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absolument, devient alors une sagesse. Si une société, si une philosophie, si une religion eût possédé la vérité absolue, cette société, cette philosophie, cette religion aurait vaincu les autres et vivrait seule à l'heure qu'il est. Tous ceux qui, jusqu'ici, ont cru avoir raison se sont trompés, nous le voyons clairement. Pouvons-nous sans folle outrecuidance croire que l'avenir ne nous jugera pas comme nous jugeons le passé ? Voilà les blasphèmes que me suggère mon esprit profondément gâté. Une littérature qui, comme la tienne, serait saine de tout point n'exciterait plus maintenant que l'ennui.

>> Tu souris de ma naïveté. Oui, l'ennui... Nous sommes corrompus: qu'y faire? J'irai plus loin, déesse orthodoxe, je te dirai la dépravation intime de mon cœur. Raison et bon sens ne suffisent pas. Il y a de la poésie dans le Strymon glacé et dans l'ivresse du Thrace. Il viendra des siècles où tes disciples passeront pour les disciples de l'ennui. Le monde est plus grand que tu ne crois. Si tu avais vu les neiges du pôle et les mystères du ciel

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austral, ton front, & déesse toujours calme, ne serait pas si serein; ta tête, plus large, embrasserait divers genres de beauté.

>> Tu es vraie, pure, parfaite; ton marbre n'a point de tache; mais le temple d'HagiaSophia, qui est à Byzance, produit aussi un effet divin avec ses briques et son plâtras. Il est l'image de la voûte du ciel. Il croulera; mais, si ta cella devait être assez large pour contenir une foule, elle croulerait aussi.

» Un immense fleuve d'oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom. O abîme, tu es le Dieu unique. Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Tout n'est ici-bas que symbole et que songe. Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu'ils fussent éternels. La foi qu'on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l'a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts. »

·II

Au fond, quand je m'étudie, j'ai en effet très peu changé; le sort m'avait en quelque sorte rivé dès l'enfance à la fonction que je devais accomplir. J'étais fait en arrivant à Paris; avant de quitter la Bretagne, ma vie était écrite d'avance. Bon gré, mal gré, et nonobstant tous mes efforts consciencieux en sens contraire, j'étais prédestiné à être ce que je suis, un romantique protestant contre le romantisme, un utopiste prêchant en politique le terre-à-terre, un idéaliste se donnant inutilement beaucoup de mal pour paraître bourgeois, un tissu de contradictions, rappelant l'hircocerf de la scolastique, qui avait deux natures. Une de mes moitiés devait ètre occupée à démolir l'autre, comme cet animal fabuleux de Ctésias qui se mangeait les pattes sans s'en douter. C'est ce que ce

grand observateur, Challemel-Lacour, a dit excellemment: «Il pense comme un homme, il sent comme une femme, il agit comme un enfant. » Je ne m'en plains pas, puisque cette constitution morale m'a procuré les plus vives jouissances intellectuelles qu'on puisse goûter.

Ma race, ma famille, ma ville natale, le milieu si particulier où je me développai, en m'interdisant les visées bourgeoises et en me rendant absolument impropre à tout ce qui n'est pas le maniement pur des choses de l'esprit, avaient fait de moi un idéaliste, fermé à tout le reste. L'application eût pu varier ; le fond eût toujours été le même. La vraie marque d'une vocation est l'impossibilité d'y forfaire, c'est-à-dire de réussir à autre chose que ce pour quoi l'on a été créé. L'homme qui a une vocation sacrifie tout involontairement à sa maîtresse œuvre. Des circonstances extérieures auraient pu, comme il arrive souvent, dérouter ma vie et m'empêcher de suivre ma voie naturelle; mais l'absolue incapacité où j'aurais été de réussir à ce qui n'était pas ma destinée eût été la protestation du devoir

contrarié, et la prédestination eût triomphé à sa manière en montrant le sujet qu'elle avait choisi absolument impuissant en dehors du travail pour lequel elle l'avait choisi. Toute application intellectuelle, j'y aurais réussi. Toute carrière avant pour objet la recherche d'un intérêt quelconque, j'y aurais été nul, maladroit, au-dessous du médiocre.

neur; ce

Le trait caractéristique de la race bretonne, à tous ses degrés, est l'idéalisme, la poursuite d'une fin morale ou intellectuelle, souvent erronée, toujours désintéressée. Jamais race ne fut plus impropre à l'industrie, au commerce. On obtient tout d'elle par le sentiment de l'honqui est lucre lui paraît peu digne du galant homme; l'occupation noble est à ses yeux celle par laquelle on ne gagne rien, par exemple celle du soldat, celle du marin, celle du prêtre, celle du vrai gentilhomme qui ne tire de sa terre que! fruit convenu par l'usage sans chercherà l'augmenter, celle du magistrat, celle de l'homme voué au travail de la pensée. Au fond de la plupart de ses raisonnements, ily a cette opinion, fausse sans doute, que la

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