lui communiquer ses pleins pouvoirs, le contre-projet de traité et une lettre de l'Empereur au Roi. Stein, malade, a dû renoncer à la remettre en personne. Le traité n'est pas ce que les Prussiens auraient voulu, mais les circonstances pressent, le mouvement de l'opinion commande; ils décident de conclure sans autre discussion. Le texte russe, signé à Breslau le 27, est porté

le 28, à Kalisch, où se trouve le quartier général russe, par Anstett, accompagné de Scharnhorst, en qualité de plénipotentiaire militaire. « Le Roi, dit le tsar à Knesebeck, a eu plus de confiance en moi, il a signé sans changer un mot. » L'émotion lui coupa la parole, puis il s'écria: « C'est un secours que m'envoie la Providence. Mais le Roi peut être sûr que je mourrai plutôt que de l'abandonner. » Il lui écrivit, le jour même : «Tout le bonheur que j'éprouve à me voir de nouveau lié à vous par l'acte le plus solennel et le plus sacré qui doit, avec l'aide de la Providence divine, arracher l'Europe au joug qui l'oppresse... >> L'alliance formée, en 1764, entre Frédéric II et Catherine avait duré quarante-trois ans, 1764-1807; cette fois, il y en avait pour soixante-cinq au moins, 1813-1878; cette alliance, après avoir reconstitué la Prusse, la porta à l'empire de l'Allemagne.

L'instrument officiel est daté de Kalisch, 28 février 1813. «La destruction totale des forces ennemies qui avaient pénétré dans le cœur de la Russie a préparé la grande époque de l'indépendance de tous les États qui voudront la saisir pour s'affranchir du joug que la France a fait peser sur eux depuis tant d'années... En conduisant ses troupes victorieuses hors de ses frontières, le ́premier sentiment. de Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies fut celui de rallier à la belle cause que la Providence a si visiblement protégée ses anciens et plus chers alliés, afin d'accomplir avec eux des destinées auxquelles tiennent le repos et le bonheur des peuples épuisés par tant de commotions et tant de sacrifices. Le temps arrivera où les traités ne seront plus des trêves, où ils pourront de nouveau être observés avec cette foi religieuse, cette inviolabilité sacrée auxquelles tiennent la consi'dération, la force et la conservation des empires.

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Ce préambule constitue la déclaration des droits de l'Europe selon la Russie, et le manifeste de la politique qu'Alexandre allait, durant plusieurs années, faire prévaloir en Europe. Il proclame les motifs élevés qu'il se propose, il donne le ton du nouveau langage des chancelleries et affirme, solennellement, ce paradoxe destiné à faire fortune dans l'histoire, que la foi religieuse, l'inviolabilité des traités, consacrent le retour à des principes qui, en vérité, n'avaient jamais prévalu dans le passé, à un droit qui n'était connu que par les réclamations des publicistes et les violations des gouvernemens. Faute de garantie à donner aux peuples de l'âge d'argent qu'on leur promet, force est bien

d'invoquer la légende d'un âge d'or qu'ils n'ont jamais vécu, mais dont le souvenir imaginaire prête un corps à tous les fantômes de l'espérance.

· Suivent les articles, non moins importans pour la réalité des affaires, que le préambule pour l'illusion des peuples. Alliance offensive et défensive, qui a pour premier objet ostensible: «< de reconstruire la Prusse » et d'enlever à la France « une influence quelconque » sur le Nord de l'Allemagne ; coopération immédiate des deux armées; ni paix ni trêve que d'un commun accord; invitation à l'Autriche d'entrer dans l'alliance le plus tôt possible. Les articles secrets, relatifs à la reconstruction de la Prusse, reproduisent textuellement le contre-projet russe, cité ci-dessus.

Alexandre atteint son but. Sans se lier les mains, il s'assure le concours non seulement de l'armée royale de la Prusse, mais de l'insurrection nationale prussienne et, sous cette impulsion, de toute l'Allemagne. Il devient le chef avéré de la grande coalition des peuples, le meneur de la croisade d'indépendance. Il a placé le roi de Prusse à sa gauche; il va s'occuper de mettre l'empereur d'Autriche à sa droite, pour l'entrée solennelle qu'il compte faire dans les capitales affranchies.

VII

Lebzeltern, l'envoyé autrichien, arriva au quartier général russe le 5 mars. Ses instructions lui prescrivaient, sous le couvert de l'intervention, de tâter les Russes sur l'alliance et de découvrir ce qu'ils offriraient. Alexandre ne le laissa pas s'évertuer en insinuations. Il alla droit au fait et lui dit (1): « Est-il possible que, toujours renfermés dans le vague, vous vouliez ou être devinés ou qu'on se jette dans vos bras sans que vous daigniez nous dire une seule de vos pensées? Vous voulez le bien de la cause européenne! Soit; moi, avant tout, je désire que l'Autriche regagne son ancienne attitude et toutes ses possessions; que la Prusse sorte de cette lutte indépendante et avec un degré de consistance; que l'Allemagne soit affranchie du joug français et libre, ou plutôt soumise comme auparavant, à la domination de votre souverain... - Voulez-vous, Sire, dit Lebzeltern, que je transmette cette base comme vôtre? - Dites-moi,

(1) Rapport de Lebzeltern, 8 mars 1813, en français.

reprit Alexandre, le plus secrètement possible, si elle vous convient. Donnez-moi celle-ci ou une autre, je vous donne ma parole de la produire comme la mienne, et vous en ferez l'usage qu'il vous plaira. » Puis, il ajouta : « Vous ne pouvez rien craindre, toute mon armée et celle du Roi agiront avec vigueur. Entrez en possession du Tyrol, de l'Italie jusqu'à Mantoue, à votre convenance. Déclarez que vous ne voulez pas faire la guerre à la France, que vous vous placerez entre les puissances qui voudront l'attaquer; nous vous seconderons en tout. Ensuite, parlez d'un congrès général, et enfin alors vous négocierez dans les formes que vous voudrez. Si l'Angleterre y amenait des prétentions exagérées, eh bien! nous nous entendrions; les intérêts du continent avant tout. >>

C'était, comme avec la Prusse, de la magnanimité fort habile. Si l'Autriche entrait dans ces vues, elle se trouverait, de fait, en guerre avec Napoléon, et, de fait, alliée de la Russie et de la Prusse, car elle présenterait aux deux parties, Napoléon, d'un côté, Alexandre et Frédéric-Guillaume, de l'autre, comme ses propres conditions de paix, des conditions concertées avec la Russie et la Prusse contre Napoléon: il n'y aurait plus dès lors qu'à déclarer l'alliance. Lebzeltern le discerna fort bien; ces propositions paraissaient avantageuses, et il s'empressa de les transmettre à Vienne.

Alexandre se rendit à Breslau le 15 mars. Le 16, la Prusse déclara la guerre à la France. Alexandre demeura près du Roi jusqu'au 19. Ce fut l'occasion d'ovations innombrables, de revues avec grand spectacle d'accolades et de sermens, grand déploiement d'enthousiasme populaire. Les états-majors concertèrent les mouvemens. Les diplomates signèrent une convention qui réglait la conduite des troupes alliées dans les territoires. qu'elles occuperaient, et qu'ils divisaient en quatre grandes sections: Saxe, Westphalie, Berg, départemens des bouches de l'Elbe et Mecklembourg (1). Avis sera donné aux princes de la Confédération du Rhin. Les alliés annonceront que leur objet est la délivrance de l'Allemagne. Ils y convieront les souverains et les peuples. «Tout prince allemand qui ne répondra pas à cet appel dans un délai fixé sera menacé de la perte de ses États. » La croisade des rois procédait, comme vingt ans auparavant, les

(1) Conventions des 19 mars et 4 avril 1813.

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croisades révolutionnaires et elle tenait des droits des princes tout juste le même compte que la Convention des droits des peuples. « Il faudra, avait dit Cambon en proposant le décret fameux du 15 décembre 1792, il faudra dire aux peuples qui voudraient conserver leurs castes privilégiées: Vous êtes nos ennemis, et alors les traiter comme tels, puisqu'ils ne voudront ni liberté, ni égalité ! » Il n'était alors permis aux peuples d'être libres qu'à la jacobine; il ne sera permis aux États d'être indépendans qu'à la russe et à la prussienne. D'ailleurs, les plus beaux prétextes de justice et de droit public.

Le 20 mars, le traité de Kalisch fut publié dans sa partie ostensible, et le 29 parut, inspiré par Stein, l'appel à la nation allemande, que, pour l'ironie des choses, signa Koutousof, venu en Allemagne en passant sur le ventre de la Pologne. Il exhortait, au nom du tsar et du roi de Prusse, copartageans de trois partages, les princes et peuples de l'Allemagne, à « recouvrer ces biens héréditaires qui leur ont été enlevés mais qui sont imprescriptibles, leur liberté et leur indépendance. Honneur et patrie! » Il les invitait à prendre les armes, il leur promettait le règne, la puissance et la gloire l'Allemagne sera régénérée et reconstituée : « Plus les bases et les principes de cet ouvrage seront modelés d'après l'antique esprit du peuple allemand, plus l'Allemagne, rajeunie, vigoureuse, unie, pourra reparaître avec avantage parmi les nations de l'Europe. » Le manifeste ne parle ni de la Pologne, qui avait cessé d'exister par le fait même des libérateurs, ni de la Hollande, par considération des Anglais qui lui destinaient un roi, ni de l'Italie, afin de ménager les ambitions de l'Autriche. Il se terminait par cette déclaration destinée à séduire les Français, tout au moins à les désarmer, les incitant à séparer leur cause de celle de Napoléon :

Que la France, belle et forte par elle-même, s'occupe à l'avenir de sa prospérité intérieure, aucune puissance étrangère ne la troublera, aucune entreprise hostile ne sera dirigée contre ses limites légitimes... Que la France sache que les autres puissances... ne déposeront les armes que lorsque les bases de l'indépendance de tous les peuples de l'Europe seront rétablies et

assurées.

Le manifeste ne disait point limites naturelles, qui, malgré l'équivoque sur le cours du Rhin et sur l'Escaut, eût été trop précis et compromettant, avant que l'on fût convenu de rien.

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