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PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Nous publions aujourd'hui la seconde partie d'un ouvrage commencé depuis longtemps déjà. Le suffrage bienveillant dont l'Académie française a daigné l'honorer, à son début, semblait un encouragement et un appel, qu'on nous reprochera peut-être d'avoir trop aisément oublié. Si nous étions assez vain pour croire que le lecteur se fût aperçu de ce retard, nous essayerions de le justifier en disant que de longues recherches, des accidents imprévus, la mort d'un éditeur qui était à la fois un conseiller et un ami, ont entravé cette publication'. Mais nous imaginons que l'auteur seul a pu être tenté parfois de s'impatienter. Il nous suffira donc d'exposer en peu de mots l'objet de ce nouveau volume, où nous entreprenons de mettre en relief une des faces les plus intéressantes et les moins connues de notre histoire littéraire au seizième siècle. Dans la Satire au

1. Le 1er volume a été publié en 1859, le 2e en 1866.

Moyen Age, nous avons vu le génie critique et railleur de notre race éclatant même au sein de la société féodale et religieuse, avec les premiers bégaiements de notre langue, sur la vielle des trouvères, sur les tréteaux du théâtre, et jusque dans la chaire chrétienne. Ici nous allons le voir mêlé au plus effroyable bouleversement d'idées et de croyances qui ait remué le monde, depuis l'avénement du Christianisme.

De bonne heure une secrète sympathie, peut-être une certaine analogie de destinées et d'aspirations confuses, a ramené l'attention de notre époque vers ce berceau de la Renaissance et de la Réforme. Après les travaux de Le Duchat et de Lenglet Dufresnoy, Daunou et François de Neufchateau avaient des premiers frayé la voie. M. Villemain à peine sorti des bancs du collége, et bientôt sur ses pas MM. Saint-Marc Girardin et Philarète Chasles, venaient y cueillir leur première palme académique. M. Sainte-Beuve, dans toute l'ardeur et la foi de la jeunesse, y plantait hardiment le drapeau de la nouvelle école, en exhumant d'une main victorieuse les gloires éteintes et les grâces éclipsées de la Pléiade. C. Nodier y faisait ses plus chères trouvailles de bibliophile et de savant en quête de nouveau et d'inconnu. Depuis, d'autres explorateurs se sont mis à l'œuvre : MM.D. Nisard, Mérimée, Vitet, Géruzez, C. Labitte, Feugère, Louandre, Leber, Taschereau, P. Lacroix, etc, les uns armés de leur haute raison et de leur goût délicat, les autres de leur ingénieuse et patiente érudition. Enfin, les protestants comme MM. Haag, Coquerel, Vinet, Sayous, sont revenus avec amour à cet âge héroïque de leur Église. Pourtant, si labouré, si fouillé qu'il

ait été jusqu'ici, ce champ fécond en ruines et en souvenirs n'est pas épuisé. Le fond de notre littérature, comme celui de notre sol, réserve encore plus d'une surprise aux infatigables pionniers de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

On s'est mis, depuis quelques années, à gratter et à sonder la mince écorce du globe terrestre, pour y chercher les débris des villes englouties et des civilisations éteintes: on s'est extasié devant ces mystérieuses nécropoles, ces tronçons de colonnes et d'obélisques, ces inscriptions et ces tombeaux, muets témoins d'un monde dont l'histoire elle-même n'a pas toujours gardé le souvenir. Il est un autre genre de fouilles non moins curieuses, celles des monuments écrits, où revivent les idées et les passions qui ont divisé ou transformé les sociétés humaines. La philosophie, l'érudition, la critique y trouvent le même intérêt que la géologie dans l'étude des métamorphoses diverses qui ont amené la formation de notre globe.

Il y a, en effet, deux parts dans la littérature : l'une militante, associée à la lutte des passions et des ambitions contemporaines; l'autre spéculative, isolée dans le monde de l'idéal, sans autre préoccupation que l'amour pacifique du beau et du vrai. La France, née pour l'action, a guerroyé de bonne heure par la parole comme par l'épée. Les troubadours sont, avec les prédicateurs, les auxiliaires de la croisade : les chants mordants du sirvente précèdent ou accompagnent les querelles et les exploits des barons. Nos écrivains les plus populaires, les plus vraiment français, Rabelais, Molière, Voltaire,

Béranger, ont été de hardis batailleurs, aimant, com leurs pères, à combattre et à finement parler.

Chercher dans les œuvres littéraires, à côté des leç éternelles du goût et des purs enchantements de l'in gination, les traces des idées ou des passions éphémè qui ont agité le genre humain, des vertus qui l'ont b noré, des vices ou des ridicules qui l'ont diverti, d fautes et des erreurs qui ne l'ont pas toujours corrig faire de la critique l'auxiliaire de l'histoire, renvoyer lumière de l'une à l'autre, tel est le plan que nous avo suivi dans la première partie de cet ouvrage 1, et que suite de nos études nous a fait mieux comprendre e core. De cette façon, combien de pages mortes ou in colores en apparence se trouvent éclairées d'un jou nouveau! Pour les œuvres secondaires, c'est la seu manière de les ramener à la vie pour les œuvres s périeures, qui ont déjà d'elles-mêmes le charme éte nel de la beauté, c'est souvent le moyen de les mieu sentir et d'expliquer en partie leur origine le secret d leur force et de leur popularité. A coup sûr, ce seral rabaisser l'art que d'en faire l'humble serviteur des ci constances mais, si indépendant qu'on le suppose encore n'échappe-t-il pas à ces influences extérieures à ces courants d'idées qui forment, pour ainsi dire, l'at mosphère morale où s'épanouissent ses créations. C'es par là qu'il est national, contemporain; car, si grand que soit un auteur par le génie, il est toujours par certains côtés l'homme de son siècle et de son pays.

Ce rôle militant, nul genre ne l'a mieux rempli que

(1) La Satire au moyen âge.

-la Satire. Ici nous ne désignons pas seulement cette forme spéciale de composition littéraire illustrée par Horace et Boileau, la plus parfaite et la plus savante qu'ait trouvée l'esprit de médisance et d'opposition. Nous prenons ce mot dans le sens où le prenait Varron, en écrivant sa Ménippée : Satura sive mixtura, mélange de sujets, de formes, de tons variés, descendant et montant tour à tour de la prose aux vers, des vers à la prose, de l'ironie à l'invective, du rire à l'indignation. Nous pouvons dire avec Juvénal, en étendant encore sa devise, s'il est possible :

Quidquid agunt homines.

nostri est farrago libelli.

Les matériaux d'un pareil ouvrage n'ont qu'un défaut capital, leur abondance même. Le nombre des. satires et des pamphlets composés au seizième siècle suffirait seul à former une bibliothèque. Nous ne ferons point à toutes ces productions, parfois assez méprisables, l'honneur de les citer, bien que nous ayons pris la peine de les feuilleter et de les lire. Là, comme ailleurs, quelque voix puissante, quelque noble cri d'indignation et de colère, quelque malice retentissante nous en dira plus long que les mille bruissements infimes de la haine et de la calomnie accumulés durant un siècle. Dans cette grande bataille des livres, comme dans celle des hommes, il faut surtout distinguer les chefs. C'est le cas de monter avec le Prophète sur les hauteurs de Samarie, pour contempler d'ensemble la mêlée : « Congregamini super montes Samariæ, et vi

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