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verselle, il peut s'écrier avec cet ancien personnage de Térence: homo sum, humani nihil a me alienum puto. J'ai dit ci-devant qu'il n'y avoit qu'une vraie raison, une vraie justice, une vraie vertu, une vraie conscience; j'ajouterai qu'il n'y a qu'une vraie et louable sympathie, celle qui a pour fondement la raison, la justice, la bonne conscience, etc.; elle consiste dans l'habitude de n'estimer, de n'aimer que ce qu'il y a de bon et de beau dans les mœurs, les procédés et la conduite des hommes dans les arts, la littérature et les sciences, et de haïr, de mépriser ou de blâmer tout ce qu'ils offrent de déraisonnable, d'odieux d'indécent, de vil, de petit et de ridicule. Cette qualité est l'apanage de l'homme qui est à-la-fois le mieux élevé, le plus éclairé et le plus sensible, comme le plus propre à goûter les charmes du beau idéal et moral.

comme

La fausse sympathie, fille de l'ignorance, de la déraison, d'une mauvaise éducation et d'une fausse conscience, consiste à plaindre des maux qui n'ont rien de réel, à s'enthousiasmer pour des plaisirs chimériques et des biens imaginaires, à chérir, à diviniser des sottises et des puérilités, à estimer ce qui est méprisable, et à mépriser ce qui est estimable. Ce défaut est celui des gens à préjugés, des personnes crédules et gouvernées par l'autorité, l'exemple, la mode et l'usage, des hommes sans instruction, des superstitieux, des mistiques, des cagots et des prudes.

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vient de l'inégalité des sentimens moraux et des caractères, de la fortune, de la naissance, de l'âge, de la condition, de la différence d'habitudes, d'instruction, d'opinion, de religion, de gouvernement, etc., comme la sympathie étoit fondée sur la convenance et le rapport de toutes ces choses-là.

L'homme d'esprit et le sot, le savant et l'ignorant, le philosophe et le théologien, le flegmatique et l'homme bouillant, le poète sifflé et l'homme content, le riche et le pauvre, le supérieur et le subalterne, le maître et l'esclave, le roi et le sujet, le noble et le roturier, l'honnête homme et le scélérat, autant de gens et de caractères qui ne peuvent sympathiser ensemble, ou qui sont dans un état d'antipathie habituelle. Nous aimons rarement les gens trop au-dessus ou trop au-dessous de nous, et nous ne pouvons souffrir ceux avec qui nous n'avons rien ou presque rien de commun par la naissance, la fortune, l'esprit, le cœur et les manières : mais ce sentiment est trop souvent porté à l'excès; et pour le contenir dans de justes bornes, il faut nous rappeler 1°. que la société est une vaste machine nécessairement formée d'élémens et de rouages fort différens, dans laquelle chacun a son rôle à jouer.; que ce rôle, quoique très-obscur, peut être assez important, et que dans le grand concert social il n'y a point d'instrument inutile ; 2°. que le moral de chaque individu étant le résultat nécessaire de son organisation, de son éducation et de sa profession (trois choses dont la première ne dépend pas de lui, et dont les deux autres souvent n'en dépen

dent guères), il y auroit de l'injustice à en exiger ce qu'il n'est pas raisonnable d'en attendre ; 3°. que nous avons tout-à-la-fois besoin d'agriculteurs pour nous nourrir d'artisans pour nous loger, nous habiller, etc., de guerriers pour nous défendre, de grands législateurs pour nous bien gouverner, d'ingénieurs et de marins pour construire et guider nos vaisseaux sur les mers; des géomètres, des naturalistes, des physiciens et des chimistes, en un mot des savans en tout genre pour nous éclairer; des peintres, des musiciens et des poètes pour nous amuser; enfin des commerçans pour faire circuler sur tous les points du globe civilisé les produits de l'agriculture, de l'industrie et du génie : et quoique ces diverses classes d'hommes aient entre elles pour la plupart assez peu d'analogie, et partant peu de sympathie et de considération réciproques, il faut bien toutefois qu'elles s'accoutument à se supporter et même à s'estimer, puisqu'elles sont toutes utiles à la formation, au bon entretien ou à l'embellissement de la société, et qu'elles sont toutes destinées à contribuer à leur sûreté, à leur défense réciproque, ainsi qu'à leurs mutuels plaisirs.

Il n'y a guères que l'homme doué d'une raison supérieure qui sache toujours se défendre d'une sympathie brusque et déplacée, comme d'une antipathic injuste: lui seul peut apprécier chaque classe d'hommes ce qu'elle vaut réellement, parce que sa tête se compose en quelque sorte des élémens de toutes les autres ; le grand tableau d'idées et de connoissances

tableaux partiels qui déterminent l'esprit et le caractère de chacun, et son ame a une vaste sphère d'activité qui enveloppe toutes les ames communes. Dégagé des préjugés et des petites passions, lui seul sait comparer et juger avec justesse et impartialité, parce qu'il connoît tous les objets sur lesquels il prononce, et qu'il n'est point la dupe des apparences réservant toute son horreur pour le vice et le crime, il est toujours plus porté à plaindre les hommes qu'à les mépriser et à les haïr. Une douce pitié, la bonte, l'indulgence et l'humanité forment le fond de son caractère; ses vertus ne sont jamais outrées, ses passions ont de la noblesse et de la décence et ses vices (s'il en a) sont adoucis et corrigés par sa raison.

L'habitude que nous contractons sans nous en ap percevoir, de lier ensemble l'esprit et la figure, les sentimens et la physionomie des personnes avec qui nous vivons, devient en nous le principe de ces sympathies et antipathies soudaines que nous éprouvons souvent par la suite (au premier aspect des gens) sans pouvoir nous en rendre raison : c'est de ce genre de sympathie dont parle Corneille quand il dit :

Il est des nœuds secrets, il est des sympathies,
Dont par le doux rapport les ames assorties
S'attachent l'une à l'autre et se laissent piquer
Par un je ne sais quoi, qu'on ne peut expliquer.

Une personne que nous n'avons jamais vue nous offre-t-elle tout-à-coup quelques traits d'un bon ami, d'un parent chéri, ceux d'une femme aimée, d'une maîtresse aimable, nous sympathisons avec elle,

par

nous sommes disposés à lui prêter une partie des bonnes qualités de l'objet qui nous étoit cher; sa vue réveille en nous les passions qu'il nous inspiroit, les plaisirs dont il nous faisoit jouir; et cette illusion ne peut être détruite qu'après nous être assurés qu'il n'a aucune des ressemblances morales que promettoit d'abord la ressemblance physique. C'est encore la même raison que souvent nous prenons du goût pour certains défauts dans les traits du visage, les manières, etc., parce que des personnes qui nous étoient chères ou qui unissoient à ces défauts-là de bonnes qualités, beaucoup d'esprit, de graces, etc. ont su nous les rendre aimables; (c'est ainsi que Descartes aimoit les yeux louches). De même si nous retrouvons dans un inconnu les traits d'un homme haïssable et détesté, ce premier abord renouvelle en nous l'aversion que celui-ci nous avoit inspirée ; nous nous retraçons ses mauvaises qualités et ses vices, et il ne faut rien moins pour nous détromper que la connoissance approfondie du caractère de celui que nous avions d'abord jugé avec tant de lẻgèreté et si peu de justice. En général on haît au premier abord une vilaine figure, comme on sympathise pour un beau visage; mais ce premier sentiment machinal est bientôt rectifié, fortifié ou détruit par la connoissance que nous prenons ensuite du moral des individus.

L'homme qui a vu et observé un très-grand nombre d'individus, celui qui passe sa vie au milieu des cercles, ou qui occupe une place propre à le mettre

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