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fait des sacrifices. Une idée élevée m'a toujours soutenu dans la direction de ma vie; si bien même, que l'héritage que Dieu devrait me rendre, d'après notre arrangement réciproque, ma foi! je l'en tiens quitte. Mon lot a été bon, et je peux ajouter en continuant le psaume Portio cecidit mihi in præclaris; etenim hæreditas mea præclara est mihi.

Mon ami du séminaire de Saint-Brieuc ', après de grandes hésitations, s'était décidé à prendre les ordres sacrés. Je retrouve la lettre que je lui écrivis à ce sujet le 29 mars 1844, dans un moment où mes doutes sur la foi me laissaient un calme relatif.

J'ai été heureux, mais non surpris, en apprenant que tu avais fait le pas décisif. Les inquiétudes dont tu étais agité devront toujours s'élever dans l'âme de celui qui envisage sérieusement la portée du sacerdoce chrétien. Ce sont des épreuves pénibles, mais au fond honorables et salutaires, et je n'estimerais pas beaucoup celui qui arriverait au sacerdoce sans les avoir traversées......

1. Il se nommait François Liart. C'était une très honnête et très droite nature. Il mourut à Tréguier dans les derniers jours de mars 1845. Sa famille me fit rendre, après sa mort, les lettres que je lui avais écrites; je les ai toutes.

Je t'ai dit comment une force indépendante de moi ébranlait en moi les croyances qui ont fait jusqu'ici le fondement de ma vie et de mon bonheur. Oh! mon ami, que ces tentations sont cruelles et comme j'aurais des entrailles de compassion, si Dieu m'amenait jamais quelque malheureux qui en fût travaillé! Comme ceux qui ne les ont pas éprouvées sont maladroits envers ceux qui en souffrent! Cela est tout simple; on ne sent bien que ce qu'on a éprouvé, et ce sujet est si délicat, que je ne crois pas qu'il y ait deux hommes au monde plus incapables de s'entendre qu'un croyant et un doutant, quand ils se trouvent en face l'un de l'autre, quelles que soient leur bonne foi et même leur intelligence. Ils parlent deux langues inintelligibles, si la grace de Dieu n'intervient entre eux comme interprète. Que j'ai bien senti combien ces grands maux sont au-dessus de tout remède humain et que Dieu s'en est réservé le traitement, manu mitissima et suavissima pertractans vulnera mea, comme dit saint Augustin, qu'on s'aperçoit bien avoir passé par cette filière, à la façon dont il en parle!... Parfois l'Angelus Satanæ qui me colaphizet se réveille. Que veux-tu, mon pauvre ami! c'est notre sort. Converte te supra, converte te infra, la vie de l'homme et surtout du chrétien est un combat, et en définitive, ces tempêtes lui sont peutêtre plus avantageuses qu'un trop grand calme, où il s'endormirait..... Je ne reviens pas, mon cher ami, en songeant qu'avant un an tu seras prêtre, toi, mon cher Liart, qui as été mon condisciple, mon ami d'enfance. Nous voilà plus qu'à moitié de notre vie, selon l'ordre ordinaire, et l'autre moitié ne sera probablement pas

la plus agréable. Comme cela nous engage à regarder ce qui passe comme n'étant pas et a supporter patiemment des peines de quelques jours, dont nous rirons dans quelques années et auxquelles nous ne penserons pas dans l'éternité! Vanité des vanités !

Un an après, le mal que je croyais passager avait envahi ma conscience tout entière. Le 22 mars 1845, j'écrivis à mon ami, une lettre qu'il ne put lire. Il était mourant quand elle lui parvint.

Ma position au séminaire n'a reçu, depuis nos derniers entretiens, aucun changement bien sensible. J'ai la faculté d'assister régulièrement au cours de syriaque de M. Quatremère, au Collège de France, et j'y trouve un intérêt extrême. Cela me sert à bien des fins: d'abord à acquérir des connaissances belles et utiles, puis à me distraire de certaines choses en m'occupant à d'autres... Il ne manquerait rien à mon bonheur, si les désolantes pensées que tu sais ne m'affligeaient continuellement l'âme, et cela selon une effroyable progression d'accroissement. Je suis bien décidé à ne pas accepter le sous-diaconat à la prochaine ordination. Cela ne devra paraitre singulier à personne, puisque l'àge m'obligerait à mettre un intervalle entre mes ordres. Du reste, que m'importe l'opinion? Il faut que je m'habitue à la braver pour être prêt à tout sacrifice. Je passe bien des moments cruels; cette semaine sainte,

surtout, a été pour moi douloureuse; car toute circonstance qui m'arrache à ma vie ordinaire me replonge dans mes anxiétés. Je me console en pensant à Jésus, si beau, si pur, si idéal en sa souffrance, qu'en toute hypothèse j'aimerai toujours. Même si je venais à l'abandonner, cela devrait lui plaire; car ce serait un sacrifice fait à la conscience, et Dieu sait s'il me coû terait!

Je crois que toi, du moins, tu saurais le comprendre. Oh! mon ami, que l'homme est peu libre dans le choix de sa destinée! Voici un enfant qui n'agit encore que par impulsion et imitation; et c'est à cet âge qu'on lui fait jouer sa vie; une puissance supérieure l'enlace dans d'indissolubles liens; elle poursuit son travail en silence, et, avant qu'il commence à se connaître, il est lié sans savoir comment. A un certain age, il se réveille; il veut agir. Impossible... ; ses bras et ses mains sont pris dans d'inextricables réseaux ; c'est Dieu même qui le serre, et la cruelle opinion est là, faisant un irrévocable arrêt des velléités de son enfance, et elle rira de lui s'il veut quitter le jouet qui amusa ses premières années. Oh! encore s'il n'y avait que l'opinion! Mais tous les liens les plus doux de la vie entrent dans le tissu du filet qui l'entoure, et il faudra qu'il arrache la moitié de son cœur, s'il veut s'en délivrer. Que de fois j'ai désiré que l'homme naquit ou tout à fait libre ou dénué de liberté. Il serait moins à plaindre s'il naissait comme la plante invariablement fixée au sol qui doit la nourrir. Avec ce lambeau de liberté, il est assez fort pour résister, pas assez pour agir... O mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous

abandonné? Comment concilier tout cela avec l'empire d'un père? Il y a là des mystères, mon ami. Heureux qui peut ne les sonder qu'en spéculation!

Il faut que tu sois bien mon ami pour que je te dise tout cela. Je n'ai pas besoin de te demander le silence. Tu comprends qu'il faut des ménagements pour ma mère. J'aimerais mieux mourir que de lui causer une minute de peine. O Dieu, aurai-je la force de lui préférer mon devoir? Je te la recommande; elle aime beaucoup tes attentions; c'est le plus grand service que tu puisses me rendre.

V

J'arrivai ainsi aux vacances de 1845, que j'allai passer, comme les précédentes, en Bretagne. Là, j'eus beaucoup plus de temps pour réfléchir. Les grains de sable de mes doutes s'agglomérèrent et devinrent un bloc. Mon directeur, qui, avec les meilleures intentions du monde, me conseillait mal, n'était plus auprès de moi. Je cessai de prendre part aux sacrements de l'Église, tout en ayant le même

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