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BIBLIOGRAPHIE DU ROMAN HISTORIQUE

A Guide to the Best Historical Novels and Tales, by Jonathan Nield. (London, Elkin Mathews; New York, G. P. Putnam's sons, 1904.)

C'est une idée ingénieuse, et ce n'est point sans doute une peine inutile, que de dresser la liste des principaux romans historiques d'après les époques auxquelles ils se rapportent, d'indiquer même, plus précisément, le grand fait ou le personnage qui en fournit la matière. On guide ainsi les lecteurs à travers un vaste monde où chacun peut dès lors aller vers les contrées et les figures qui le sollicitent. M. Jonathan Nield ne semble pas s'être proposé d'autre fin dans l'ouvrage qu'il nous donne sous ce titre : A Guide to the Best Historical Novels and Tales. De là le caractère exclusivement pratique de ce livre il se présente, non pas comme un essai de bibliographie générale, propre à éclairer une question de littérature comparée, mais comme un indicateur à l'usage du public anglais. Une division, spécialement préparée « pour la jeunesse, » est consacrée aux romans et nouvelles tirés de l'histoire d'Angleterre depuis la conquête. Dans la partie générale elle-même, la place faite à cette histoire et aux romans écrits en langue anglaise est prépondérante. Ailleurs enfin, dans une liste de cinquante romans donnés comme les chefs-d'œuvre du genre, il y en a trente-quatre anglais, dont treize du seul Walter Scott, contre neuf français, et sept pour le reste de l'Europe. Le corps de l'ouvrage est formé par une nomenclature générale de tous les romans historiques écrits sur l'ère pré-chrétienne et sur chacun des dix-neuf siècles. qui l'ont suivie jusqu'à ce jour. Au total, l'auteur a relevé cinq cent soixante et un noms, dont soixante-sept étrangers, et douze cent

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quarante-sept titres, dont cent cinquante seulement ne représentent pas des œuvres de langue anglaise. Parmi ces dernières, dont il n'indique d'ailleurs point la nationalité; il y en a soixante françaises, cinquante allemandes, et quarante pour les autres pays: Italie, Espagne, Suède, Finlande, Danemark, Pologne, Russie, Hongrie, Belgique flamande. Plus d'un lecteur sera sans doute embarrassé par cette longue suite de noms que ne distingue aucune mention spéciale, et, si personne n'ignore dans quelle langue sont écrites les œuvres de Tolstoy ou d'Alexandre Dumas, il n'en va peut-être pas de même pour Mathilda Malling et Franzos, qui sont Allemands, L. Topelius, qui est Finlandais, et Ingemann, qu'il ne faut pas retirer au Danemark. M. Nield aurait bien dû épargner au lecteur des recherches fastidieuses ou d'inévitables méprises. Mais c'est ainsi, hélas! qu'on entend les livres << pratiques » en Angleterre.

La littérature européenne tout entière ne fournissant guère qu'un dixième de la masse des romans historiques où l'Angleterre figure pour les neuf dixièmes, nous sommes pris d'un doute devant de telles proportions; nous examinons alors d'un peu plus près cet inventaire, et nous sommes frappés de quelques traits: Alexandre Dumas, à qui on fait la part très grosse dans notre littérature, est représenté par vingt-deux romans, mais M. Everett Green en a vingt et M. G. A. Henty vingt-huit; tandis qu'on ne mentionne ni Sous la Hache, de M. Élémir Bourges, ni Hassan le Janissaire, de M. Léon Cahun, ni Autour d'une tiare, de M. Émile Gebhart, ni la Chanoinesse, de M. André Theuriet, on nous invite à lire dix-sept romans de Mme Emma Marshall; et on nous laisse vainement chercher pourquoi la Force, la Ruse, l'Enfant d'Austerlitz, de M. Paul Adam, ne sont pas des romans historiques, alors que l'Ile des Trésors, de R. L. Stevenson, en est un. Le romancier danois Ingemann, qui a composé un cycle national de romans du moyen âge, est représenté par un seul ouvrage, alors que ni l'Enfance d'Erik, traduite en français depuis 1843, ni le Roi Erik et les Bannis, ni bien d'autres, ne sont cités. Voilà comment on fausse fâcheusement les proportions dans un ouvrage de littérature comparée. Si M. Nield se borne à telle ou telle œuvre parce qu'elle est traduite en anglais, qu'il nous le dise, et qu'il déclare ouvertement son dessein tout pratique et tout anglais, au lieu de nous laisser entendre, comme il le fait dans son Introduction, qu'il vise à dresser la bibliographie d'un genre. « Je pense que beaucoup seront surpris de voir dans quelle large mesure nos meilleurs écrivains (anglais et américains) ont abordé le domaine du roman historique. » Cette me

sure est fort large, en effet, trop large même, peut-être; et ce serait une raison de plus pour ne pas nous donner une statistique grâce à laquelle il n'est plus possible de l'évaluer avec quelque rigueur.

Il faudrait donc d'abord réparer des omissions et redresser une partialité inadmissible, si l'on veut, s'élevant au-dessus de la simple utilité, faire parler cette nomenclature, essayer d'en pénétrer la signification.

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Car un tel inventaire présente un intérêt d'ordre plus spéculatif et soulève des questions où l'histoire littéraire est intéressée. D'abord, le choix même des œuvres ou leur exclusion implique une difficulté. Que faut-il entendre par roman historique? Il est bien délicat de déterminer les limites du genre, si même le roman historique est un genre, et l'on ne sait pas toujours ni où il commence ni où il finit. M. Nield en propose cette définition: « Un roman devient historique si l'on y introduit des dates, des personuages ou des événemens qu'on puisse identifier sans hésitation. » Et tout aussitôt il ajoute : « Le roman historique existe d'abord comme fiction. » Pour qu'il y ait roman historique, il faut d'abord qu'il y ait roman. Rien de plus juste. En deçà de cette définition restent donc les œuvres qui se rattachent plutôt à l'histoire qu'au roman, romans didactiques, si l'on peut dire, où la fiction est réduite au minimum et qui ne sont guère plus que des livres scolaires le Chariclès et le Gallus, de Becker; Preston Fight et Guy Fawkes, d'Ainsworth; Thornsdale, de William Smith. Peut-être pourrions-nous donner une idée de ce genre dans notre littérature avec le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, de l'abbé Barthélemy. L'auteur, avec raison, ne les mentionne point. Mais, d'autre part, s'il faut que le roman historique soit un roman, il faut aussi qu'il se rattache à l'histoire; et voici que, dès lors, au delà de la définition s'étend le champ des romans semi-historiques, comme la Lettre Rouge, de Hawthorne (Scarlet Letter); Taras Bulba, de Gogol; Adam Bede, de George Eliot; ou Le capitaine Fracasse, de Théophile Gautier. Beaucoup de romans de Walter Scott sont dans ce cas, parmi lesquels, pour ne citer que les plus populaires, la Fiancée de Lammermoor, Guy Mannering et l'Antiquaire. M. Nield consacre une « liste supplémentaire » à ces livres où, sans que les personnages ni les événemens soient historiques, la couleur générale d'une époque est fidèlement rendue. On ne peut se defendre de la trouver singulièrement fantaisiste. Pourquoi comprend-elle, de George Sand, Consuelo et non Mauprat; les Maîtres masaistes et non les Beaux Messieurs de Bois

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Doré ? Si des œuvres comme le Tom Jones, de Fielding, et Clarissa Harlowe, de Richardson, parce qu'elles peignent la société et les mœurs de leur temps, sont comptées parmi les romans semi-historiques, pourquoi n'y pas admettre le Rouge et le Noir, de Stendhal? Les Paysans, de Balzac, n'ont-ils pas le même droit que l'Adam Bede, de George Eliot? Et n'y faut-il pas réserver une place même à l'Astrée, de d'Urfé? Qu'on prenne garde alors à ce compte, toutes les œuvres d'observation prennent avec le temps un caractère historique. Ce qui était le présent pour Fielding et Richardson, pour Stendhal ou Balzac, est le passé pour nous; ce qui était la vie est devenu l'histoire. Devons-nous qualifier historique un roman qui ne l'était pas d'abord, mais qui l'est devenu par l'importance qu'il a prise dans le triage de l'avenir?

Historiques ou semi-historiques, tous ces romans apparaissent tard. Sur près de douze cent cinquante œuvres, une quinzaine seulement sont antérieures à 1814; toutes les autres sont contemporaines des deux mouvemens romantique et réaliste. C'est que l'histoire et le roman, avant de s'unir, avaient besoin de se constituer. Or, leur existence est récente. Ils impliquent l'un et l'autre la curiosité des choses sensibles et extérieures, le sens de l'individuel et celui du pittoresque. Nous ne voyons poindre ce goût-là que vers la fin du xvII° siècle; il ne se manifestera, avec le sens historique qui en dérive, qu'aux origines du romantisme. Longtemps, l'histoire n'est qu'un champ ouvert devant le goût de l'héroïque, du noble et du rare; elle est naturellement romanesque ; le roman se fait volontiers historique d'apparence tout au moins, car ses récits apocryphes ne sont que de mauvaises épopées, où s'insinue déjà quelque observation et quelque analyse. Les illisibles romans de La Calprenède et de Madeleine de Scudéri ne figurent pas dans l'inventaire de M. Nield, et cela s'entend, s'il ne veut qu'indiquer les romans à lire; mais il les faudrait rétablir en leur place, si nous voulions raisonner sur le roman historique et lui dresser une généalogie, car il est assez significatif de voir le roman, à une époque où il n'a pris aucune conscience de lui-même, demander à l'histoire, qui s'ignore, un intérêt qu'il était «< incapable de trouver dans le récit des aventures privées et dans la peinture des mœurs quotidiennes (1). » Le roman, à cette phase préliminaire, n'intéresse pas pour lui-même, comme représentation de la vie réelle; l'histoire non plus n'intéresse pas par elle-même, comme représentation exacte, (1) Ferdinand Brunetière, Le roman français au XVIII• siècle (Études critiques sur l'Histoire de la Littérature française, 4 série),

minutieuse et documentée du passé. On n'a ni le sens de la vérité, ni le sens historique, qui en est une forme rétrospective, une application à la réalité disparue. Le roman historique n'existe pas parce qu'il n'y a encore ni roman ni histoire.

Que sont donc les quelques œuvres citées par M. Nield et antérieures au XIXe siècle ou plus exactement à l'année 1814, date de Waverley, le premier roman de Walter Scott? Il y en a une française, la Princesse de Clèves, et quinze anglaises, représentant onze auteurs: Defoe, T. Smollet, S. Richardson, Fielding, Goldsmith, Brown, Godwin, Eliz, Helme, Jane Porter, A. M. Porter, Jane Austen.

Avec Mme de La Fayette et la Princesse de Clèves, le réalisme psychologique emprunte le cadre de l'histoire sans souci de la vérité historique. Le roman se rapporte, extérieurement, à la cour de Henri II. En réalité, les personnages sont des contemporains de l'auteur: on les reconnaît sous des noms d'emprunt. Encore faut-il remarquer qu'ils ne nous sont pas représentés dans ce qu'ils ont de particulier, d'historiquement déterminé, mais bien plutôt de général, d'éternel et d'humain. Ce petit chef-d'œuvre procède du même esprit que les tragédies de Racine. Voilà pourtant le seul« roman historique » du xvII° siècle qui figure dans le Guide de M. Nield; et, d'après la fiction, il est rapporté à l'époque de Henri II. Comme on voit bien, par un tel cas, l'artifice de telles classifications!

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Sans s'arrêter ni à la Clarisse Harlowe, de Richardson, ni au Tom Jones, de Fielding, ni au Vicaire de Wakefield, de Goldsmith, ni aux trois autres œuvres qui, classées dans la liste supplémentaire, ne sont pas données comme romans proprement historiques, il faudrait peutêtre, à travers le Journal de la Peste et les Mémoires d'un cavalier, de Daniel Defoe, et le Roderick Random, de Smollet, un roman picaresque, arriver jusqu'au Saint Léon, de Godwin, pour trouver un véritable roman historique. Il se rapporte au xvi° siècle et a pour sujet la bataille de Pavie. Mais déjà une ère nouvelle s'annonçait: il ne faut pas oublier que la première grande publication de Walter Scott, les Minstrelsy of the scottish border, est de 1802-1803. Rien d'étonnant dès lors si Thaddée de Varsovie (1803) et les Chefs écossais (1810) réalisent assez le type du genre pour que l'auteur, Jane Porter, oubliant le précédent de Godwin, s'en réclame hardiment comme d'un titre à son invention. La voie était ouverte. « D'autres dames, avec le courage de leur sexe, mais avec une connaissance du sujet remarquablement plus faible, s'en prirent à la muse de l'histoire. Rien ne fut fait de réellement important jusqu'à ce que sir Walter Scott eût tourné son

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