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de se renvoyer ce dangereux présent. Véritable enfant terrible, dont les coups de tête et les malices désespéraient ses protecteurs comme ses ennemis, Marot eut par-dessus tout le génie des imprudences. Il leur dut ce qu'il ne méritait guère, l'honneur d'être persécuté. Qui se fût jamais douté que cet être vain, léger, voltigeant, ce petit clerc du Palais devenu page, dont le babil et les gentillesses amusaient les dames de la cour, se transformerait tout d'un coup en criminel, en complice de l'hérésie et de la révolte ? Les misères du temps, la rancune d'une femme, la mauvaise étoile du poëte et ses légèretés amenèrent cette métamorphose. Vive et capricieuse abeille égarée sans lest au milieu de la tourmente du seizième siècle, battue par tous les vents contraires, son aiguillon lui restait. Il en usa, en abusa même, piqua l'un, piqua l'autre, et réussit trop pour son malheur. Avec la nature la plus aimable, la plus enjouée, la plus désireuse et la plus capable de plaire, il suscita contre lui de redoutables inimitiés. Bientôt il eut sur les bras la maîtresse du roi et son confesseur, la Cour et la Ville, la Sorbonne et le Parlement, le guet, les procureurs et les sergents du Châtelet, sans compter Huet et Sagon. C'était cent fois plus qu'il n'en fallait pour perdre un homme moins imprudent que Marot. Lui, hardi et bretteur comme un page, la toque sur l'oreille, l'épée au côté, la plume au poing, tint bon contre les assaillants, ne lâchant pied que devant le bûcher :

Sus donc, ma plume, ores sois ententive
D'entrer en feu d'aigreur vindicative.

Lors Renommée, avec ses ailes peintes,
Ira volant en bourgs et villes maintes,
Et sonnera sa trompette d'argent

Bien qu'il n'ait pas écrit de satires proprement dites, la médisance tient une large place dans les œuvres de Marot. Il la répand en épîtres, en rondeaux, en ballades, en chan

1. Élégie, XIV (1525).

sons, en épigrammes, en coq-à-l'âne, genres secondaires où il est resté sans rival. Tout devient dard entre ses mains. Plus la pièce est courte, plus la pointe en est fine et acérée : jamais on n'a porté plus loin l'art de l'égratignure. L'histoire de ses satires n'est guère que celle de ses amours, de ses ruptures, de ses emprisonnements et de ses exils: elles en sont la cause et la conséquence. Il est emprisonné pour avoir rimé, et rime pour se venger d'être en prison. Il accumule faute sur faute, colère sur colère, et enfin, à bout de vers et de ressources, il invoque l'indulgence du Roi ou de la bonne Marguerite pour se tirer d'embarras. Mais le Roi n'était pas toujours là. Il languissait tristement dans sa captivité de Madrid, où sa sœur allait le consoler, quand Marot fit connaissance avec le Châtelet. Une mauvaise fée, dont l'influence devait le suivre durant toute sa vie, l'y conduisit :

Il fait bon être papelard,

Et ne courroucer point les fées 1.

Excellent conseil qu'il donnait lui-même, et qu'il eut le tort d'oublier. Diane de Poitiers avait d'abord accueilli et encouragé des hommages qui flattaient sa vanité. Marot ne sut pas se contenter des licences poétiques, qui lui permettaient de tutoyer dans ses vers la maîtresse du Roi ou du Dauphin, de mourir pour elle en rimant, et de baiser sa main aux grands jours 2. Il voulut, osa, réclama davantage, se vit

1. Du Coq à l'Ane, à Lyon Jamet.

2. Que faut-il penser de ces prétendues relations galantes entre Marot et Diane de Poitiers, et de toute cette histoire romanesque arrangée avec tant d'art et de malice par Langlet Dufresnoy? Un homme fort instruit et fort au courant de l'époque, M. G. Guiffrey. dans sa notice sur les Lettres inédites de Diane de Poitiers, avait tout d'abord rejeté cette légende comme invraisemblable. Depuis, il est devenu moins affirmatif. Faut-il avec lui ne voir là qu'une haine de femme et une rancune de poëte, dont on ignore les vraies causes? Peut-être l'effet d'une rivalité avec la duchesse d'Etampes, Anne de Pisseleu, qui se montrait favorable aux protestants? Mais un des exils de Marot est attribué à cette même duchesse, qu'il avait offensée, dit-on, par ce trait sanglant :

11 n'est que du sablon d'Etampes
Pour faire reluire un vieux pot.

Impertinence de mauvais goût désavouée par le poëte, il est vrai. D'un autre

refusé, joué, méprisé peut-être, et cria bien fort à la trahison. L'univers dut apprendre les perfidies de l'altière Luna et les désordres de l'impudique Isabeau, pseudonymes offensants qui n'étaient un secret pour personne. En femme habile, Diane dissimula son injure, et la mit au compte de Dieu. On commençait à parler d'hérésie. C'était là une de ces accusations vagues et élastiques, dont s'accommodent volontiers la sottise ou la haine dans certains temps. Un matin donc, Marot reçut la visite de trois grands pendards, comme il les appelle, qui l'invitèrent à les suivre chez le sieur Bouchart, docteur en théologie et grand inquisiteur pour la foi. Il était accusé d'un crime capital, d'avoir mangé du lard en carême, c'est-à-dire d'être luthérien. Au fond Marot n'était guère plus hérétique que le Roi. Il avait pu, comme tant d'autres, prêter l'oreille aux bruits venus de l'Allemagne, médire des papelards et des fagots, pour lesquels il se sentit toujours peu de sympathie, hanter quelque société suspecte, et faire montre au besoin d'esprit fort par jactance et par vanité mais il n'était pas allé plus loin. Quand il se vit seul, en face de ces grands murs noirs du Châtelet, où Villon avait si bravement rimé son épitaphe, la peur le prit. Il écrivit au terrible Bouchart, pour protester de son orthodoxie :

:

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En même temps, il adressait à son ami Lyon Jamet la jolie fable du Rat et du Lion, pour le prier de travailler à sa délivrance. Tout ce qu'il put obtenir fut d'être transféré dans la prison de Chartres, plus aérée et plus vaste que le Châtelet.

côté, Marot dut son retour de l'exil, en 1535, à l'intervention du Dauphin, amant de Diane. Quoi qu'il en soit, le problème reste douteux encore, et le nouvel éditeur de Marot, M. G. Guiffrey, n'a pu se flatter, malgré sa pénétration, de l'avoir complétement résolu.

(Voir Lettres inédites de Diane de Poitiers, librairie J. Renouard.) 1. Épître à Monsieur Bouchart, docteur en théologie (1525).

Là, Marot revit un coin du ciel et quelques visages amis : il n'en fallait pas davantage pour réveiller sa malice et sa gaieté. En écolier espiègle, il se mit à faire l'histoire de sa mésaventure aux dépens de ceux qui l'avaient arrêté. Il songea d'abord à Diane, et lui lança cette jolie ballade qui a pour refrain : Prenez-le : il a mangé le lard.

Un jour rescrivis à m'amye,
Son inconstance seulement;
Mais elle ne feut endormie
A me le rendre chaudement.
Car dez l'heure tint parlement
A je ne sais quel papelard,
Et luy a dict tout bellement :
Prenez-le, il a mangé le lard 1.

Puis vint le tour des juges: il composa en leur honneur une pièce de longue haleine, que les loisirs de la prison lui permirent de terminer; vrai fragment d'épopée burlesque et satirique intitulé l'Enfer. C'est la peinture de l'antre des Chats fourrés avant Rabelais. Enrôlé dès l'enfance comme petit clerc dans la grande armée de la basoche, Marot, tout en apprenant à griffonner, sur les rôles de son patron, ses premiers exploits et ses premiers vers, avait dû plus d'une fois saisir au passage d'un œil moqueur les ridicules et les types de ce monde qui l'entourait. Ses souvenirs, combinés avec la mauvaise humeur de son récent procès et les ennuis de la prison, firent de lui pour un quart d'heure le Juvénal du Palais. Il dénonce avec indignation ce pays d'Enfer,

Où les plus grands les plus petits destruisent,
Où les petits peu ou point aux grands nuisent 2.

Mais, si vives qu'elles soient, ses colères sont bientôt tempérées par la gaieté. La peinture des procès sous la figure de petits serpents, qui pullulent et se multiplient avec une effrayante fécondité, est plus spirituelle que terrible. Boileau s'en est peut-être souvenu dans son Lutrin :

1. Contre celle qui fut s'amye (1525), 14e ballade. 2 L'Enfer.

Ce sont serpens enflés, envenimés,.
Mordans, maudicts, ardens et animés.

Tu doibs sçavoir qu'issuës sont ces bestes

Du grand serpent Hydra, qui eut sept testes 1.

Les procès ne pouvaient se fâcher ni réclamer. Mais, chose plus grave, Marot se permit de faire la caricature du juge qui l'avait condamné. Dans cette galerie de portraits grotesques, qui se continue depuis le maître Jean l'Estoffé de Coquillart jusqu'au Brid'oison de Beaumarchais, c'est un type curieux à signaler en passant que ce juge pendeur et brûleur du seizième siècle :

Rhadamanthus, juge assis à son aise,
Plus enflammé qu'une ardente fournaise,
Les yeulx ouverts, les aureilles bien grandes,
Fier en parler, cauteleux en demandes,
Rebarbatif, quand son cœur il descharge :

Bref, digne d'estre aux Enfers en sa charge 2.

Rhadamanthus fut pourtant obligé de lâcher sa proie. Au retour du Roi, Marot sortit de prison plus coupable et plus compromis qu'il n'y était entré. Avec son, imprudence ordinaire, en ridiculisant ses juges, il s'était créé des ennemis irréconciliables, qui attendaient l'occasion de le ressaisir. Lui-même la leur fournit bientôt. Un jour il vit passer dans les rues de Paris un vieillard à l'air respectable, en cheveux blancs, la corde au cou, qui allait expier à Montfaucon les gaspillages de la Reine-mère. C'était Samblançay, surintendant des finances, coupable selon les uns, innocent selon les autres, mais en tout cas ferme et digne devant la mort.

Marot, touché de cette infortune, animé d'un vif instinct d'opposition contre les juges, le Châtelet et la potence, n'osant et ne pouvant s'attaquer plus haut, lança une admirable épigramme sur la tête du lieutenant Maillart:

Lorsque Maillart, juge d'Enfer, menoit

A Montfaucon Samblançay l'ame rendre,

1. L'Enfer.

2. Ibid.

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