... Et de l'autre côté de la haute colline Voici qu'une autre voix redit le même chant : Dans la paix du matin l'appel d'amour s'élance... Où s'unissent deux cœurs dans l'hymen de deux voix. Entre les noirs rochers, au bord de la bruyère, Ils s'arrêtent tous deux, souriants, plein de grâce, Voilà l'éclosion des amours grandioses! Voici deux cœurs qui s'ouvrent ! C'est l'amour On comprend que Tiercelin voulant caractériser l'œuvre de Lud Jan ait dit : Un pâtre dont la voix fraîche est claire et touchante, Un jeune pâtre, assis dans la bruyère, chante Les mains pleines de terre et les yeux pleins de ciel. C'est qu'en effet, chez lui, beaucoup plus que chez tout autre, l'on trouve la préoccupation des destinées humaines et l'amour passionné de la nature. Ainsi que l'a remarqué Beaufils: « L'attraction de deux êtres, l'union de deux existences, l'amour enfin, il ne le conçoit que comme une des formes du rythme universel. Il ne se borne pas, après tant d'autres, à intéresser la nature aux joies et aux douleurs de l'amour; il ne se contente pas d'en faire la complice de l'humanité qui souffre ou qui rit; il lui prête des sourires et des pleurs ; il lui suppose des rêves; il lui donne des sens, lui souffle des colères, lui insinue des extases, la fait se mouvoir, respirer, vivre enfin d'une vie humaine. » Vous voyez, dans Idylle Mélancolique, un couple d'amoureux passer sous la feuillée : ... Comme les bénir le chêne ouvre ses branches, On croirait voir marcher la Nature elle-même : Ces vers ne sont-ils pas typiques? Et ce cri d'un vieillard qui, à travers les rameaux, regarde le couple errer?. ... « Oh! dit-il, jeunes gens, j'admire sans envie ... Mais toi, Sainte Nature, éternelle maîtresse, H Nos pères t'adoraient sous la forêt profonde Et nous, les survivants des vieux cultes du monde, Alors, versant plus d'ombre, épanchant plus d'aurore, Tu bénis doucement l'amour qui vient d'éclore, La chanson des baisers mêlée à celle des nids. L'amour Lud Jan n'en a guère parlé, peut-être parce qu'il ne l'a point compris. C'est en vain qu'à l'un de ses personnages, L'Ascète, d'anciennes amies chantent « d'une voix douce et lente: >> << Le temps n'est pas venu pour nous d'être moroses, «Viens le soleil joyeux a tiédi le gazon. <<< Le soir en s'endormant a baisé les flots roses, << Et mis un rêve épars sur le vague horizon, « Où nos lèvres en fleurs s'ouvrent comme des roses. >> Il préfère regarder son Crucifix de fer et écouter la voix divine Du jeune Dieu martyr qui mourut en aimant : « O mon frère, l'amour des hommes, l'amour passe. » Un autre trait de la physionomie poétique de Lud Jan, c'est son affection pour le vers alexandrin auquel il est toujours resté fidèle. Il eût peut-être pu varier davantage sa forme; mais les questions de rythme et de métrique le préoccupaient fort peu. « Il s'est contenté de chanter », a dit un de ses amis, « parce qu'il y avait en lui l'âme d'un chanteur ». D'ailleurs, n'avonsnous pas son propre témoignage ? Et des rives de l'Oust aux rives de la Rance Mais pourquoi ajoute-t-il? Hélas! je n'ai rimé qu'une chanson bretonne, Vaguement entendue un triste soir d'automne Où tous les bruits semblaient s'achever en sanglots. Lud Jan est trop modeste. Cette « chanson bretonne >> dénote, de l'aveu de tous, un tempérament de grand poète, et, comme Le Braz, il a dit magnifiquement, à sa façon, La Chanson de la Bretagne. Pour mourir, si nous en croyons le poète, la Bretagne n'attend que la proche disparition des noires Gwerziou, rudes comme l'histoire, des blanches Soniou, douces comme l'amour. ... Ah! quand vous serez morts, morte aussi la Bretagne Et les rochers pensifs qui gardent la montagne Les saints même, les saints s'enfuiront des églises. Et, s'essuyant les yeux avec leurs barbes grises, Plus loin, Le Braz ne renonce-t-il pas à écrire un poème, sous prétexte que les derniers vieux mendiants auraient emporté dans leurs tombes le secret des sônes d'amour? Il exagère et se calomnie manifestement. Ce prétendu essai de poème où il évoque la rencontre qu'il fit à Paris d'une Bretonne émigrée et l'éclosion de leur amour «< sous la poussée des souvenirs religieux de Bretagne » est un pur chef-d'œuvre. Nous le préférons aux autres pièces si justement célèbres: En mai, Les Epaves, Treguêr, Jeanne Lezveur, Jeanne Larvor, Chanson de bord, Le Conscrit, Le Chant des Nuages, etc. Il y aurait une comparaison très intéressante à faire entre cette rencontre, dans la capitale, de « Nannic la songeuse >>> avec le « Cloarec » poète et l'entrevue, en pleine campagne, du pâtre avec la pâtouresse, d'après Lud Jan. Ce fut un soir d'avril que je la rencontrai Au sortir des « Prières >>. Je savais qu'elle était du grand pays pleuré Je savais que sa mère et ma mère (que Dieu En même enclos dormaient sous le firmament bleu La rue où nous marchions avait des airs cloîtrés De calme monastère : Tels nos bourgs assoupis, quand sur les monts d'Arez |