Billeder på siden
PDF
ePub

débuts, il avait exercé ses membres'. De retour en Angleterre, âgé de dix-neuf ans, il monta sur les planches pour gagner sa vie, et se mit aussi à remanier des drames. Ayant été provoqué, il se battit, tua son adversaire et fut grièvement blessé; là-dessus, il fut jeté en prison et se trouva « voisin de la potence. » Un prêtre catholique le visita et le convertit; au sortir de prison, sans le sou, n'ayant que vingt ans, il se maria. Enfin, deux ans après, il parvint à faire jouer sa première pièce. Les enfants arrivaient, il fallait leur gagner du pain, et il n'était pas pour cela d'humeur à suivre la route battue, étant persuadé qu'il fallait mettre dans la comédie « une belle philosophie, >> une noblesse et une dignité particulières, suivre les exemples des anciens, imiter leur sévérité et leur correction, dédaigner le tapage théâtral et les grossières invraisemblances où la canaille se complaît. Il proclama tout haut son projet dans ses préfaces, railla durement ses adversaires, étala fièrement en scène ses doctrines, sa morale et sa personne. Il gagna ainsi des ennemis acharnés, qui le diffamèrent outrageusement en plein théâtre, qu'il exaspéra par la violence de ses satires, et contre lesquels il lutta sans trêve et jusqu'à la fin. Bien plus, il s'érigea en juge de la corruption publique, attaqua rudement les vices régnants, <«< sans craindre les poisons des courtisanes, ni les

1. A quarante-quatre ans, il s'en alla en Écosse à pied. 2. Rôles de Critès et d'Asper.

poignards des coupe-jarrets. » Il traita ses auditeurs en écoliers, et leur parla toujours en censeur et en maître. Au besoin, il risquait davantage. Marston et Chapman, ses camarades, avaient été mis en prison pour un mot irrévérencieux d'une de leurs pièces, et le bruit courait qu'ils allaient avoir le nez et les oreilles coupés. Jonson, qui avait pris part à la pièce, alla volontairement se constituer prisonnier, et obtint leur grâce. A son retour, dans le repas des réjouissances, sa mère lui montra un violent poison qu'elle aurait mis dans sa boisson pour le soustraire à la sentence, et « pour montrer qu'elle n'était pas poltronne, ajoute Jonson, elle était résolue à boire la première. » On voit qu'en fait d'actions vigoureuses, il trouvait des exemples dans sa famille. Vers la fin de sa vie, l'argent lui manqua ; il était libéral, imprévoyant, et ses poches avaient été toujours trouées, comme sa main toujours ouverte ; quoiqu'il eût écrit immensément, il était obligé d'écrire encore afin de vivre. La paralysie vint, le scorbut redoubla, l'hydropisie commençait. Il ne pouvait plus quitter sa chambre, ni marcher sans aide dans sa chambre. Ses dernières pièces ne réussissaient point. « Si vous attendiez plus que vous n'avez eu ce soir, disait-il dans un épilogue', songez que l'auteur est malade et triste.... Tout ce que sa langue débile et balbutiante implore, c'est que vous n'imputiez point la faute à sa cervelle, qui est encore intacte quoique

1. New Inn, 1627.

enveloppée de douleur et incapable de tenir longtemps encore'. >> Ses ennemis l'injuriaient brutalement, raillaient « son Pégase poussif,» son ventre euflé, sa tête malade. Son collègue, Inigo Jones, lui ôtait le patronage de la Cour. Il était obligé de mendier un secours d'argent auprès du lord trésorier, puis auprès du comte de Newcastle; sa triste «< muse bloquée, claquemurée, étriquée, clouée à son lit, incapable de retrouver la santé ou même le souffle3, » haletait et peinait pour ramasser quelque idée ou obtenir quelque aumône. Sa femme et ses enfants étaient morts; il vivait seul, délaissé, servi par une vieille femme. Ainsi traîne et finit presque toujours lugubrement et misérablement le dernier acte de la comédie huinaine; au bout de tant d'années, après tant d'efforts soutenus, parmi tant de gloire et de génie, on aperçoit un pauvre corps affaibli qui radote et agonise entre une servante et un curé.

1.

2.

3.

If you expect more than you had to-night.

The maker is sick and sad....

All that his faint and faltering tongue doth crave,

Is, that you not impute it to his brain,

That's yet unhurt, although, set round with pain,
It cannot long hold out.

(The new Inn, épilogue.)

Thy Pegasus....

He had bequeathed his belly unto thee
To hold that little learning which is fled,
Into thy guts from out thy emptye head.

Disease the enemy, and his engineers,
Want, with the rest of his conceal'd compeers
Have cast a trench about me, now five years....
The muse not peeps out, one of hundred days;
But lies block'd up, and straiten'd, narrow'd in,

II

Voilà une vie de combattant, bravement portée, digne du seizième siècle par ses traverses et son énergie; partout le courage et la force ont surabondé. Peu d'écrivains ont travaillé plus consciencieusement et davantage; son savoir était énorme, et dans ce temps des grands érudits, il fut un des meilleurs humanistes de son temps, aussi profond que minutieux et complet, ayant étudié les moindres détails et compris le véritable esprit de la vie antique. Ce n'était pas assez pour lui de s'être rempli des auteurs illustres, d'avoir leur œuvre entière incessamment présente, de semer volontairement et involontairement toutes ses pages de leurs souvenirs. Il s'enfonçait dans les rhéteurs, dans les critiques, dans les scholiastes, dans les grammairiens et les compilateurs de bas étage; il ramassait des fragments épars; il prenait des caractères, des plaisanteries, des délicatesses dans Athénée, dans Libanius, dans Philostrate. Il avait si bien pénétré et retourné les idées grecques et romaines, qu'elles s'étaient incorporées aux siennes. Elles entrent dans son discours sans disparate; elles renaissent en lui aussi vivantes qu'au premier jour; il invente lors même qu'il se

Fix'd to bed and boards, unlike to win
Health, or scarce breath, as she had never been.

(An Epistle mendicant, 1631.)

souvient. En tout sujet il portait cette soif de science, et ce don de maîtriser sa science. Il savait l'alchimie quand il écrivit l'Alchimiste. Il manie les alambics, les cornues, les récipients, comme s'il avait passé sa vie à chercher le grand œuvre. Il explique l'incinération, la calcination, l'imbibition, la rectification, la réverbération, aussi bien qu'Agrippa et Paracelse. S'il traite des cosmétiques', il en étale toute une boutique; on ferait avec ses pièces un dictionnaire des jurons et des habits des courtisans; il semble spécial en tout genre. Une preuve de force encore plus grande, c'est que son érudition ne nuit point à sa verve; si lourde que soit la masse dont il se charge, il la porte sans fléchir. Cet étonnant amas de lectures et d'observations s'ébranle en un moment tout entier et tombe comme une montagne sur le lecteur accablé. Il faut écouter sir Épicure Mammon dérouler le tableau des magnificences et des débauches où il va se plonger quand il saura fabriquer l'or. Les impudicités raffinées et effrénées de la décadence romaine, les obscénités splendides d'Héliogabale, les fantaisies gigantesques du luxe et de la luxure, les tables d'or comblées de mets étrangers, les breuvages de perles dissoutes, la nature dépeuplée pour fournir un plat, les attentats accumulés par la sensualité contre la nature, la raison et la justice, le plaisir de braver et d'outrager la loi, toutes ces images passent devant les yeux

1. The Devis is an ass.

« ForrigeFortsæt »