Billeder på siden
PDF
ePub

jours été possible et que, de l'autre côté, l'on ne place que l'obstination de l'Empereur à dominer le continent et à ne rien céder du Grand Empire, la pesée n'est pas longue et la balance bascule inévitablement du côté de ces ennemis si éclairés, si bienveillans, si peų rancuneux envers la France.

Mais on ne refait pas l'histoire avec des regrets, pas plus qu'on ne la fait avec des espérances. L'extrême enchevêtrement des négociations, l'intérêt passionnant des batailles et cette poussière de gloire dont Napoléon, jusqu'en son crépuscule, aveugle ceux qui le regardent en face, troublent l'optique et dérangent la perspective. Je voudrais ici, pour rétablir le point de vue, enlever, pour ainsi dire, Napoléon de cette histoire qu'il envahit comme il avait envahi l'Europe, me renfermer dans le camp des alliés, montrer comment, de ce côté-là, l'on se représentait les choses et comme on disposa les événemens, ce que l'on voulut et ce que l'on fit, indépendamment de ce que voulait et de ce qu'essaya de faire Napoléon, bref, opposer à l'illusoire et au souhaitable, le réel, le possible, le probable qui sont toute la poli tique (1).

I

En 1809, Napoléon avait exigé de la Russie un corps auxiliaire contre l'Autriche. La Russie ménagea les Autrichiens et le corps russe devint, en réalité, un auxiliaire de l'Autriche. En 1812, Napoléon exigea de l'Autriche un corps auxiliaire de 30 000 hommes contre la Russie. L'Autriche rendit alors à la Russie le service qu'elle en avait reçu en 1809. Le corps auxiliaire autrichien devint, en réalité, un corps neutre. Après la Moskowa, Metternich croyait à un hivernage en Russie, à une seconde campagne en 1813. Il se tenait en correspondance avec Hardenberg, le chancelier prussien. La Prusse était liée à Napoléon par des engagemens analogues à ceux de l'Autriche. Elle avait

-

(1) Les documens cités dans ces études sout tirés des sources suivantes : Archives des Affaires étrangères; publications de la Société d'Histoire de Russie; Correspondance de Napoléon, Castlereagh; Archives Woronzof; Correspondance de Nesselrode, t. II, autobiographie. Pièces publiées par MM. de Martens, Oncken, Fournier, Bailleu, Prokesch-Osten, Stern, Beer, Ernest Daudet, Étienne Lamy. Mémoires de Pasquier, Czartoryski, Metternich (étude critique par Bailleu), Marmont, Langeron, Lowenstern. Ouvrages de Fain, Lefebvre, Bignon, Thiers, Ernouf, Henry Houssaye, Bonnefons, Ranke, Duncker, Bernhardi, Oncken: Esterreich und Preussen; Arneth: Wessenberg; Fournier: Châtillon.

dû fournir un corps auxiliaire de 20 000 hommes, que commandait le général York. Pas plus que Metternich, Hardenberg ne souhaitait le succès de Napoléon, tous les deux le redoutaient, au contraire, et ces alliés de la France n'avaient pas d'autre pensée que de se prémunir contre les effets d'une victoire de la France. Ils n'osaient pas encore penser à un échec qui les délivrerait et, peut-être, leur ouvrirait l'espoir d'une revanche. L'événement les surprit, et la retraite de Moscou les déconcerta.

Napoléon avait, par le traité de Vienne, de 1809, limité à 150 000 hommes les forces totales de l'Autriche. Lors même qu'elle serait délivrée de l'alliance, elle ne serait pas en mesure de profiter de sa liberté. « Dans une guerre entre la France et la Russie, avait dit Metternich, l'Autriche aura une position de flanc qui lui permettra de se faire écouter avant et après la lutte. » L'heure venait d'occuper cette position, et la manœuvre se présentait comme l'une des plus compliquées et scabreuses qui se pussent imaginer. Le premier point était de recouvrer la disposition des 30 000 hommes du corps auxiliaire et de se dérober aux demandes pressantes d'augmentation de ce corps que Napoléon ne manquerait point d'adresser; de ne les point repousser toutefois c'était le seul moyen d'obtenir de Napoléon la licence d'armer et de se remettre, sans lui inspirer de méfiance, en état de le combattre. Le second point était de rester avec la Russie sur le pied de neutralité, de fait, où l'on s'était mis, d'arrêter les Russes aux frontières de la Gallicie, et de les tenir en suspens en leur laissant espérer une alliance prochaine. Enfin il convenait d'encourager la Prusse à la résistance, au besoin à la défection, et pour l'exemple qu'elle donnerait aux confédérés allemands, et pour l'avantage qu'on y trouverait d'éloigner de l'Autriche le théâtre de la guerre. Voir venir les événemens, les solliciter adroitement, se réserver toutes les chances, préparer l'Europe à un arbitrage autrichien; faire en sorte qu'après avoir successivement rassuré et inquiété tout le monde, l'Autriche, en cas de victoire finale de Napoléon, trouvât partout des cliens, et, en cas de défaite des Français, partout des alliés, qu'elle consommât, à son avantage, la ruine du Grand Empire ou la ruine de l'Europe, bref, le jour venu, disposant de 300 000 hommes, appoint décisif dans la lutte, mettre l'alliance autrichienne à l'encan de l'Europe, se donner à qui paierait le mieux, à qui procurerait le plus de terres et offrirait le plus de garanties, sauf à préférer, dans le

fond, que ce ne fût point la France et que les intérêts se missent d'accord avec les rancunes; par-dessus tout, éviter d'être écrasé par les masses ennemies avant d'avoir pu intervenir entre elles, voilà le dessein, très profond, qui se forma peu à peu dans l'esprit de Metternich.

Le comte Ernest Hardenberg, Hanovrien, cousin du chancelier de Prusse, qui suivait à Vienne les affaires du roi d'Angleterre, électeur exproprié du Hanovre, envoyait à Londres des rapports destinés à être lus par le prince régent et par les ministres anglais et servait d'intermédiaire entre eux et Metternich, écrivait le 12 décembre 1812 (1): « Le comte Metternich a conçu un grand plan pour l'Europe, que, cependant, il n'appelle encore qu'un rêve politique. Les principaux traits en sont que la France devrait être restreinte dans ses bornes naturelles entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, que l'Allemagne fût divisée en plusieurs grands États indépendans et dont l'indépendance serait garantie par l'Autriche et par la Prusse qui devrait être rétablie au rang d'une grande puissance; il faudrait, à son avis, diviser l'Italie en deux grands royaumes, en réservant, de ce côté-là, pour l'Autriche qui, en outre, rentrerait en ses possessions perdues, la frontière du Mincio; qu'on devrait enfin rendre à la Porte les frontières qu'elle avait avant la paix de Bucharest (2), et restreindre la Russie aux limites qu'elle avait avant celle de Tilsit. » Arrêtons-nous, dès l'abord, sur ces mots : la France « restreinte dans ses bornes naturelles entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. » Ils renferment une équivoque qui offusque toute l'histoire des négociations de 1813 et qu'il importe de dissiper. Quand on lit ces mots, en France, on les entend au sens français, au sens du Comité de Salut public de l'an III, du Directoire, du traité de Lunéville: le Rhin, dans toute sa longueur, depuis Bâle jusqu'à la Hollande, ce qui implique tous les pays allemands de la rive gauche du Rhin, le Luxembourg, la Belgique. Pour Metternich, et bientôt pour les alliés, ces mêmes mots revêtent un sens infiniment moins précis; ils sous-entendent que partout où le Rhin sert de frontière, il forme une limite naturelle; il en formait une, sous Louis XVI, en 1790, de Bâle au confluent de la Lauter; il en forma une, après Lunéville, jus

(1) Au comte de Münster, ministre du Roi, pour les affaires du Hanovre; en français.

(2) Entre la Russie et la Turquie, 28 mai 1812.

qu'aux limites de la Hollande. C'est donc une frontière, élastique, mouvante, que l'on se réserve, suivant les circonstances, d'étendre ou de restreindre, et que Metternich et les alliés n'auront garde de définir précisément avant de se sentir maîtres de la tracer selon leurs convenances. On verra, par la suite, combien d'interprétations recevra cette expression de « bornes naturelles » entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, destinée à allécher les Français, à gagner, en France, l'opinion à la paix de « l'Europe » et qui n'a été, de décembre 1812 à décembre 1813, que le voile d'une combinaison très insidieuse des alliés, la cause d'une méprise très décevante des Français.

Metternich prévoyait justement que Napoléon ne consentirait jamais à une paix de ce genre, fût-ce la paix de Lunéville, tant qu'il aurait une armée à risquer. Cette paix autrichienne, avec la France refoulée et rognée, ne se comprenait qu'avec une régence de Marie-Louise, une tutelle de l'empereur François II, et c'eût été un coup de maître. Metternich y pensait déjà, il y pensa longtemps, et ses motifs sont les mêmes que ceux qui portaient, dans le même temps, l'empereur Alexandre à proposer Bernadotte comme successeur de Napoléon: une France réduite à l'état de Pologne, avec un lieutenant général du Tsar ou de l'empereur d'Autriche. Ces projets supposaient la mort ou la déchéance de Napoléon; les hasards de la guerre pouvaient amener la mort, les conséquences de la guerre pouvaient amener la déchéance.

Le «< rêve politique » parut un jour sur le point de se réaliser. Le 12 décembre, le bruit se répandit de la catastrophe totale de la Grande Armée et de la fuite de Napoléon. L'ambassadeur de France, Otto, écrit le 16 décembre que Metternich «< s'est oublié jusqu'à dire que si l'Autriche prenait un autre parti, elle verrait, en peu de temps, plus de cinquante millions d'hommes de son côté. Suivant lui, toute l'Allemagne, toute l'Italie se déclareraient pour elle... On fait les plus grands efforts pour gagner l'Autriche, on offre l'Italie, les provinces illyriennes, la suprématie de l'Allemagne, enfin le rétablissement de l'ancienne splendeur et la couronne impériale. » Metternich, à l'approche des enchères probables, posait sa mise à prix.

Il se trouvait loin de compte avec Napoléon. Une lettre de lui, datée de Dresde, le 14 décembre, arriva peu de jours après, n'offrant rien et réclamant au contraire le doublement du corps

auxiliaire, 60 000 hommes au lieu de 30 000. Metternich détacha aussitôt à Paris un de ses agens les plus adroits, le comte Bubna, gros militaire plein de cautèle, sous un air de loyauté, sachant voir, entendre, rapporter, faire parler et se taire. Bubna devait préparer l'opération de haute prestidigitation politique qui consistait à dénouer l'alliance pour la transformer en intervention amicale et la conduire, par toute sorte de passages ingénieux et <«< nuances intermédiaires, » à la médiation armée puis à l'hostilité. « Il aura soin, portaient ses instructions (1), de ne pas laisser de doute à Napoléon que toute coopération plus active de notre part serait illusoire; » donc, rien, au delà des 30 000 hommes du corps auxiliaire, et, de ce corps même, le meilleur emploi serait « de le placer, pour ainsi dire en ligne, avec le reste de l'armée autrichienne, » bref de le sortir de l'armée combinée où Napoléon en dispose contre la Russie, pour le fondre dans l'armée de François, qui en disposera, au besoin, contre Napoléon. Bubna protestera d'ailleurs de la fidélité autrichienne à l'alliance, du désir « d'une paix générale sur de larges bases, qui pourrait seule réparer les désastres de la présente campagne. » Il amorcera ainsi « l'intervention >> qui achèverait de dégager l'Autriche, et, pour y induire Napoléon, il insistera sur le péril dont la Russie menace l'Europe; il montrera 'de quelle importance il serait que « l'Autriche présentât à la Russie une masse imposante de résistance, » ce qui mènerait à abroger la clause limitative des forces autrichiennes; enfin, il tâchera de savoir le prix que Napoléon donnerait, le cas échéant, au concours d'une Autriche «< indépendante et renforcée. » Cela fait, Metternich se retourna vers la Prusse.

II

La Prusse traversait une crise analogue, mais infiniment plus pressante et périlleuse, car Napoléon avait limité ses forces totales à 42000 hommes, et elle n'en disposait point, étant occupée par un corps d'armée français, encore intact, qui pouvait paralyser toutes ses mesures. Macdonald se rabattait sur la Prusse, Augereau occupait Berlin avec 20 000 hommes. Ce duc «< sans-culotte >>> demeurait homme à traiter le roi de Prusse, ses ministres et

(1) 20 décembre 1812.

« ForrigeFortsæt »