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En effet, le premier moment de colère passé, il fut possible de s'entendre avec le Roi. Marot, tout en bravant de loin le Pape et la Mort, pour édifier ses nouveaux coreligionnaires, négociaît secrètement, par l'entremise du Dauphin, son retour en France. Une petite scène d'abjuration destinée à calmer toutes les défiances, fut organisée à l'amiable, sans bruit, dans la cathédrale de Lyon 1. Le coupable, impatient de rentrer en grâce, se résigna sans peine à cette douce pénitence: il redevint catholique comme il était devenu protestant, par occasion, par nécessité, et sans trop essayer de s'en rendre compte. Il retrouva la Cour, le Roi, les dames, le Châtelet, et jura de rester désormais en paix avec tout le monde. C'était trop présumer de sa mauvaise étoile.

A peine rentré, il vit se former contre lui une ligue d'une nouvelle espèce, celle des gens de lettres, qui le comptaient déjà pour mort et se flattaient de lui succéder dans la faveur du Roi et du public. Toute cette petite race envieuse, bruyante, affamée, qui bourdonne comme une nuée d'insectes autour des grandes réputations, se rua sur lui. Elle avait pour chefs Huet et Sagon, Zoïles de bas étage auxquels l'inimitié d'un écrivain fameux vaut parfois l'immortalité du ridicule. Sagon, mauvais rimeur provincial, attaché comme secrétaire à l'abbé de Saint-Evroul en Normandie, ne pouvait pardonner à Marot de lui avoir volé sa place dans l'admiration publique. Huet lui reprochait de l'avoir supplanté dans ses prétentions au titre de valet de chambre du Roi. Ces deux honnêtes diffamateurs eurent bientôt ameuté à leur suite toute la populace des poëtes incompris, des apprentis écrivains, jaloux de se faire connaître en s'escrimant contre la réputation d'un auteur en vogue. C'étaient, nous dit Marot lui-même :

... Un tas de jeunes veaux,

Un tas de rimasseurs nouveaux,
Qui cuident 2 eslever leur nom,
Blasmant les hommes de renom 3.

1. Le fait est contesté par MM. Haag, mais sans preuve. N'est-il pas étrange que Marot, dans sa réponse à Sagon, n'ait pas songé à le désavouer ?

2. Croient.

3. Fripelipes, valet de Marot, à Sagon, 1537.

Lâche conspiration, qui s'est renouvelée plus d'une fois même de nos jours. Marot ne s'abaissa pas jusqu'à répondre directement. Avec un dédain superbe, digne d'un page et d'un poëte royal, il chargea son valet Fripelipes de fustiger cette canaille. Ce fut par sa main qu'il donna des étrivières à Sagon. Fripelipes eut bientôt pour auxiliaires les amis, les admirateurs et les disciples du poëte, Octavien de Saint-Gelais, Bonaventure des Périers, Charles Fontaine, qui ripostèrent vaillamment aux injures des diffamateurs. La querelle dégénéra en violences et en gros mots. Bientôt Sagon s'appela François Sagouin 1. Au milieu de la mêlée apparut, comme un revenant, la grotesque figure de l'abbé des Cornards, sommant les deux partis de mettre un terme à ce duel interminable, qui troublait le royaume de la gaie science. La lassitude acheva de séparer les combattants. Marot put croire cette fois que l'heure de la paix était venue. Il se trompait, et devait batailler, malgré lui, jusqu'à la mort.

Cependant ses pensées étaient devenues sérieuses: il songeait à la pénitence; et, pour s'y préparer, il avait entrepris, de concert avec Vatable, professeur d'hébreu au Collége Royal, ́ la traduction des Psaumes de David: François Ier l'y encourageait. Les premiers psaumes, traduits et mis en musique sur des airs profanes, obtinrent un succès universel. Le Roi, les courtisans, les dames se mirent à les chanter; chacun eut son couplet de prédilection: jamais les larmes de la pénitence n'avaient été versées si gaiement. Le malheur voulut que les Protestants montrèrent plus d'ardeur encore à les répéter; qu'ils allèrent en procession les chanter au Pré aux Clercs; que Calvin en fit l'éloge: ce fut assez pour éveiller les soupçons. La Sorbonne, mécontente de cette traduction, avait depuis longtemps l'œil sur Marot. De bonne heure, elle avait deviné que l'esprit nouveau allait trouver dans ce poëte ba

1. Petit singe.

Or, des bêtes que j'ai sus dites,
Sagon, tu n'es des plus petites;
Combien que Sagon soit un mot
Et le nom d'un petit marmot.
(51e épil.)

vard, indiscret et libertin, un dangereux auxiliaire, un de ces enfants perdus qui sèment le désordre et la révolte autour d'eux. Celui-ci faisait peu de cas des théologiens et de leur science; il se moquait à tout propos des quaré, des utrùm et des ergò de la Faculté, mauvaise disposition qui sentait déjà l'hérésie. De plus, il fréquentait et exaltait sans cesse les professeurs du Collége Royal aux dépens de la Sorbonne. Sur ce dernier point, il était difficile de l'inquiéter: l'espiègle rimeur savait bien qu'il adressait du même coup une flatterie au Roi et une malice à ses ennemis. Mais en matière d'orthodoxie, on pouvait toujours espérer de le ressaisir. La traduction des Psaumes devint aux yeux de la Faculté un véritable complot contre l'Église. François Ier, las de guerres et de disputes, s'acheminait doucement vers la pénitence, entre son confesseur et ses maîtresses. Diane de Poitiers était plus haineuse et plus orthodoxe que jamais, en vieillissant. Marot regarda autour de lui, sentit le vide, et crut prudent de fuir encore une fois. Calvin lui offrit à Genève un asile, que son humeur l'obligea bientôt de quitter, pour aller mourir obscurément dans un coin du Piémont, en regrettant toujours la France et son roi.

Ainsi se termina cette existence aventureuse, commencée sous de si gais auspices et remplie de tant d'accidents, de fautes et de déceptions. Par la plus étrange des fatalités, par un de ces quiproquos trop communs dans les temps de révolution, grâce à la légèreté de son caractère, à l'inconstance de ses idées, à la passion de ses ennemis, Marot se vit transformé en athlète et en Tyrtée de la Réforme. Était-il fait pour un tel rôle ? Les savants auteurs de la France protestante, MM. Haag, ont semblé le croire. En revendiquant Marot comme un des leurs, ils déplorent les calomnies qui n'ont cessé de poursuivre la mémoire du poëte, par la faute même de ses admirateurs, et surtout de son inexact biographe Lenglet Dufresnoy. Ils citent, à l'appui de leur opinion, la bravade héroïque que Marot lançait à la Mort de son exil de Venise, à trois cents lieues du Châtelet:

O quatre fois et cinq fois bien heureuse

La mort, tant soit cruelle et rigoureuse 1!

Quand il écrivait ces vers, Marot était sincère dans son enthousiasme, nous le voulons bien; mais savait-il lui-même ce qu'il penserait le lendemain ?

Je ressemblois l'arondelle, qui vole

Puis çà, puis là 2.

Il jurait un amour éternel à sa mie et à Dieu, puis oubliait son serment. Bien qu'il ait été emprisonné, persécuté, banni, faut-il l'inscrire au martyrologe des écrivains qui ont souffert et qui sont morts pour leur foi? N'a-t-il pas été plus souvent le martyr de ses imprudences que de ses convictions? Tête folle et bon cœur, sans trop de scrupule ni de délicatesse, enfant gâté du Roi qu'il adore et compromet, des femmes qu'il trompe, du public dont il se moque quelquefois, il a aimé la liberté par goût et par indiscipline, en page ennemi de ce qui le gêne. Il a détesté la Sorbonne et la prison comme l'oiseau déteste sa cage; il a maudit la violence et l'injustice par instinct généreux, et surtout quand il en était victime. Comme plus tard Régnier et Musset, il a eu ses quarts d'heure de mélancolie édifiante, bientôt effacés par un coup d'aile de l'Amour ou par un malin sourire. En un mot, il a été cette chose légère dont parle Platon, courant aux fleurs, aux nouveautés et aux plaisirs, libre viveur plus encore que libre penseur. Ne lui demandons pas davantage.

§ III. BONAVENTURE DES PÉRIERS: le Cymbalum Mundi.
ÉTIENNE DOLET: le Second Enfer.

C'est à cette même race d'esprits flottants et libertins que nous rattacherons un autre écrivain, ami et défenseur de Marot contre Sagon, Bonaventure des Périers, dont la vie fut aussi légère, aussi dissipée que celle du page de François Ier, et la fin plus triste encore. L'intarissable conteur, le

1. Epit. au Roi, 1535.
2. Églogue au Roi, 1539.

galant valet de chambre de Marguerite, si habile à jouer du luth, se perçant lui-même de son épée dans un moment de désespoir, est un exemple singulier de ces existences avortées, qui viennent tristement échouer au milieu des premiers orages du seizième siècle. Quelle fut la cause de sa mort? Un petit livre, dit-on, supprimé dès sa naissance, que personne n'avait eu le temps de lire, ni de voir, et dont tout le monde parlait avec horreur : c'était le Cymbalum Mundi. L'auteur prétendait l'avoir traduit du latin et trouvé dans un vieux couvent, près de la cité de Dabas. A part le fameux pamphlet invisible et apocryphe des Trois Imposteurs, jamais écrit n'excita plus de haine et de curiosité.

D'abord, que signifiait ce titre de Cymbalum? Bien des gens se le demandaient, et se montraient d'autant plus scandalisés qu'ils n'en savaient rien. Quelques-uns supposaient que ce mot voulait dire la clochette ou le carillon du monde, c'est-à-dire le réveille-matin de l'impiété, le scandale sonné à pleine volée sur toutes les croyances comme un tocsin général'. Nous verrons tout à l'heure si la clochette de des Périers méritait de soulever une pareille tempête. Quoi qu'il en soit, un cri de réprobation universelle accueillit l'ouvrage et l'auteur. Le libraire Jean Morin fut mis en prison et ruiné ; le livre, saisi et brûlé; si bien qu'un siècle et demi après, Bayle en cherchait vainement un exemplaire. L'arrêt de suppression, en date du 7 mars 1537, signalait à l'attention des juges la saisie d'un certain nombre d'autres livres fols et erronés venant d'Allemagne, et notamment ceux de Clément Marot, passé désormais à l'état d'auteur réprouvé. Le président Lizet constatait avec effroi que les écoles elles-mêmes étaient infectées de cette contagion, et qu'on y faisait lire aux élèves des livres remplis de beaucoup d'erreurs. Paroles curieuses, où se révèlent les inquiétudes et le malaise secret d'un monde que travaillait en tous sens l'esprit de réforme et de nouveauté.

1. Le Duchat donne à ce mot un autre sens. « Dans les principes de l'auteur, dit-il, l'Écriture sainte, sur laquelle est établie la vérité de la religion chrétienne, est une cloche à laquelle les différents partis font dire le pour et le contre, à l'exemple de Frère Jean et de Panurge dans Rabelais. »

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