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L'idée d'un objet reconnu pour mauvais ou qui fait du mal, excite en nous une tendance au mouvement en sens contraire (c'est l'aversion). Cette tendance est encore si l'on veut un desir, celui d'éviter ou de repousser la douleur; mais alors il faut l'appeler négatif, parce qu'il tend à nous éloigner de l'objet qui nous répugne : ainsi l'on peut dire que le nombre des desirs positifs est proportionnel au nombre des objets reconnus pour hons, comme celui des desirs négatifs l'est à celui des objets reconnus pour mauvais.

Nos besoins sont ou le résultat nécessaire et primitif de l'organisation, ou la somme des desirs habituels qui nous portent vers les objets jugés nécessaires à notre conservation à notre bien-être à notre état, à nos occupations, à nos plaisirs, etc. Les premiers, les plus pressans, sont donc indépendans de nous ; ils nous sont donnés par la nature, et résultent du mécanisme intérieur, ou ils se font sentir par un aiguillon ou malaise qui nous avertit de les faire cesser si nous voulons ne pas souffrir davantage, et prévenir le dérangement ou la destruction du corps; tels sont les besoins de la soif, de la faim, du sommeil, de l'amour, etc., et en général celui de se maintenir dans un état de nonsouffrance ou de plaisir, lequel renferme tous les autres. Les seconds , qui ne nous affectent pas aussi vivement, aussi constamment, sont factices pour la plupart, et résultent des habitudes que nous nous donnons à nous-mêmes. Nous pouvons donc

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en détruisant ces habitudes, ce qui a lieu en cessant de faire ce que nous avions fait pour les former, ou en formant des habitudes contraires (1).

Pressés par la force des besoins naturels et primitifs, nous cherchons avidement tout ce qui peut les satisfaire, et c'est alors que nos idées de toute espèce se multiplient, et que nos goûts, nos penchans, nos passions et nos habitudes en tout genre prennent un développement toujours croissant avec celui de nos connoissances car nous avons naturellement un besoin général et indéterminé de tout ce qui peut flatter nos sens, et nous sommes toujours prêts à faire et à répéter tous les mouvemens qui peuvent nous procurer les divers élémens du bien

(1) Observons en passant que cet axiôme ignoti nulla cupido (on ne peut desirer ce qu'on ne connoît pas) n'est applicable qu'à cette féconde classe de besoins qui suppose toujours la connoissance des objets : en effet les premiers agissent souvent indépendamment de toute idée acquise; c'est ainsi que les animaux à peine nés sont portés par la force de l'instinct ou une sorte d'impulsion mécanique résultant de l'organisation vers le sein de leur mère dont ils expriment le lait qui doit les nourrir. La jeune vierge dont le cœur naïf commence à ressentir l'amour, sent qu'il manque quelque chose à son bonheur, sans savoir au juste ce que c'est; elle desire alors ce qu'elle ne connoît pas. Il en est de même de la plupart des hommes qui soupirent après le bonheur, sans trop savoir en quoi il consiste; presque tous poursuivent et adorent des chimères, et sont prosternés devant des dieux qu'ils ne connoissent point, et pour qui souvent on les a vu sacrifier leur vie mais en général le desir paroît différer du besoin, en ce qu'il suppose toujours l'idée de l'objet propre à le satisfaire, tandis qu'il est des besoins sans idée ceux-ci sont le produit immédiat du mécanisme animal.

être et du plaisir vers lesquels nous nous portons dès qu'ils nous sont connus, et continuons à diriger nos facultés tant que leur jouissance est à notre portée ou qu'ils sont en notre possession.

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Les passions sont des chaînes formées d'idées, de desirs et de besoins leur force est proportionnelle à la quantité, à l'énergie et à la continuité de leurs élémens ; elle dépend de la vivacité, de la fréquence avec laquelle l'imagination retrace les objets desirés qui leur servent d'aliment; elles naissent croissent, se fortifient avec le tempéramment. Les besoins et les facultés atteignent avec eux et par eux leur plus haut degré d'énergie, pour diminuer et se rallentir ensuite à mesure que l'on avance en âge, s'évanouir peu-à-peu par l'extinction des forces, des idées et des desirs, et finir avec la destruction du corps sensible. Les desirs, premiers élémens de la volonté des passions, et de l'amour de soi, sont d'autant plus violens, que nous avons plus besoin des objets auxquels ils sont relatifs, que nous savons ou croyons qu'ils peuvent nous rendre plus ou moins heureux ; je dis croyons, car notre imagination, cette antique mère d'illusions et d'erreurs ne suppose que trop souvent dans les objets une source de bonheur qui n'y est point; c'est alors une chimère que nous ne souhaitons et ne poursuivons pas avec moius de force que la réalité, jusqu'à ce que nous ayons été détrompés; ils varient encore à raison de la distance des objets souhaités, et de la facilité plus ou moins grande

rapprocher d'eux. En général l'énergie des desirs annonce la vigueur de l'ame, comme la promptitude et la facilité des mouvemens musculaires annonce la force du corps, et le grand appétit la bonne santé ; leur affoiblissement indique la décadence de l'ame et du corps : c'est une expérience que chacun peut faire dans les maladies physiques et mórales. L'homme livré aux douleurs, aux chagrins aux ennuis, conserve à peine une foible partie de son existence ; il ne la retrouve que quand il sent renaître avec la santé, l'aiguillon des passions; en un mot, desirer, c'est vivre, c'est jouir; et être sans passions, c'est être déja mort. Pour être heureux, il faut donc se ménager un grand fond de desirs raisonnables et aisés à satisfaire: c'est un magasin de jouissances, d'où l'on peut chaque jour en tirer quelques-unes sans jamais l'épuiser.

L'on a donc naturellement autant de desirs et de besoins que l'on connoît d'objets propres à donner des jouissances; et comme le nombre d'objets connus ou à connoître en ce genre peut s'étendre presqu'à l'infini, par la voie du commerce, les produits toujours croissans de l'agriculture et de l'industrie, par l'étude, les voyages, l'observation et les expériences de tout genre, enfin par les progrès indéfinis de la civilisation, il s'ensuit que l'amour du bonheur toujours croissant chez l'homme civilisé est à-peu-près sans bornes (au moins assignables ).

Tandis que l'animal ne connoît pas beaucoup d'objets agréables, il est presque sans desirs, sans besoins et sans passions; mais à mesure qu'il en

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découvre de nouveaux il éprouve à l'instant la volonté d'en jouir, et cette volonté est un besoin (1); ce besoin, s'il est satisfait, devient jouissance; dans le cas contraire, c'est le malaise qui est suivi ou accompagné d'une agitation intérieure que je nomme inquiétude.

Pour sortir de cet état, l'animal se retourne en tous sens ; il emploie, pour réussir, toutes les ressources de son corps et de son esprit, toute l'énergie de sa volonté. Tandis qu'il croit pouvoir réussir dans l'exécution de ses projets, dans la possession d'un objet desiré ou la conservation d'un objet possédé, il éprouve ce sentiment que l'on nomme espérance; si la possibilité du succès diminue ou devient douteuse, il éprouve la crainte; si elle s'évanouit tout-à-fait, il ressent le désespoir, qui est plus ou moins violent suivant qu'il s'étoit promis plus ou moins de jouissances de l'objet en question, ou que la privation lui en a fait perdre davantage.

Le remords est ce sentiment douloureux que l'homme éprouve lorsqu'il voit qu'il s'est trompé dans la recherche d'un bien, qu'il a été le jouet d'une illusion, ou que par un procédé contraire

(1) Cela est confirmé par l'exemple des enfans et de presque toutes les peuplades naissantes ou formées de ces hommes que nous appellons sauvages : leur premier mouvement est de vouloir s'emparer des objets de curiosité et d'utilité que les voyageurs et les navigateurs européens étalent à leurs yeux ce sont de grands enfans toujours prêts à porter la main sur tout ce qui leur fait plaisir. Voyez les Voyages de Cook, de Bougain

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