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raison,

Oui, répondit-il. Tu viens toi-même d'éprouver que j'ai et il montrait la porte qu'elle n'avait pas eu le courage d'ouvrir, — et de me le dire. Après ce qui s'est passé, et avec les sentimens que je t'ai laissé voir, il m'est interdit de vivre entre vous. Ce n'est plus ma place. J'ai rencontré une femme que j'aime et qui m'aime. Elle a toutes mes idées et j'ai tous ses goûts. Nos façons de sentir et nos principes sont identiques. C'est ma femme, enfin celle avec qui je pourrai construire un foyer comme je le rêve. Le pauvre mort l'avait compris, lui. Comprends-le aussi, et donne ton consentement à notre mariage.

-Non fit-elle en dégageant ses mains de l'étreinte suppliante de Lucien. Elle secoua la tête et répéta: - Non... Non... Ma responsabilité de mère ne me le permet pas, en ce moment. Je t'ai demandé d'attendre, mon enfant. Est-ce trop exiger?

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Et moi, interrompit-il en se relevant, je t'ai dit pourquoi je ne veux pas attendre. Ma vie est là devant moi, je veux la vivre. Je le veux et je le dois. Mile Planat a été trop malheureuse et trop injustement. J'ai promis de lui rendre en bonheur tout ce qu'elle a souffert par la cruauté et l'iniquité du monde..... En venant ici, je prévoyais ton refus. Je l'y ai préparée et je l'ai amenée à consentir au parti que je vais te dire... Elle et moi, nous avons la même croyance. Nous pensons que toute la valeur morale du mariage réside uniquement dans l'engagement des consciences. M. Darras a eu beau s'indigner contre cette idée, quand je l'ai énoncée, l'autre jour, je la garde, parce qu'elle est vraie, que je la sens vraie, avec tout ce que j'ai de justice en moi. Le vrai mariage, le seul qui soit absolument exempt de toute convention mensongère, c'est l'union libre. Si j'ai voulu d'abord épouser M11 Planat légalement, c'est que le mariage légal est une preuve publique d'estime. Tu t'opposes à ce que je la lui donne dès maintenant. Je m'incline. Mais, elle et moi, nous avons échangé nos promesses. Nous allons vivre ensemble en union libre. Nous serons méconnus, calomniés. Nous aurons nos consciences pour nous... Nous avons résolu de quitter Paris. Quand je n'aurais pas d'autres raisons pour désirer ce départ, je me considérerais comme tenu de t'épargner les commentaires que ma vie ici, dans ces conditions, provoquerait certainement dans ton entourage... Nous irons en Allemagne. Ma femme y continuera ses études de médecine, et moi, j'y commencerai les miennes. J'ai pris la passion de

cette science. Ma fiancée l'a aussi. Nous travaillerons ensemble. Dans deux ans, je serai libre de légaliser une situation, qui, dès aujourd'hui, est pour moi aussi respectable que le sont peu les beaux mariages dont rêvent mes camarades... Elle a un enfant. Je ne veux pas qu'il traverse ce que j'ai traversé. En le prenant avec nous maintenant, il ne saura jamais que je ne suis pas son père... J'en appelle à ton sens de justice, maman, j'insiste sur ce mot, car, pour moi, tout est là: pourras-tu ne pas m'estimer de vivre ainsi?

Mais toi-même, mon enfant, répondit-elle, t'estimeras-tu de m'avoir abandonnée, moi, ta mère, de n'avoir pas tenu compte du chagrin que tu me causais?

Serait-ce en tenir compte que de rester ici à te torturer le cœur, comme je viens de faire, en torturant le mien?... Je ne t'abandonne pas. Je te laisse à ton mari, à ta fille...

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- Et sans mon fils! implora-t-elle.

-

Maman, répondit-il à ce déchirant soupir, ne m'ôte pas mon courage. Il le faut. C'est mon devoir, même envers toi, il insista: surtout envers toi. Puis, la serrant tout à coup dans ses bras d'une étreinte si passionnée qu'il lui fit mal : — Adieu, dit-il à voix basse, adieu... - Et, avant qu'elle eût pu répondre un mot, il était sorti du petit salon. Le cri: « Lucien ! Lucien! >> qu'elle poussa à deux reprises, ne le fit pas se retourner. Comme l'autre jour, elle entendit le battant de la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer. Le roulement d'une voiture acheva de le lui démontrer cet adieu, d'une si foudroyante soudaineté qu'elle en demeurait comme paralysée d'étonnement, était bien réel.

Il est parti, gémit-elle, parti! parti!... Et il n'est même pas monté là-haut pour embrasser sa sœur!...

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Ce départ du jeune homme avait été épié par une autre personne. On devine laquelle, et si la durée de cet entretien avait paru longue à Darras. Il avait une intelligence trop nette des conséquences que cet entretien du fils et de la mère risquait. d'entraîner, pour ne pas en attendre l'issue avec une anxiété exaspérée jusqu'à l'angoisse. Gabrielle allait-elle obtenir que Lucien consentit à reculer au moins son projet de mariage, et que, d'ici là, il revint à la maison, sinon comme hôte, du moins

comme visiteur? Où bien se rebellerait-il, au contraire? Mettraitil sa mère en demeure de lui répondre, par oui ou par non, tout de suite, et, devant un refus, s'en irait-il, plus séparé d'eux encore qu'auparavant? A cette idée d'une rupture irréparable avec l'enfant du premier lit, des sentimens d'ordre bien différent s'émouvaient à la fois dans le mari de la femme divorcée: une mortelle inquiétude pour l'avenir de son propre ménage, cette catastrophe n'achèverait-elle pas d'exalter chez Gabrielle ces troubles religieux dont leur intimité avait déjà tant souffert? - le déchirement d'une affection blessée, - il aimait vraiment son beau-fils, il l'avait élevé, il en était si fier!... A côté de cela, il frémissait de le constater, cette rupture, c'était la suprême éviction d'un passé si détesté qu'il en éprouvait, dans les arrièrefonds troubles de son cœur, une impression de cruel triomphe. Il avait honte de retrouver de nouveau en lui ces mouvemens d'une haine indigne de son caractère. Mais rougir d'une impression mesquine, ce n'en est pas moins l'avoir... Et l'entretien se prolongeait et sa femme ne venait pas l'appeler. C'était donc qu'elle n'avait pas raison de l'obstiné jeune homme!... Tout d'un coup, il avait entendu, lui aussi, le bruit de la porte ouvertė et refermée. Le roulement de la voiture qui démarrait l'avait fait regarder par la fenêtre... C'était bien le coupé qui avait amené Lucien et qui l'emmenait maintenant. Gabrielle avait échoué!... Albert s'était précipité dans le petit salon où il l'avait trouvée assise sur un fauteuil, immobile, les mains abandonnées sur ses genoux, la tête baissée. Cette dernière preuve de la secrète, de l'inexprimable rancune nourrie par son fils contre son second mariage, ce départ sans un geste de tendresse pour la petite Jeanne avait fini d'accabler la malheureuse. Elle venait de le comprendre pour la première fois entre le demi-frère et la demi-sœur, qu'elle chérissait, elle, d'un égal amour, il n'y aurait jamais de complète union. C'est le pire chagrin pour une mère, quand elle a conçu par deux hommes, que de reconnaître ainsi, dans les enfans qu'elle a eus de l'un et de l'autre, des continuateurs inconsciens 'de la rivalité des pères. La détresse où avait roulé cet esprit de femme, déjà ébranlé par tant d'émotions, était si profonde qu'elle n'entendit pas son mari entrer. Ce fut avec le frisson d'une hypnotisée arrachée à son rêve qu'elle le reconnut, et, lui prenant la main convulsivement :

- Il est parti, gémit-elle, et pour toujours! Il va vivre avec

cette fille sans l'épouser, comme l'autre, dans la honte. Je lui ai tout dit, et ta bonté pour lui, et les doutes que cette rencontre là-bas t'a donnés en leur faveur... Je lui ai demandé de ne pas exiger une réponse immédiate, d'attendre seulement... Rien ne lui a fait. Il a parlé d'aller hors de France avec elle, en Allemagne, étudier la médecine, de reconnaître son enfant!... Ce qu'il veut, c'est ne plus nous voir! Ah! tu avais trop bien deviné pourquoi, parce qu'il hait notre ménage!

- Il est sous l'impression de la mort de son père, répliqua Darras. A la réflexion, il n'est pas possible qu'il ne revienne pas à des sentimens plus équitables, les vrais, ceux qu'il a réellement, et qui ne sont pas haineux... Certes, ce qui nous arrive est bien dur, ma pauvre amie. Mais la désolation est une lâcheté dans la vie de famille comme dans la vie publique. Nous avons fait tout notre devoir. Les circonstances tournent contre nous. Mais nous n'avons rien à nous reprocher et nous pouvons encore trouver des motifs d'espérer... Il va vivre avec cette fille, me dis-tu, en union libre?... Il y a tout de même une doctrine dans l'union libre. Elle est folle, mais ce n'est pas le libertinage. Quand elle est professée sincèrement, comme par lui, elle n'est pas basse, ce n'est donc pas une honte, comme tu le dis. De deux choses l'une ou bien cette fille est de bonne foi, et elle se conduira en conséquence. Alors ils seront amenés, par le simple souci de leurs enfans, à légaliser dans deux ans leur faux mariage. Ou bien, comme je l'ai cru d'abord, c'est une intrigante. Elle ne supportera pas de vivre dans une Université allemande, monotonement, tranquillement. Elle se démasquera, et il ne l'épousera point. Dans l'un et dans l'autre cas, nous le retrouverons. Même à vingt-cinq ans, il devra te demander ton consentement. Si 'cette femme a prouvé qu'elle avait des qualités d'épouse, tu leur donneras ce consentement, et nous les verrons. Si, au contraire, cette liaison aboutit à une rupture, c'est vers nous qu'il se réfugiera. Aie donc du courage, et pense plutôt que cette séparation d'avec nous était sans doute nécessaire. Oui, puisqu'il s'est laissé aller, sous des influences malsaines, à éprouver pour notre ménage une si injuste antipathie, il vaut mieux que nos rapports soient suspendus pour quelque temps. Du moins, c'est un moindre mal... Chérie, du courage, encore cette fois! Appuie-toi sur moi Je t'aimerai pour deux.

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Tu es bon, répondit-elle sans quitter son attitude d'acca

blement, très bon... Mais comment veux-tu que je me rende à tes raisonnemens? Tu m'en as tant fait et tous pareils, depuis ces quinze jours! Tu m'as tant démontré que je devais espérer, ne pas craindre, que Lucien ne persévérerait pas dans son projet, et il y a persévéré; - qu'il n'irait pas demander le consentement de son père, et il y est allé ; que tu avais un moyen sûr d'empêcher ce déplorable mariage, et c'est pire!... Pourquoi

-

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m'as-tu dit toutes ces choses et tant d'autres? Parce que tu ne veux pas que je regarde en face la vérité et que, toi-même, tu ne veux pas la voir. Et cette vérité, c'est celle que m'a énoncée le Père Euvrard. C'est Dieu qui nous frappe dans mon fils. 'Je dis nous, car je ne te sépare pas de moi, mon ami, mon unique ami! Nous sommes liés dans le châtiment comme nous l'avons été dans la faute. Le coup qui me perce le cœur déchire le tien. Je le sais, et que tu aimais Lucien, que tu l'aimes. Tu me parles de courage. Aie celui d'y voir clair et de me permettre d'y voir clair. Nous avons perdu un de nos enfans, mon Albert. Ne perdons pas l'autre !...

Elle s'était redressée, en parlant, sur le fauteuil au bois duquel se crispaient ses mains. Sa voix s'était faite de plus en plus ferme, de plus en plus chaude. Le sang était remonté à ses joues et dans ses yeux brûlait une étrange flamme, que Darras y avait surprise trop souvent cette semaine, pour s'y tromper. Il tressaillit devant cet indice que la fièvre mystique des remords religieux la consumait de nouveau. Depuis que le billet de Lucien annonçant la mort de Chambault était arrivé, le second mari appréhendait la redoutable demande à laquelle la renaissance de sa foi catholique devait nécessairement conduire la divorcée devenue veuve. Au ton pressant de Gabrielle, il devina dans quelle supplication allaient se traduire ces énigmatiques dernières paroles et il interrogea :

- L'autre ? C'est Jeanne. Quel rapport peut-il y avoir entre la chère petite et notre malentendu avec Lucien ? Explique-toi. Pourquoi me parles-tu comme si tu ne m'avais pas comprise, Albert, répondit-elle, quand tu ne m'as que trop comprise? Ne me dis pas que non. Ne me traite plus comme si j'étais une malade. L'heure est trop grave, vois-tu. Nous avons reçu de trop solennels avertissemens. Nous avons perdu Lucien, parce que nous avons été trop coupables, moi surtout, qui croyais, en cédant à la terrible tentation de la criminelle loi du divorce. Il

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