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n'y avoir laissé aucune trace. On y fait un commerce considérable de tabletterie et de quincaillerie; ces deux branches d'industrie occupent dans le pays un grand nombre d'ouvriers. La cathédrale, qui fut commencée dans le quinzième siècle et achevée dans le dix-huitième, est grande et d'une construction fort régulière; si ses embellissemens projetés étaient mis à exécution, ce serait une des belles églises de France. Les boiseries du chœur offrent des sculptures précieuses. On y voit quelques tableaux remarquables celui de saint Laurent a coûté, dit-on, la somme de dix mille francs.

Située au milieu de trois hautes montagnes, qui la pressent de leurs flancs, la ville de Saint-Claude semble être menacée en partie d'un engloutissement terrible. Sa population néanmoins augmente tous les ans ; elle s'élève aujourd'hui à plus de sept mille âmes, y compris la banlieue qui en compte quinze cents ou environ. C'est le siége d'un évêché, et celui d'une sous-préfecture du département du Jura. Il y a aussi un tribunal de première instance.

CHAPITRE IL

Trajet de Saint-Claude à Genève par le Mont-Jura. — Difficulté de ce passage; ouragan. - Sept-Moncel; écho singulier. - Mijoux.--Force étonnante d'un guide. - La Faucille; belle vue. - Gex; cette ville changea plusieurs fois de maîtres; saint François de Sales y fut envoyé en mission, et faillit de mourir empoisonné par les calvinistes; ancien couvent de capucins, dont Voltaire se disait le père temporel. - Route charmante. - Arrivée à Genève.

JE me mis en route pour Genève à cinq heures du matin, accompagné d'un guide qui s'était chargé de porter mon bagage. Nous entrâmes, au sortir même de Saint-Claude, dans une longue chaîne de montagnes escarpées, à peine accessibles aux meilleurs piétons. J'avais préféré ce triste chemin au lieu de la grande route, qui est loin d'être aussi mauvaise, et que l'on m'avait conseillé de prendre. Mais comme elle est une fois plus longue, et que je désirais m'aguerrir d'avance aux excursions pénibles qui m'attendaient sur les glaciers des Alpes, je voulus commencer par le trajet direct de Saint-Claude

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à Genève. On ne saurait se faire une idée de la difficulté de ce passage, qui ne mérite même pas le nom de sentier : je marchais partout sur des monts escarpés, sur des côtes très rapides et presque taillées à pic. Je faillis plusieurs fois d'éprouver des vertiges, lorsqu'en détournant les yeux j'osais par hasard les fixer vers la plaine, que nous dominions souvent à une très-grande hauteur. Malgré une saison propice pour les voyages, nous souffrimes beaucoup du froid: le vent, la neige, des ouragans épouvantables, tout contribuait à ralentir notre marche et à la rendre excessivement pénible. Une température aussi singulière dans la belle saison ne doit pas surprendre plusieurs des montagnes que je traversai font partie de la plus haute chaîne du Jura, et conservent à leurs sommets de la neige et de la glace une grande partie de l'année.

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Après avoir marché pendant plus de deux heures, nous arrivâmes à Sept-Moncel, où l'on fabrique d'excellens fromages, dont le goût est le même que ceux de Roquefort. Dans une forêt de sapins, sur une des montagnes voisines de ce village, on entend un écho remarquable par sa singularité; il remplit l'air, m'a-t-on dit, d'une multitude de sons qui vont toujours se répétant, et forment, quand on

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donne du cor, une sorte de concert dont l'harmonie, quoique bruyante, ne frappe pas l'oreille sans agrément. Ce n'est pas un simple écho qui répète de suite une certaine quantité de syllabes, c'est une succession rapide et croisée de plusieurs échos, produite par les parties boisées des montagnes qui cernent le lieu d'où partent les sons du cor. Je regrettai beaucoup que le temps ne me permît pas d'aller connaître moi-même l'effet de cette curiosité; mais je rapporte fidèlement ce qui m'en a été dit par des personnes incapables, je le pense, de tromper. Le département du Jura renferme beaucoup d'autres curiosités naturelles, qui méritent des excursions de la part des voyageurs.

Nous rencontrâmes, à deux lieues de Sept-Moncel, le village de Mijoux, qui donne son nom à une belle vallée, où l'on trouve plusieurs granges éparses à travers de vastes prairies. Nous y fîmes halte pour déjeûner et reprendre les forces dont nous avions besoin; nous mangeâmes d'un appétit dévorant, malgré la frugalité de notre repas, car dans ces lieux déserts on trouve à peine les choses les plus nécessaires à la vie. J'avais été surpris, pendant toute la route, de la force extraordinaire de mon guide: croirait-on que cet homme, malgré le mauvais temps

et les obstacles presque insurmontables du chemin, malgré surtout l'extrême rapidité des côtes, portait sur son dos tous mes effets de voyage, dont le poids allait à plus de cent vingt livres? Il les avait mis dans une hotte qui était assez grande pour contenir ma malle et mon sac de nuit. Il voulut aller ainsi chargé depuis Saint-Claude jusqu'à Genève, c'est-à-dire en marchant l'espace de dix ou douze lieues de pays. J'ai conservé le nom de ce guide courageux; il s'appelle Chevassu. Cet homme me racontait qu'il avait souvent porté plus de deux quintaux sur ses épaules en faisant le même voyage, que son frère et sa sœur n'étaient pas moins robustes que lui, et qu'ils se rendaient toutes les semaines à Genève avec des charges à peu près semblables, (ils sont commissionnaires pour le transport à pied des marchandises). Ces gens industrieux et honnêtes possèdent toute la confiance des personnes qui savent quelle est leur probité aussi on leur donne sans crainte de fortes sommes à porter en France ou en Suisse.

Nous arrivons à la Faucille, où l'on cesse enfin de monter. Jusqu'alors, et depuis notre départ de Saint-Claude, nous n'avions fait que gravir des montagnes ou des rochers; souvent aussi nous avions

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