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tion première, pensant qu'il valait mieux laisser à M. Duportal le soin de publier la vérité, qu'il est seul à savoir, sur ce personnage singulier.

Ce que j'aurais surtout à excuser, si ce livre avait la moindre prétention à être de vrais mémoires, ce sont les lacunes qui s'y trouvent. La personne qui a eu la plus grande influence sur ma vie, je veux dire ma sœur Henriette, n'y occupe presque aucune place'. En septembre 1862, un an après la mort de cette précieuse amie, j'é

1. Le jour même où j'allais donner le bon à tirer de cette feuille, la mort de mon frère est venue rompre le dernier lien qui m'attachait aux souvenirs du toit paternel. Mon frère Alain fut pour moi un ami bon et sûr; il me comprit, m'approuva, m'aima toujours. Sa claire et ferme intelligeance, sa grande puissance de travail, l'appelaient soit aux carrières qui supposent l'étude des sciences mathématiques, soit aux fonctions de la magistrature. Les malheurs de notre famille lui firent prendre une autre direction, et il traversa de dures épreuves, où son courage ne se démentit pas un seul instant. Il ne se plaignit jamais de la vie, quoique la vie n'ait guère eu pour lui que les récompenses qu'on se donne par les joies de l'intérieur. Celles-là sont assurément les meilleures.

crivis, pour le petit nombre des personnes qui l'avaient connue, un opuscule consacré à son souvenir. Il n'a été tiré qu'à cent exemplaires. Ma sœur était si modeste, elle avait tant d'aversion pour le bruit du monde, que j'aurais cru la voir, de son tombeau, m'adressant des reproches, si j'avais livré ces pages au public. Quelquefois, j'ai eu l'idée de fes joindre à ce volume. Puis, j'ai trouvé qu'il y aurait en cela une espèce de profanation. L'opuscule sur ma sœur a été lu avec sympathie par quelques personnes animées pour elle et pour moi d'un sentiment bienveillant. Je ne dois pas exposer une mémoire qui m'est sainte aux jugements rogues qui font partie du droit qu'on acquiert sur un livre en l'achetant. Il m'a semblé qu'en insérant ces pages sur ma sœur dans un volume livré au commerce, je ferais aussi mal que si j'exposais son portrait dans un hôtel des ventes. Cet opuscule

ne sera donc réimprimé qu'après ma mort. Peut-être pourra-t-on y joindre alors quelques lettres de mon amie, dont je ferai moimême par avance le choix.

L'ordre naturel de ce livre, qui n'est autre que l'ordre même des périodes diverses de ma vie, amène une sorte de contraste. entre les récits de Bretagne et ceux du séminaire, ces derniers étant tout entiers remplis par une lutte sombre, pleine de raisonnements et d'âpre scolastique, tandis que les souvenirs de mes premières années ne présentent guère que des impressions de sensibilité enfantine, de candeur, d'innocence et d'amour. Cette opposition n'a rien qui doive surprendre. Presque tous nous sommes doubles. Plus l'homme se développe par la tête, plus il rêve le pôle contraire, c'est-à-dire l'irrationnel, le repos dans la complète ignorance, la femme qui n'est que femme, l'être instinctif qui n'agit que par

l'impulsion d'une conscience obscure. Cette rude école de dispute, où l'esprit européen s'est engagé depuis Abélard, produit des moments de sécheresse, des heures d'aridité. Le cerveau brûlé par le raisonnement a soif de simplicité, comme le désert a soif d'eau pure. Quand la réflexion nous a menés au dernier terme du doute, ce qu'il y a d'affirmation spontanée du bien et du beau dans la conscience féminine nous enchante et tranche pour nous la question. Voilà pourquoi la religion n'est plus maintenue dans le monde que par la femme. La femme belle et vertueuse est le mirage qui peuple de lacs et d'allées de saules notre grand désert moral. La supériorité de la science moderne consiste en ce que chacun de ses progrès est un degré de plus dans l'ordre des abstractions. Nous faisons la chimie de la chimie, l'algèbre de l'algèbre; nous nous éloignons de la nature, à force

de la sonder. Cela est bien; il faut continuer la vie est au bout de cette dissection à outrance. Mais qu'on ne s'étonne pas de l'ardeur fiévreuse qui, après ces débauches de dialectique, n'est étanchée que par les baisers de l'être naïf en qui la nature vit et sourit. La femme nous remet en communication avec l'éternelle source où Dieu se mire. La candeur d'une enfant qui ignore sa beauté et qui voit Dieu clair comme le jour est la grande révélation de l'idéal, de même que l'inconsciente coquetterie de la fleur est la preuve que la nature se pare en vue d'un époux.

On ne doit jamais écrire que de ce qu'on aime. L'oubli et le silence sont la punition qu'on inflige à ce qu'on a trouvé laid ou commun, dans la promenade à travers la vie. Parlant d'un passé qui m'est cher, j'en ai parlé avec sympathie; je ne voudrais pas cependant que cela produisît de malentendu

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