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«< ni trop honnête. Un meilleur eût mérité de ne pas « être sacrifié à cette occasion; un pire n'aurait pas répondu à notre idée. Quand vous serez lasse de lui, vous savez le remède1. » C'est ainsi qu'on ménage les sentiments d'une femme, surtout d'une femme qu'on a aimée. Pour comble, ce délicat entretien a pour but de faire entrer la pauvre délaissée dans une intrigue basse qui procurera à Mirabell une jolie femme et une belle dot. Certainement le gentleman sait son monde, on ne saurait mieux que lui employer une ancienne maîtresse. Voilà les personnages cultivés de ce théâtre, aussi malhonnêtes que les personnages incultes ayant transformé les mauvais instincts en vices réfléchis, la concupiscence en débauche, la brutalité en cynisme, la perversité en dépravation; égoïstes de parti pris, sensuels avec calcul, immoraux de maximes, réduisant les sentiments à l'intérêt, l'honneur aux bienséances, et le bonheur au plaisir.

La restauration anglaise tout entière fut une de ces grandes crises qui, en faussant le développement d'une société et d'une littérature, manifestent l'esprit intérieur qu'elles altèrent et qui les contredit. Ni les forces n'ont manqué à cette société, ni le talent n'a manqué à cette littérature; les hommes du monde ont été polis, et les écrivains ont été inventifs. On eut une cour, des salons, une conversation,

1. A better man ought no to have been sacrificed to the occasion; a worse had not answered the purpose. When you are weary of him, you know your remedy.

la vie mondaine, le goût des lettres, l'exemple de la France, la paix, le loisir, le voisinage des sciences, de la politique, de la théologie, bref toutes les circonstances heureuses qui peuvent élever l'esprit et civiliser les mœurs. On eut la vigueur satirique de Wycherley, le brillant dialogue et la fine moquerie de Congreve, le franc naturel et l'entrain de Vanbrugh, les inventions multipliées de Farquhar, breftoutes les ressources qui peuvent nourrir l'esprit comique et ajouter un vrai théâtre aux meilleures constructions de l'esprit humain. Rien n'aboutit, et tout avorta. Ce monde n'a laissé qu'un souvenir de corruption : cette comédie est demeurée un répertoire de vices; cette société n'a eu qu'une élégance salie; cette littérature n'a atteint qu'un esprit refroidi. Les mœurs ont été grossières ourivoles; les idées sont demeurées incomplètes ou futiles. Par dégoût et par contraste, une révolution se préparait dans les inclinations littéraires et dans les habitudes morales en même temps que dans les croyances générales et dans la constitution politique. L'homme changeait tout entier, et d'une seule volte-face. La même répugnance et la même expérience le détachaient de toutes les parties de son ancien état. L'Anglais découvrait qu'il n'est point monarchique, papiste, ni sceptique, mais libéral, protestant et croyant. Il comprenait qu'il n'est point viveur ni mondain, mais réfléchi et intérieur. Il y a en lui un trop violent courant de vie animale pour qu'il puisse, sans danger, se lâcher du côté de la jouissance; il lui faut une barrière de

raisonnements moraux qui réprime ses débordements. Il y a en lui un trop fort courant d'attention et de volonté pour qu'il puisse s'employer à porter des bagatelles; il lui faut quelque lourd travail utile qui dépense sa force. Il a besoin d'une digue et d'un emploi. Il lui faut une constitution et une religion qui le refrènent par des devoirs à observer, et qui l'occupent par des droits à défendre. Il n'est bien que dans la vie sérieuse et réglée; il y trouve le canal naturel et le débouché nécessaire de ses facultés et de ses passions. Dès à présent il y entre, et ce théâtre luimême en porte la marque. Il se défait et se transforme. Collier l'a discrédité, Addison le blâme. Le sentiment national s'y réveille : les mœurs françaises y sont raillées; les prologues célèbrent les défaites de Louis XIV; on y présente sous un jour ridicule ou odieux la licence, l'élégance et la religion de sa cour'. L'immoralité par degrès y diminue, le mariage est plus respecté, les héroïnes ne vont plus qu'au bord de l'adultère'; les viveurs s'arrêtent au moment scabreux: tel à cet instant se dit purifié et parle en vers pour mieux marquer son enthousiasme, tel loue le mariage3; quelques-uns, au cinquième acte, aspirent à la vie rangée. On verra bientôt Steele écrire une pièce morale intitulée le Héros chrétien.

1. Rôle du chapelain Foigard dans Farquhar (Beaux Stratagem), de Mademoiselle, et en général, de tous les Français.

2. Rôle d'Amanda dans Relapse (Vanbrugh); ròle de mistress Sullen, conversion des deux viveurs, dans The Beaux Stratagem (Farquhar).

3. Though marriage be a lottery in which there are a won

Désormais la comédie décline, et le talent littéraire se porte ailleurs. L'essai, le roman, le pamphlet, la dissertation, remplacent le drame, et l'esprit anglais classique, abandonnant des genres qui répugnent à sa structure, commence les grandes œuvres qui vont l'éterniser et l'exprimer.

X

Cependant, dans ce déclin continu de l'invention théâtrale et dans ce vaste déplacement de la séve littéraire, quelques pousses percent encore de loin en loin du côté de la comédie; c'est que les hommes ont toujours envie de se divertir, et que le théâtre est toujours un lieu de divertissement. Une fois que l'arbre est planté, il subsiste, maigrement sans doute, avec de longs intervalles de sécheresse presque complète et d'avortements presque constants, destiné pourtant à des renouvellements imparfaits, à des demi-floraisons passagères, parfois à des productions inférieures qui bourgeonnent dans ses plus bas rameaux. Même lorsque les grands sujets sont épuisés, il y a place encore çà et là pour des inventions heureuses. Qu'un homme d'esprit, adroit, exercé, se rencontre, il saisira les grotesques au passage; il

drous many blanks, yet there is one inestimable lot, in which the only heaven upon earth is written.

To be capable of loving one, doubtless is better than to possess a thousand. (Vanbrugh.)

portera sur la scène quelque vice ou quelque travers de son temps; le public accourra, et ne demandera pas mieux que de se reconnaître et de rire. Il y eut un de ces succès, lorsque Gay, dans son Opéra du Gueux, mit en scène la coquinerie du grand monde, et vengea le public de Walpole et de la cour. Il y eut un de ces succès, lorsque Goldsmith, inventant une série de méprises, conduisit son héros et son auditoire à travers cinq actes de quiproquos'. Après tout, si la vraie comédie ne peut vivre qu'en certains siècles, la comédie ordinaire peut vivre dans tous les siècles. Elle est trop voisine du pamphlet, du roman, de la satire, pour ne pas se relever de temps en temps par le voisinage du roman, de la satire et du pamphlet. Si j'ai un ennemi, au lieu de l'attaquer dans une brochure, je puis le transporter sur les planches. Si je suis capable de bien peindre un personnage dans un récit, je ne suis pas fort éloigné du talent qui rassemblera toute l'âme de ce personnage en quelques réponses. Si je sais railler joliment un vice dans une pièce de vers, je parviendrai sans trop d'efforts à faire parler ce vice par la bouche d'un acteur. Du moins, je serai tenté de l'entreprendre; je serai séduit par l'éclat extraordinaire que la rampe, la déclamation, la mise en scène donnent à une idée; j'essayerai de porter la mienne sous cette lumière intense; je m'y emploierai, quand même il s'agirait pour cela de forcer un peu ou

1. She stoops to conquer.

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