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pas, à la commission du Corpus des inscriptions sémitiques des services considérables.

A son immense savoir M. Le Hir joignait une manière d'écrire juste et ferme. Il aurait eu beaucoup d'esprit s'il se fût permis d'en avoir. Sa mysticité tendue rappelait celle de M. Gottofrey; mais il avait bien plus de rectitude de jugement. Sa mine était étrange. Il avait la taille d'un enfant et l'apparence la plus chétive, mais des yeux et un front indiquant la compréhension la plus vaste. Au fond, il ne lui manqua que ce qui l'eût fait cesser d'être catholique, la critique. Je dis mal: il avait la critique très exercée en tout ce qui ne tient pas à la foi; mais la foi avait pour lui un tel coefficient de certitude, que rien ne pouvait la contre-balancer. Sa piété était vraiment comme les mères-perles de François de Sales, « qui vivent emmy la mer sans prendre aucune goutte d'eau marine ». La science qu'il avait de l'erreur était toute spéculative; une cloison étanche empêchait la moindre infiltration des idées modernes de se faire dans le sanctuaire réservé de son cœur, où brûlait, à

côté du pétrole, la petite lampe inextinguible d'une piété tendre et absolument souveraine. Comme je n'avais pas en mon esprit ces sortes de cloisons étanches, le rapprochement d'éléments contraires qui, chez M. Le Hir, produisait une profonde paix intérieure, aboutit chez moi à d'étranges explosions.

II

En somme, malgré des lacunes, Saint-Sulpice, quand j'y passai il y a quarante ans, présentait un ensemble d'assez fortes études. Mon ardeur de savoir avait sa pâture. Deux mondes inconnus étaient devant moi, la théologie, l'exposé raisonné du dogme chrétien, et la Bible, censée le dépôt et la source de ce dogme. Je m'enfonçai dans le travail. Ma solitude était plus grande encore qu'à Issy. Je ne connaissais pas une âme dans Paris. Je fus deux ans sans suivre d'autre rue que la

rue de Vaugirard, qui, une fois par semaine, nous menait à Issy. Je parlais extrêmement peu. Ces messieurs, pendant tout ce temps, furent pour moi d'une bonté extrême. Mon caractère doux et mes habitudes studieuses, mon silence, ma modestie leur plurent, et je crois que plusieurs d'entre eux firent tout bas la réflexion que me communiqua M. Carbon : << Voilà pour nous un futur bon confrère. » Le 29 mars 1844, j'écrivais à un de mes amis de Bretagne, alors au séminaire de SaintBrieuc :

Je me trouve fort bien ici. Le ton de la maison est excellent, également éloigné de la rusticité, d'un égoïsme grossier et de l'afféterie. On se connait peu, et le cœur est un peu à froid; mais les conversations sont dignes et élevées; il s'y mêle peu de banalités et de commérages. On chercherait en vain entre les directeurs et les élèves la cordialité; c'est là une plante qui ne croit guère qu'en Bretagne; mais les directeurs ont un certain esprit large et bon, qui plaît et convient parfaitement à l'état moral des jeunes gens tels qu'ils leur arrivent. Leur gouvernement est à peine sensible: c'est la maison qui marche, ce ne sont pas eux qui la conduisent. Le règlement, les usages et l'esprit de la maison font tout; les hommes sont passifs, ils sont là seulement pour conserver. C'est une machine bien

montée depuis deux cents ans; elle marche toute seule; le mécanicien n'a qu'à veiller sur elle, tout au plus, de temps en temps, à tourner un écrou et à huiler les ressorts. Ce n'est pas comme à Saint Nicolas, par exemple, où on ne laissait jamais la machine aller seule; le mécanicien était toujours là, volant à droite, à gauche, mettant partout le doigt, essoufflé, empressé, parce qu'on ne songeait pas que la machine la mieux montée est celle qui exige le moins d'action de la part du moteur. Le grand avantage que je trouve ici, ce sont les remarquables facilités que l'on a pour le travail, lequel est devenu pour moi un besoin et, eu égard à mon état intérieur, un devoir. Le cours de morale est très bien fait; il n'en est pas de même du cours de dogme: le professeur est nouveau, ce qui, joint à l'importance majeure, et personnelle pour moi, des traités de la Religion et de l'Église, m'arrangerait fort mal, si je ne trouvais auprès de ces autres messieurs le moyen d'y suppléer.

J'avais, en effet, pour les sciences ecclésiastiques un goût particulier. Les textes se cantonnaient bien dans ma mémoire; ma tête était à l'état d'un Sic et Non d'Abélard. Tout entière construction du XIIIe siècle, la théologie ressemble à une cathédrale gothique: elle en a la grandeur, les vides immenses et le peu de solidité. Ni les Pères de l'Église, ni les

écrivains chrétiens de la première moitié du moyen âge ne songèrent à dresser une exposition systématique des dogmes chrétiens dispensant de lire la Bible avec suite. La Somme de saint Thomas d'Aquin, résumé de la scolastique antérieure, est comme un immense casier, qui, si le catholicisme est éternel, servira à tous les siècles : les décisions des conciles et des papes à venir y ayant leur place en quelque sorte d'avance étiquetée. Il ne peut être question de progrès dans un tel ordre d'exposition. Au xvr° siècle, le concile de Trente détermine une foule de points qui étaient jusque-là controversables; mais chacun de ces anathèmes avait déjà sa rubrique ouverte dans l'immense cadre de saint Thomas. Melchior Canus et Suarès refont la Somme sans y rien ajouter d'essentiel. Âu xvire et au XVIIIe siècle, la Sorbonne compose, pour l'usage des écoles, des traités commodes, qui ne sont le plus souvent que la Somme remaniée et amoindrie. Partout ce sont les mêmes textes découpés et séparés de ce qui les explique, les mêmes syllogismes triomphants, mais

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