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parut comme un gros palefrenier allemand; nos chevaliers me semblèrent des lourdauds, dont Thémistocle et Alcibiade eussent souri. Il y a eu un peuple d'aristocrates, un public tout entier composé de connaisseurs, une démocratie qui a saisi des nuances d'art tellement fines que nos raffinés les aperçoivent à peine. Il y a eu un public pour comprendre ce qui fait la beauté des Propylées et la supériorité des sculptures du Parthénon. Cette révélation de la grandeur vraie et simple m'atteignit jusqu'au fond de l'être. Tout ce que j'avais connu jusque-là me sembla l'effort maladroit d'un art jésuitique, un rococo composé de pompe niaise, de charlatanisme et de cari

cature.

C'est principalement sur l'Acropole que ces sentiments m'assiégeaient. Un excellent architecte avec qui j'avais voyagé avait coutume de me dire que, pour lui, la vérité des dieux était en proportion de la beauté solide des temples qu'on leur a élevés. Jugée sur ce pied-là, Athéné serait au-dessus de toute rivalité. Ce qu'il y a de surprenant, en effet,

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c'est que le beau n'est ici que l'honnêteté
absolue, la raison, le respect même envers la
divinité. Les parties cachées de l'édifice sont
aussi soignées que celles qui sont vues. Aucun
de ces trompe-l'œil qui, dans nos églises en
particulier, sont comme une tentative perpé-
tuelle pour
induire la divinité en erreur sur la
valeur de la chose offerte. Ce sérieux, cette
droiture, me faisaient rougir d'avoir plus d'une
fois sacrifié à un idéal moins pur. Les heures
que je passais sur la colline sacrée étaient des
heures de prière. Toute ma vie repassait,
comme une confession générale, devant mes
yeux. Mais ce qu'il y avait de plus singulier,
c'est qu'en confessant mes péchés, j'en venais à
les aimer; mes résolutions de devenir classique
finissaient par me précipiter plus que jamais au
pôle opposé. Un vieux papier que je retrouve
parmi mes notes de voyage contient ceci :

PRIÈRE QUE JE FIS SUR L'ACROPOLE QUAND JE FUS ARRIVÉ
A EN COMPRENDRE LA PARFAITE BEAUTÉ.

« O noblesse! ô beauté simple et vraie! déesse dont le culte signifie raison et sagesse,

toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j'arrive tard au seuil de tes mystères; j'apporte à ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m'a fallu des recherches infinies. L'initiation que tu conférais à l'Athénien naissant par un sourire, je l'ai conquise à force de réflexions, au prix de longs efforts.

» Je suis né, déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d'une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés qu'on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste; mais des fontaines d'eau froide. y sortent du rocher, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, sur des fonds d'herbes ondulées, se mire le ciel.

» Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter, étaient voués aux navigations loin

taines, dans des mers que tes Argonaut es ne connurent pas. J'entendis, quand j'étais jeune, les chansons des voyages polaires; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses semblables à du lait, des îles peuplées d'oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel.

» Des prêtres d'un culte étranger, venu des Syriens de Palestine, prirent soin de m'élever. Ces prêtres étaient sages et saints. Ils m'apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. Leurs temples. sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurhythmie, et semblables à des forêts; seulement ils ne sont pas solides; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans; ce sont des fantaisies de barbares, qui s'imaginent qu'on peut faire quelque chose de bien en dehors des règles que tu as tracées à tes inspirés, ô Raison. Mais ces temples me plaisaient; je n'avais pas étudié ton art divin; j'y trouvais Dieu. On y chantait des cantiques dont je me souviens

encore: « Salut, étoile de la mer,... reine de >> ceux qui gémissent en cette vallée de larmes.>> ou bien «Rose mystique, Tour d'ivoire, Mai» son d'or, Étoile du matin... >>Tiens, déesse, quand je me rappelle ces chants, mon cœur se fond, je deviens presque apostat. Pardonnemoi ce ridicule; tu ne peux te figurer le charme que les magiciens barbares ont mis dans ces vers, et combien il m'en coûte de suivre la raison toute nue.

» Et puis si tu savais combien il est devenu difficile de te servir! Toute noblesse a disparu. Les Scythes ont conquis le monde. Il n'y a plus de république d'hommes libres; il n'y a plus que des rois issus d'un sang lourd, des majestés dont tu sourirais. De pesants Hyperboréens appellent légers ceux qui te servent... Une pambéotie redoutable, une ligue de toutes les sottises, étend sur le monde. un couvercle de plomb, sous lequel on étouffe. Même ceux qui t'honorent, qu'ils doivent te faire pitié! Te souviens-tu de ce Calédonien qui, il y a cinquante ans, brisa ton temple à coups de marteau pour l'emporter à Thulé?

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