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QUELQUES NOTES

SUR

LA CÉRÉMONIE DU THÉ AU JAPON

PAR

E. DESHAYES,

Conservateur adjoint au Musée Guimet.

PARIS.

(Avec Pl. XII & XIII.)

Ce n'est pas sans raison que le Musée Guimet dans sa galerie de céramique japonaise a consacré une vitrine entière aux objets de la Cérémonie du Thé. Celle-ci a de tout temps exercé une influence prépondérante sur l'art du potier au Japon.

La notice suivante 1), suspendue auprès de cette vitrine résume brièvement et pour un temps ce qu'il est indispensable de savoir sur le Tcha no you) (nom japonais de la Cérémonie du thé).

La Cérémonie du thé où comprend un ensemble de prescriptions très minutieuses relatives à la manière de préparer et de boire le thé dans des réunions spéciales; depuis l'arrivée des invités, en nombre limité, jusqu'à leur départ, aucun geste, aucun mouvement n'est laissé au hasard: les sujets de conversation même sont déterminés.

Le pavillon (Pl. XII Fig. 2) où l'on se réunit, les matériaux dont il est construit, ses dimensions, sa décoration, la disposition du jardin qui l'entoure (Pl. XII Fig. 1); de même que la forme, la matière, le nombre des objets utilisés, tout est prévu, réglé.

En général la boisson de ces cérémonies est faite d'un thé spécial réduit en poudre impalpable, fortement agité dans l'eau chaude.

Elle est préparée bol à bol par l'hôte ou l'un de ses invités en présence des autres convives, et bue telle que. Pour chaque préparation le même rite est rigoureusement observé avec les mouvements lents et solennels des cérémonies religieuses. Diriger ces cérémonies est une science qui a eu, et a encore ses professeurs et demande une longue pratique. De nombreux livres renferment les prescriptions du Tcha no you, qui varient selon

1) J'ai été obligé de réduire cette notice aux dimensions qui m'étaient fournies par le panneau mis à ma disposition auprès de la vitrine. On comprendra combien il fallait être bref pour ne pas fatiguer l'attention du promeneur qui veut bien lire les explications données par les étiquettes. Pour de plus amples détails lire FUNK, „Mittheilungen der deutschen Gesellsch. für Natur- und Völkerkunde Ostasiens" 1874, Xbre p. 41; FRANKS, Japanese Pottery, Guide au South Kensington; CHAMBERLAIN, Things japanese; MORSE, Japanese Homes; J. J. REIN, ANDERSON, BRINKLEY, Dixon, NinAGAVA NORITANÉ, etc. etc.

2) Cha, Thé; no, du; you, eau chaude.

I. A. f. E. VII.

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les écoles. Ils donnent en même temps le nom des familles où de père en fils on s'est succédé dans l'exercice de cet art.

Ces cérémonies naquirent sans doute en même temps que l'usage du thé, introduit et propagé par des prêtres bouddhistes du neuvième au douzième siècle.

Au treizième siècle, le prêtre YEÏ SAï donne dans un mémoire la manière de préparer et de boire le thé.

Au quatorzième siècle, des réunions pour boire le thé sont l'occasion de fêtes somptueuses dans l'aristocratie.

Portrait de SEN RIKIOU tiré du Wa kan mei goua yen 2).

Les premières règles parvenues jusqu'à nous, paraissent dater de la fin du quinzième siècle. Elles auraient été élaborées par le prêtre SHOUKO, qui, en tout cas, a la bonne fortune de les faire adopter par le Shogoun YOSTHI MASSA, son élève.

Cependant ce n'est qu'un siècle plus tard qu'est institué le type des codes qui régissent encore le Tcha no you.

Il est rédigé par le célèbre SEN RIKIOU (1517-1591), le favori du dictateur HIDEYOSHI (TAÏ KO SAMA).

Grâce à ces deux hommes, les céré monies du thé jouissent d'une vogue extraordinaire. Elles président, à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, à une des plus brillantes périodes de production céramique.

C'est pour les cérémonies du thé et par elles que de toutes parts les fours s'élèvent et fabriquent.

C'est aussi surtout à cette époque que se trouve consacré l'usage des poteries anciennes et contemporaines; lesquelles, dès lors, vont s'imposer à la vénération et à l'admiration des Tchajins 1). Elles constituent une industrie très originale, très particulière au Japon, où se montrent tour à tour des préoccupations artistiques et archéologiques à la ligne. Ces cérémonies, quelque peu tombées en désuétude dans ces derniers temps, n'ont cependant pas cessé d'avoir leurs zélés partisans. Actuellement elles auraient tendance à redevenir en faveur.

Bien qu'il fut interdit de causer de tout autre sujet que du thé et de la cérémonie elle même, il est certain qu'à l'époque des guerres civiles le Tcha no you fut utilisé par la politique des seigneurs et des chefs du pouvoir.

1) On donne le nom de Tchajin aux amateurs des cérémonies du Thé.

2) Au musée Guimet 17903-8 T. 2. IV.

Les objets essentiels de la cérémonie du thé, dont quelques uns varient de matière et de forme selon l'époque de l'année, ont été groupés sur le rayon du bas de la vitrine du Musée Guimet d'après une gravure du YAMATO SETZOU YO CHIOU, publié en 1829, et différents autres livres.

En voici la nomenclature:

Un moulin à thé en pierre (Ishiouzou), fait de deux cylindres superposés. Le cylindre inférieur entouré d'un rebord légèrement creusé pour recevoir la poudre de thé, est surmonté d'une tige de bois

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autour de laquelle le second cylindre, percé de part en part, est mobile. Les deux surfaces en contact sont striées de manière à retenir les feuilles de thé et à les broyer.

Un fourneau (fouro) (10) tantôt mobile, ou faisant corps avec la marmite, (11) tantôt creusé dans le sol. Dans ce dernier cas, on l'entoure d'un cadre de bois (robouchi) (32) et la marmite repose sur un trépied (gotokou) (26) en fonte.

Une marmite en fonte (kama) (11) pour faire bouillir l'eau.

Une coupe à cendre. (27) Les cendres servent à garnir le fond du fourneau; elles sont tassées et égalisées

à l'aide de pelles. (29)

Une pelle à enlever les cendres. (29)

Une pelle pour les égaliser. (29)

Un panier à charbon (soumi tori). (12)

Du charbon de longueur voulue.

Des pincettes (Hibashi) (28 et 31) faites de deux tiges de fer, indépendantes l'une de l'autre.

Un petit pot en grès (Tchaire) (18) ou une boite en laque (Nadsoumé) (3) pour mettre la poudre de thé Une spatule à puiser la poudre de thé (Tchachakou) (1) et son étui. (2)

Un bol (Tchawan). (14 et 15)

Un agitateur (Tchasen) pour agiter la boisson. (20)

Un kogo, (8 et 9) boîte à mettre les parfums solidifiés, que l'on jette sur le feu pour enlever l'odeur du charbon.

Un vase à eau (Midzousashi) pour alimenter la marmite. (24)

Une cuillère en bambou et à long manche pour puiser cette eau. (5)

Un Midzou Koboshi, (21) coupe pour jeter l'eau avec laquelle on a lavé le bol chaque fois qu'il a servi. Un Tchakin, (23) morceau de toile carré, pour essuyer le bol.

Un Fouta oki, (6 et 7) objet de forme variable sur lequel on pose le couvercle de la marmite lorsqu'on doit y puiser de l'eau.

Un petit Foukousa, (17) morceau de soie pour présenter et tenir le bol.

Deux anneaux, Kouwan, (19) que l'on passe dans les oreillons de la marmite, lorsqu'on veut la déplacer. Une sorte de plumeau, Habaki, (25) formé de trois plumes superposées, destiné à nettoyer autour du fourneau.

Une pte. natte pour poser la marmite.

Un support de lampe. (Tan kei). (16)

Une sorte de crémaillére (Ji zaï). (30)

La chambre disposée spécialement pour le Tcha no you doit être décorée d'un Kakemono dont le sujet est approprié au rang et à la qualité des personnes réunies; et de fleurs disposées selon les règles prescrites, dans des vases de forme déterminées. 1)

Qu'on le veuille ou non, qu'on partage les goûts des Tchajins ou qu'on les critique même aussi vertement que MOTOORI) qui va jusqu'à prétendre, en quelques lignes humoristiques, que rien de ce qui passionne les admirateurs du Tcha no you ne possède une parcelle d'interét ou de beauté, on est forcé de tenir un compte énorme de ces cérémonies, de leur donner une place très importante dans l'histoire de l'évolution sociale des Japonais. Une de leurs conséquences fut de développer au plus haut point la passion de l'objet rare, ou ancien, ou rendu intéressant par une circonstance quelconque. Trois estampes de KOUNYOSHI, exposées au Musée Guimet, sont très suggestives à ce sujet.

Elles ont trait à des épisodes de la seconde moitié du XVIe siècle. 3)

La première (Pl. XIII fig. 1) représente un vieillard assis sur une peau de tigre qui, d'un geste violent, a lancé contre terre une de ces marmites telles qu'on emploie dans le Tcha no you. Elle est brisée et ses éclats jonchent le sol.

L'acte vient de s'accomplir, le bras est encore tendu et le visage exprime un farouche désespoir qu'accentuent encore de longs cheveux en coup de vent, et une barbe hérissée. A la droite du vieillard est son armure, à sa gauche ses brassards et devant lui, gisant à terre, son petit sabre dont la lame est en partie enveloppée.

) Nous avons supprimé cette nomenclature sur la notice du musée, les objets étant étiquetés.

2) MOTOORI, un des écrivains les plus distingués du siècle dernier dont l'influence a été aussi puissante en politique qu'en littérature. Il a préparé avec MABOUCHI († 1769) et HIRATA († 1843) le mouvement qui a remis le Mikado en possession du pouvoir en 1868. Il est mort en 1801. Les appréciations auxquelles nous faisons allusion sont renfermées dans un livre intitulé Tama gatsouma, sorte de recueil d'essais sur toutes sortes de sujets (CHAMBERLAIN, Transact. of the Royal As. Soc.).

3) NOBOUNAGA († 1582) le prédécesseur de HIDEYOSHI (TAÏKO SAMA), collectionnait les peintures et les objets de curiosité (V. Noritané p. 4, 3e partie).

Ses vêtements entr'ouverts laissent voir sa poitrine nue.

Il va se faire harakiri 1).

C'est le général Matsounaga HISSAHIDE 2). Possesseur d'une marmite 3) célèbre connue sous le nom de HIRAGOUMO il avait constamment refusé de la céder à NOBOUNAGA, malgré les ordres et la puissante autorité du dictateur. Révolté plus tard contre lui, battu et assiégé dans son Chateau, il aima mieux, avant de se donner la mort, briser la marmite ardemment convoitée, que de la laisser tomber entre les mains de son ennemi.

La seconde (Pl. XIII fig. 2), un guerrier plus jeune assis sur une natte, vêtu de son armure et coiffé d'un haut bonnet serré sur sa tête par un étroit bandeau. Il tient en partie déroulé entre ses mains un Makimono sur lequel on peut lire l'énumération suivante:

Un pot à thé appelé meï ga saï.

Un vase à eau appelé koufougou.

Un moune no Temmokou (bol).

Un Kakemono représentant un faucon peint par l'empereur (Chinois) HwEÏ TSOUNG (XIIe siècle).

Devant lui, quelques uns de ces objets sont représentés et d'autres encore:

un brûle-parfum sur un socle en laque rouge, des branches de corail émergeant de vases de différentes formes.

AKETCHIE MITSOUSHIGUÉ après avoir, par trahison, livré à NOBOUNAGA dont il était le général favori, le combat où celui-ci trouvait la mort, s'était emparé de ses collections d'objets précieux.

Peu après, attaqué par HIDEYOSHI (TAÏKO SAMA), venu pour venger son maître, et se voyant perdu, il dressa la nomenclature de ces objets et l'envoya en même temps que les objets eux-mêmes à son futur vainqueur. Il n'avait pas le courage, lui faisait-il dire, de détruire inutilement de pareils trésors. Il les avait eu seulement treize jours dans sa possession.

La troisième (Pl. XIII fig. 3) NAGAMOURA BOUNKASSAI MITCHIYE, fidèle officier de SHIBATA KATSOUIYÉ autre général de NOBOunaga.

Il est debout, tête nue, et tient son petit sabre de son écritoire, quelques feuilles de papier gisent à terre.

la main gauche son casque,

À

A sa droite sont différents

objets serrés dans leur boîte ou enveloppés de leur étui de soie, et dans un vase une branche de corail. Son visage exprime une énergique résolution soulignée par son bras tendu. Il regarde un peu au dessus de lui les menus éclats d'un objet qui est venu se briser contre un obstacle resté en dehors du champ de la gravure.

Au moment de se suicider, KATSOUIYÉ ayant réuni dans sa chambre tous les objets de sa collection, en choisit un de grande valeur, et l'offrit à NAGAMOURA en souvenir de son amitié. Celui-ci après l'avoir reçu avec toutes les marques de la plus grande déférence, se leva et le jeta avec force contre une des colonnes de la chambre, le brisant en mille pièces. Il voulait prouver ainsi qu'il ne survivrait pas à son maître, et en effet, le lendemain, au lever du soleil, NAGAMOURA et lui se donnaient la mort.

1) Sorte de suicide honorifique qui consiste en s'ouvrir le ventre.

2) D'abord sous les ordres des ASHIKAGA; fit après leur chute sa soumission à NOBOUNAGA.

3) L'histoire désigne un pot à thé.

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