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LA POÉSIE

BRETONNE CONTEMPORAINE (1)

(1889-1899).

MESDAMES,
MESSIEURS,

L'historien national de la Bretagne, M. Arthur de la Borderie, eut naguère un mot qui fit fortune : « La Bretagne est une poésie. »

En effet, c'est une poésie par les splendides exploits de ses héros, les admirables légendes de ses vieux saints, l'infinie variété de ses paysages toujours pittoresques, et surtout par l'originalité de ses costumes, de sa langue, de ses mœurs, de ses croyances et de ses traditions: « poésie rustique dont la fraîcheur embaume comme une senteur d'aubépine, et que Brizeux appelle très heureusement une vivante harmonie. »

Vous savez, Mesdames, Messieurs, que les œuvres de nos grands prosateurs : Châteaubriand, Lamennais, Jules Simon, Ernest Renan, en sont imprégnées aussi bien que les Chansons populaires recueillies par la Vil

(1) Causerie faite à Paris à la fin de mai 1899.

La Poésie Contemporaine (365)

lemarqué, Luzel, Sébillot ou que les moindres strophes du chantre de Marie et des Bretons. Mais, faute de temps et pour ne point faire double emploi avec le volume très intéressant de M. Joseph Rousse sur la poésie bretonne depuis le début de notre siècle jusqu'en 1880, nous restreindrons le champ de notre étude. L'esquisse du mouvement poétique breton depuis une dizaine d'années, tel sera, si vous le voulez bien, l'objet de cette causerie pour laquelle nous avons l'honneur de solliciter toute votre indulgence. Et encore ne parleronsnous ni de la chanson qui a valu à Théodore Botrel, Léon Durocher et Yann Nibor une si grande notoriété, ni de la poésie dramatique où se sont particulièrement distingués Durocher, Olivier de Gourcuff, Eugène Le Mouël et Louis Tiercelin! Ainsi, nous pourrons étudier d'une manière quelque peu détaillée la poésie lyrique bretonnante et française et insister sur les œuvres qui ont eu le plus de retentissement en Bretagne, ou dans lesquelles nous trouverons le mieux dépeints les traits caractéristiques de la terre et de l'âme bretonnes.

I

Les richesses poétiques de l'une et de l'autre étaient bien connues de Louis Tiercelin et de J.-Guy Ropartz, quand, après l'inauguration de la statue de Brizeux, due au délicat ciseau de notre compatriote Pierre Ogé, ils pensèrent à réunir en un volume quelques-unes des œuvres de poètes contemporains soit nés, soit acclimatés en Bretagne, soit issus de parents bretons. Mais ils ne se doutaient point du nombre et de l'importance des envois. La sélection nécessaire une fois faite, Le Parnasse Breton contint des pièces d'une centaine de poètes, la

plupart inédites ou peu connues, et l'on put y lire, par exemple, à côté de chefs-d'œuvre du maître Leconte de Lisle, le premier sonnet d'un jeune homme de dixneuf ans, Marcel Béliard, qui s'intitulait : Le plus petit follet de la côte bretonne.

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<«< Nous avons espéré », disait Tiercelin dans la préface, « que de cette réunion fortuite l'union naîtrait << entre passionnés du même art; qu'en apprenant à << connaître les autres, chacun se jugerait mieux; qu'en groupant les poètes sous la bannière de la Bre<«<tagne, plus de sympathie irait vers eux... Nous <<< avons cru ainsi, faisant œuvre de bons Bretons, << nouer un lien solide, favoriser un mouvement utile, << provoquer des jugements sincères et profitables et, «< par là, déterminer un progrès. »

Le succès de leur publication dépassa les espérances de Tiercelin et Ropartz aussi voulurent-ils par la fondation d'une revue mensuelle transformer en un lien durable le lien momentanément établi entre les poètes bretons. Telle fut l'origine de L'Hermine dont le premier numéro parut à Rennes en octobre 1889 avec des vers de Charles Le Goffic, que son délicieux recueil Amour Breton venait de révéler au public, de Mme Sophie Hüe, l'auteur des Maternelles, et d'Edouard Beaufils. Nous retrouvons ces noms et ceux de Louis Tiercelin, Sullian Collin, Lud Jan, Anatole Le Braz, Frédéric Plessis, Thomas Maisonneuve, Frédéric Blin, Henri Droniou, Louis Daligaut, Stanislas Millet, Xavier d'Haucour, Eugène Le Mouël, etc., dans les exemplaires suivants de L'Hermine et dans les dix livraisons du Pour Fuir, recueil de vers inédits. On n'a pas oublié à Rennes les magnifiques soirées où les poètes disaient leurs vers, et les joyeux banquets dans les

quels ils se réunissaient pour fêter l'apparition des volumes de leurs confrères. C'est ainsi que, de 1890 à 1892, furent fêtés successivement: Les Chrysanthèmes, d'Edouard Beaufils, Dans la Bruyère, de Lud Jan, et Chansons Douces, de Charles Bernard, Par la Lande, de Victor Thomas, et Sous les Chênes de Jos Parker, La Chanson de la Bretagne, d'Anatole Le Braz... Si l'on veut avoir une idée de l'enthousiasme qui régnait en ces fraternelles agapes, il suffit de se reporter au récit du banquet du 4 avril 1891. Parker et Le Braz étaient venus de Cornouaille en costume breton. Pilven (Le Sévellec) les salua dans la langue bretonne et, dans ce même idiome, Le Braz répondit :

Gars de la Haute-Bretagne, Tiercelin a fait une chose grande. Il a rassemblé autour de lui quiconque rêve de voir encore la bannière de Bretagne onduler au vent, quiconque est prêt à maintenir droite sa hampe. Mon cœur à moi se prend à bondir, quand je vois combien de Bretons montent encore la bonne garde autour de la vieille patrie... Un temps à venir, il sera fait état de nous dans le monde, comme autrefois. Dans ce temps-là, vous, les gars de la Haute-Bretagne, vous entendrez, j'en suis sûr, la langue dans laquelle vous parle aujourd'hui un Cornouaillais, et d'un bout à l'autre de la Bretagne, cœur, langue, costume, tout sera breton. »

Le Braz avait entendu l'éloquent appel que, de Rennes, lui adressait Edouard Beaufils:

O frères, encore un coup, ne désespérons pas !
Chez nous le désespoir n'est connu que du lâche,
Et pour que la Bretagne ait raison du trépas,
Sachons ne point faillir à notre sainte tâche.

Vivons parmi les gens de la glèbe, vivons
Dans la communion des histoires passées,

Avec tous ceux dont les yeux vagues et profonds
Reflètent la candeur natale des pensées.

Dans l'idiome ancien, chaque jour, disons-leur
Les mots qui font aimer l'Armor et vont à l'âme
Et la vieille foi celte en ce rêve meilleur

Que l'idéal chez nous éclaira de sa flamme.

La plupart des poètes de L'Hermine collaboraient également à la Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou publiée à Nantes, depuis une trentaine d'années, par la Société des Bibliophiles Bretons. Ce périodique est surtout consacré à l'érudition; mais le distingué rédacteur en chef, M. Olivier de Gourcuff, excellent poète lui-même, accueille volontiers les poésies de ses confrères: Joseph Rousse, Dominique Caillé, Yves Berthou, René Kerviler, Louis Bonneau, vicomte Odon du Hautais, etc.

Nous avons à mentionner, en 1893, la naissance à Lorient d'une petite revue littéraire : Le Biniou. Pendant deux ans, on y lut des vers de Jos Parker, Yan Carnel, Victor Slane, Johël d'Armor, Paul Lorans, Manrique, etc... Lorsque Le Biniou eût cessé de paraître, deux de ses collaborateurs, M. René Saïb et Mme Madeleine Desroseaux, ce sont les pseudonymes de M. et Mme André Degoul, fondèrent en juillet 1895, Le Clocher Breton. Depuis, cette publication mensuelle nous a permis d'assister aux débuts pleins de promesses de plusieurs poètes: Louis Beaufrère, Auguste Dupouy, Simon Le Beaudour, Jean Le Guillou, Maurice Le Dault, Hubert de Launay, Henry de La Guichardière, etc.

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En 1897, à Lorient, La Mer, de Johël d'Armor, et, à Morlaix, La Revue Armoricaine, de Yves Le Febvre,

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