Billeder på siden
PDF
ePub

l'Ecriture et de l'Église, il n'y a pas à choisir. Un seul dogme abandonné, un seul enseignement de l'Église repoussé, c'est la négation de l'Église et de la révélation. Dans une Église fondée sur l'autorité divine, on est aussi hérétique pour nier un seul point que pour nier le tout. Une seule pierre arrachée de cet édifice, l'ensemble croule fatalement.

Il ne sert non plus de rien d'alléguer que l'Église fera peut-être un jour des concessions qui rendront inutiles des ruptures comme celle à laquelle je dus me résigner, et qu'alors on jugera que j'ai renoncé au royaume de Dieu pour des vétilles. Je sais bien la mesure des concessions que l'Église peut faire et de celles qu'il ne faut pas lui demander. Jamais l'Église catholique n'abandonnera rien de son système scolastique et orthodoxe; elle ne le peut pas; c'est comme si l'on demandait à M. le comte de Chambord de n'être pas légitimiste. Il y aura des scissions, je le crois, plus que jamais; mais le vrai catholique dira inflexiblement : « S'il faut lâcher quelque chose, je lâche tout; car

je crois à tout par principe d'infaillibilité, et le principe d'infaillibilité est aussi blessé par une petite concession que par dix mille grandes. » De la part de l'Église catholique, avouer que Daniel est un apocryphe du temps des Macchabées serait avouer qu'elle s'est trompée; si elle s'est trompée en cela, elle a pu se tromper en autre chose; elle n'est plus divinement inspirée.

Je ne regrette donc nullement d'être tombé, pour mon éducation religieuse, sur des maitres sincères qui se seraient fait scrupule de me laisser aucune illusion sur ce que doit admettre un catholique. Le catholicisme que j'ai appris n'est pas ce fade compromis, bon pour les laïques, qui a produit de nos jours. tant de malentendus. Mon catholicisme est celui de l'Ecriture, des conciles et des théologiens. Ce catholicisme, je l'ai aimé, je le respecte encore; l'ayant trouvé inadmissible, je me suis séparé de lui. Voilà qui est loyal de part et d'autre. Ce qui n'est pas loyal, c'est de dissimuler le cahier des charges, c'est de se faire l'apologiste de ce qu'on ignore. Je ne

me suis jamais prêté à ces mensonges. Je n'ai pas cru respectueux pour la foi de tricher avec elle. Ce n'est pas ma faute si mes maîtres m'avaient enseigné la logique, et, par leurs argumentations impitoyables, avaient fait de mon esprit un tranchant d'acier. J'ai pris au sérieux ce qu'on m'a appris, scolastique, règles du syllogisme, théologie, hébreu; j'ai été un bon élève; je ne saurais être damné pour cela.

IV

Telles furent ces deux années de travail intérieur, que je ne peux comparer qu'à une violente encéphalite, durant laquelle toutes les autres fonctions de la vie furent suspendues en moi. Par une petite pédanterie d'hébraïsant, j'appelai cette crise de mon existence Nephtali, et je me redisais souvent

1. Lucta mea, Genèse, xxx, 8.

le dicton hébraïque : Naphtoulé élohim niphtalti « J'ai lutté des luttes de Dieu. » Mes sentiments intérieurs n'étaient pas changés; mais, chaque jour, une maille du tissu de ma foi se rompait. L'immense travail auquel je me livrais m'empêchait de tirer les conséquences; ma conférence d'hébreu m'absorbait; j'étais comme un homme dont la respiration est suspendue. Mon directeur, à qui je communiquais mes troubles, me disait

exactement

comme M. Gosselin à Issy: << Tentations contre la foi! N'y faites pas attention allez droit devant vous. » Il me fit lire un jour la lettre que saint François de Sales écrivait à madame de Chantal: « Ces tentations ne sont que des afflictions. comme les autres. Sachez que j'ai vu peu de personnes avoir été avancées sans cette épreuve; il faut avoir patience. Il ne faut nullement répondre, ni faire semblant d'entendre ce que l'ennemi dit. Qu'il clabaude tant qu'il voudra à la porte, il ne faut pas seulement dire : « Qui va là? »

La pratique des directeurs ecclésiastiques

est, en effet, le plus souvent, de conseiller à celui qui avoue des doutes contre la foi de ne pas y faire attention. Loin de reculer les vœux pour ce motif, ils les précipitent, pensant que ces troubles disparaissent quand il n'est plus temps d'y donner suite, et que les soucis de la vie active du ministère chassent plus tard ces hésitations spéculatives. Ici, je dois le dire, je trouvai la sagesse de mes pieux directeurs un peu en défaut. Mon directeur de Paris, homme très éclairé cependant, voulait que je prisse résolument le sousdiaconat, le premier des ordres sacrés constituant un lien irrévocable. Je refusai net. Quant aux premiers degrés de la cléricature, je lui avais obéi. C'est lui-même qui me fit remarquer que la formule exacte de l'engagement qu'ils impliquent est contenue dans les paroles du psaume qu'on prononce : Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei. Tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. Eh bien, la main sur la conscience, cet engagement-là, je n'y ai jamais manqué. Je n'ai jamais eu d'autre intérêt que celui de la vérité, et j'y ai

« ForrigeFortsæt »