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... Et de l'autre côté de la haute colline

Voici qu'une autre voix redit le même chant :
C'est une pâtouresse, une pauvre orpheline
Qui mène ses moutons et qui chante en marchant.

Dans la paix du matin l'appel d'amour s'élance...
On n'entend plus les bruits des ruisseaux et des bois :
La nature s'apaise en un pieux silence

Où s'unissent deux cœurs dans l'hymen de deux voix.

Entre les noirs rochers, au bord de la bruyère,
Dans l'azur infini du ciel limpide et bleu,
Le soleil, à flots d'or épanchant sa lumière,
Se lève, majestueusement, tel qu'un Dieu.
Dans le nimbe éclatant qui grandit derrière elle,
La pâtouresse vient, d'un pas tranquille et sûr,
Enfant encor, laissant s'incliner son corps frêle
Et ses beaux cheveux blonds frissonner dans l'azur.

Ils s'arrêtent tous deux, souriants, plein de grâce,
Et se tendent la main sans parler. Le soleil,
Epanchant à flots d'or sa clarté dans l'espace
Auréole l'amour printanier à l'éveil.

Voilà l'éclosion des amours grandioses!

Voici deux cœurs qui s'ouvrent ! C'est l'amour
Qu'on respire dans l'air et qu'on voit dans les choses
Au lever triomphal du printemps et du jour.

On comprend que Tiercelin voulant caractériser l'œuvre de Lud Jan ait dit :

Un pâtre dont la voix fraîche est claire et touchante,

Un jeune pâtre, assis dans la bruyère, chante

Les mains pleines de terre et les yeux pleins de ciel.

C'est qu'en effet, chez lui, beaucoup plus que chez tout autre, l'on trouve la préoccupation des destinées

humaines et l'amour passionné de la nature. Ainsi que l'a remarqué Beaufils: « L'attraction de deux êtres, l'union de deux existences, l'amour enfin, il ne le conçoit que comme une des formes du rythme universel. Il ne se borne pas, après tant d'autres, à intéresser la nature aux joies et aux douleurs de l'amour; il ne se contente pas d'en faire la complice de l'humanité qui souffre ou qui rit; il lui prête des sourires et des pleurs ; il lui suppose des rêves; il lui donne des sens, lui souffle des colères, lui insinue des extases, la fait se mouvoir, respirer, vivre enfin d'une vie humaine. » Vous voyez, dans Idylle Mélancolique, un couple d'amoureux passer sous la feuillée :

...

Comme

les bénir le chêne ouvre ses branches,
pour
Les herbes du gazon tressaillent sous leurs pas,
L'arbuste frissonnant les baigne de fleurs blanches,
Et, pour les écouter, l'oiseau chante plus bas.

On croirait voir marcher la Nature elle-même :
C'est elle, ces deux corps vigoureux et puissants!
C'est l'arbre, le ruisseau, le sol qui dit : Je t'aime !
Son âme est dans leurs yeux sa sève est dans leurs sens.

Ces vers ne sont-ils pas typiques? Et ce cri d'un vieillard qui, à travers les rameaux, regarde le couple errer?.

...

« Oh! dit-il, jeunes gens, j'admire sans envie
L'amour qui peut fleurir pendant toute une saison !
Le printemps de la Terre et celui de la Vie
Hélas! n'ont tous les deux qu'un étroit horizon!

... Mais toi, Sainte Nature, éternelle maîtresse,
Tu renaîtras sans cesse et fleuriras toujours,
Et tu feras chanter ton auguste allégresse
Sur la tombe muette où dorment nos amours.

H

Nos pères t'adoraient sous la forêt profonde
Dans l'effroi de ta force et de ta majesté,

Et nous, les survivants des vieux cultes du monde,
Aux rayons du soleil nous fêtons ta beauté.

Alors, versant plus d'ombre, épanchant plus d'aurore,
Dans la sérénité de tes cieux infinis,

Tu bénis doucement l'amour qui vient d'éclore,

La chanson des baisers mêlée à celle des nids.

L'amour Lud Jan n'en a guère parlé, peut-être parce qu'il ne l'a point compris. C'est en vain qu'à l'un de ses personnages, L'Ascète, d'anciennes amies chantent « d'une voix douce et lente: >>

<< Le temps n'est pas venu pour nous d'être moroses, «Viens le soleil joyeux a tiédi le gazon.

<<< Le soir en s'endormant a baisé les flots roses,

<< Et mis un rêve épars sur le vague horizon,

« Où nos lèvres en fleurs s'ouvrent comme des roses. >>

Il préfère regarder son Crucifix de fer et écouter

la voix divine

Du jeune Dieu martyr qui mourut en aimant :

« O mon frère, l'amour des hommes, l'amour passe. »

Un autre trait de la physionomie poétique de Lud Jan, c'est son affection pour le vers alexandrin auquel il est toujours resté fidèle. Il eût peut-être pu varier davantage sa forme; mais les questions de rythme et de métrique le préoccupaient fort peu. « Il s'est contenté de chanter », a dit un de ses amis, « parce qu'il y avait en lui l'âme d'un chanteur ». D'ailleurs, n'avonsnous pas son propre témoignage ?

Et des rives de l'Oust aux rives de la Rance
Je n'ai fait qu'une chose ici-bas: J'ai chanté.

Mais pourquoi ajoute-t-il?

Hélas! je n'ai rimé qu'une chanson bretonne,
Mystérieuse voix de la terre ou des flots,

Vaguement entendue un triste soir d'automne

Où tous les bruits semblaient s'achever en sanglots.

Lud Jan est trop modeste. Cette « chanson bretonne >> dénote, de l'aveu de tous, un tempérament de grand poète, et, comme Le Braz, il a dit magnifiquement, à sa façon, La Chanson de la Bretagne.

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Pour mourir, si nous en croyons le poète, la Bretagne n'attend que la proche disparition

des noires Gwerziou, rudes comme l'histoire,

des blanches Soniou, douces comme l'amour.

... Ah! quand vous serez morts, morte aussi la Bretagne
S'étendra toute nue en son linceul d'hiver,

Et les rochers pensifs qui gardent la montagne
Descendront des sommets pour rentrer dans la mer.

Les saints même, les saints s'enfuiront des églises.
On les verra partir, le rêve celte au front,

Et, s'essuyant les yeux avec leurs barbes grises,
Dans leurs auges de pierre ils se rembarqueront.

Plus loin, Le Braz ne renonce-t-il pas à écrire un poème, sous prétexte que les derniers vieux mendiants auraient emporté dans leurs tombes le secret des sônes d'amour? Il exagère et se calomnie manifestement. Ce prétendu essai de poème où il évoque la rencontre qu'il fit à Paris d'une Bretonne émigrée et l'éclosion de leur amour «< sous la poussée des souvenirs religieux de Bretagne » est un pur chef-d'œuvre. Nous le préférons aux autres pièces si justement célèbres: En mai, Les Epaves, Treguêr, Jeanne Lezveur, Jeanne Larvor, Chanson de bord, Le Conscrit, Le Chant des Nuages, etc. Il y aurait une comparaison très intéressante à faire entre cette rencontre, dans la capitale, de « Nannic la songeuse >>> avec le « Cloarec » poète et l'entrevue, en pleine campagne, du pâtre avec la pâtouresse, d'après Lud Jan.

Ce fut un soir d'avril que je la rencontrai

Au sortir des « Prières >>.

Je savais qu'elle était du grand pays pleuré
Où fleurit l'ajonc vert constellé de bruyères.

Je savais que sa mère et ma mère (que Dieu
Fasse paix à leurs âmes!)

En même enclos dormaient sous le firmament bleu
Et c'est pieusement d'Elles que nous causâmes.

La rue où nous marchions avait des airs cloîtrés

De calme monastère :

Tels nos bourgs assoupis, quand sur les monts d'Arez
Les couchants de Bretagne ont versé leur mystère,

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