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la roideur et la barbarie du latin théologique; de l'autre, la dignité laborieuse de la phrase cicéronienne, ou bien les lenteurs et les tâtonnements de la création. Ainsi s'explique la vogue du latin burlesque, héritage éloigné de Plaute, rameau tardif né au printemps de la Renaissance sur le vieux tronc épuisé de la langue romaine. Même parmi ceux qui avaient d'autres ressources, des hommes d'un vrai mérite, de savants théologiens comme de Bèze 1, de graves jurisconsultes comme Hotman 2, des poëtes élevés à l'école de Ronsard comme Remy Belleau 3, ne dédaignaient point de s'en servir. L'Italie, déjà dotée d'une langue littéraire par le génie de Dante, accueillit avec faveur ce latin de carnaval, chargé d'impudents solécismes et de barbarismes aussi monstrueux que la bosse du seigneur Polichinelle. Il forma bientôt un genre à part qui eut ses poëtes, Folengo, Caporali, Tassoni. La Macaronée de Folengo, plus connu sous le nom de Merlin Coccaie, eut l'honneur, dit-on, d'inspirer en plus d'un endroit le Gargantua de Rabelais.

Quoi qu'il en soit, le style macaronique ne pouvait être qu'un jeu ou une arme de fantaisie, incapable de s'élever à la dignité d'une langue littéraire, et destiné à périr comme tout ce qui est de circonstance et de convention. 'Hutten eut le pressentiment de cet abandon, et traduisit lui-même son livre en langage vulgaire ; mais l'allemand n'était pas encore ce qu'il devint quelques années plus tard, grâce au génie du chef de la Réforme. Néanmoins une séve de jeunesse circule sous cette lourde écorce du latin gothique : image exacte de ce qui se passe alors dans ces heures de transformation, oú l'idée moderne couve et bouillonne sous le froc du moine et Sous l'armure du chevalier.

1. Epistola Benedicti Passavantii.

2. Matagonis de Matagonibus.

3. Dictamen metrificum de bello Hugonotico.

§ II. LA LIBRE PENSÉE EN FRANCE.

MARGUERITE DE VALOIS: l'Ileptaméron. CLÉMENT MAROT: Poes satiriques épigrammes, épitres, coq à l'âne, etc.

Tandis qu'un souffle d'opposition remuait tout autou d'elle, la France, toujours si vive, si mobile, si curieuse d nouveautés, ne pouvait rester étrangère à ce mouvement Déjà la querelle de Louis XII et de Jules II, la liberté laissés au théâtre, les appels faits par le souverain à l'opinion p blique pour justifier sa lutte contre le pape, avaient exci dans les esprits une certaine fermentation. Auxiliaires de i royauté, les Basochiens et les Enfants sans-soucy s'étaie mis de la partie, sans trop savoir où ils allaient, pas pl que le bon Louis XII lui-même. Contents de rire et de vi au jour le jour, ils ne songeaient guère ni à détruire n réformer, menant gaiement le deuil du Moyen Age et s quiétant peu de l'avenir. Le grand jour de la Renaissan vint les surprendre encore tout enfarinés de la veille, les tréteaux des halles, seuls debout au milieu d'un mon en ruines. La vue de la potence dressée par ordre de Fra çois Ier suffit pour les disperser. D'autres rieurs plus int pides allaient prendre leur place, au risque de la prison. l'échafaud et du bûcher.

A côté de cette joyeuse arrière-garde, qui clôt pour n l'histoire de la Satire au Moyen Age, s'était formée sans br une petite société d'épicuriens sceptiques, de raisonnet aventureux, hommes d'imagination, d'étude et de plais épris d'abord du philosophisme de la Renaissance et bi tôt des hardiesses de la Réforme. Cette confrérie de be esprits se trouvait placée sous le patronage d'une fem dont les grâces séduisantes, l'humeur spirituelle et chi rique devaient encourager et couvrir bien des témérit c'était Marguerite de Valois, sœur de François Ier. Son h ble royaume de Navarre, à l'abri des perquisitions d

police, des anathèmes de la Sorbonne et des prises de corps du Parlement, devint le berceau de la libre pensée et son refuge au jour de la persécution. Là se rencontrèrent le bon et candide Lefèvre d'Étaples, savant modeste et réformateur tempéré, qui, au milieu de la cour la plus galante de l'Europe, mourut vierge à l'âge de cent ans ; Bonaventure des Périers, valet de chambre de Marguerite, son pourvoyeur de contes et joyeux devis, moins facétieux encore que libertin; Clément Marot, le gentil page de François Ier, aussi vacillant, aussi léger en amour qu'en religion; Étienne Dolet, écrivain et imprimeur, toujours errant, toujours en lutte contre les hommes et la fortune; l'austère et sombre Calvin, avec sa parole acérée, sa logique impitoyable; enfin le docte, l'universel, l'incomparable Rabelais. Hommes de nature, d'opinion, de condition très-diverses, que rapprochait alors une passion commune, l'amour des nouveautés. Cette soif de l'inconnu, ce besoin de mouvement, de voyages, de découvertes, qui entraînait d'Espagne et de Portugal tant de hardis aventuriers sur les pas de Colomb, de Pizarre et de Gama, emportait alors aussi dans les champs illimités de la pensée, à la suite d'Érasme, de Mélanchthon et de Luther, une foule d'esprits désœuvrés, indécis ou mécontents. Les deux grandes tentations du jour, la Renaissance et la Réforme, attiraient les regards vers l'Allemagne et l'Italie. Le plaisir de la médisance, le goût du paradoxe, l'éternelle séduction du fruit défendu venaient s'ajouter à cette inquiète activité. Le fond d'humeur moqueuse et agressive particulier à nos conteurs et à nos chanteurs de tous les temps, se compliquait ici et s'aggravait d'un secret instinct de destruction. Le monde était alors tourné à l'émancipation et à la révolte, comme il l'avait été jadis à l'obéissance et à la foi.

Au milieu de cette fièvre générale, la race gauloise apporta ses qualités et ses défauts. Alors, comme toujours, elle courut aux aventures et aux périls, avide de voir, de batailler, quitte à revenir plus tard sur ses pas. Pour un logicien inflexible comme Calvin, elle eut vingt enfants per

dus, égarés dans toutes les directions et n'en adoptant aucune. L'aimable princesse, dont la cour s'ouvrait à toutes les nouveautés, la pauvre errante, l'affumée du désert, comme elle s'intitule elle-même, cherchant sous la conduite de l'honnête et confus Briçonnet, la lumière de la vérité, fut la première à s'aventurer. Elle y risqua le salut de son âme et le repos de ses jours. Nature légère et rêveuse, crédule et téméraire, en qui se rassemblent toutes les curiosités d'un esprit fort et les faiblesses d'un cœur féminin, catholique et protestante à la fois, complice des hérétiques sans avoir jamais fait profession ouverte d'hérésie, partagée entre Boccace et l'Écriture, elle s'offre à nous tenant d'une main le Miroir de l'âme pécheresse et de l'autre le recueil de l'Heptameron.

Souveraine de la Navarre, Marguerite est la digne héritière de Thibaut le chansonnier, par l'imagination, par la grâce, et surtout par cette pointe d'opposition libérale, qui arrachait au chevalier de la reine Blanche un cri de pitié en faveur des Albigeois. Elle a de lui encore ce mélange subtil de dévotion et de galanterie, où la Vierge devient une maîtresse et Dieu un amant. C'est de là qu'est sorti l'Heptaméron. L'œuvre n'offre rien, à vrai dire, de très-original : elle n'est qu'une suite des fabliaux, un vieux legs de l'esprit. gaulois. On se croirait à Genappe, à la table du bon duc Philippe, en compagnie du Dauphin Louis, si la délicatesse de la touche, un demi-scrupule, une rougeur bientôt effacée ne trahissaient parfois la main d'une femme; si surtout la voix édifiante de dame Oyzille ne ramenait çà et là quelque belle considération sur la grâce et l'amour divin. Cette petite société rassemblée à l'ombre d'un grand orme, pour échanger des contes grivois pendant le débordement du gave béarnais, est bien l'image de cette cour galante, lettrée et philosophique, où fermentent, parmi les libres propos et les chansons, les rêves inquiets des novateurs, tandis que le torrent de la Réforme vient inonder le monde. La scène se passe en Navarre, pays des mœurs faciles, de la tolérance religieuse et conjugale. La médisance va son train

contre les pauvres maris, sans en excepter Hircan, l'époux de Marguerite; contre les moines, les abbesses, et tous ces gens de robe, dont on commence pourtant à se lasser. Le diable a sa large part dans ces histoires: mais Dieu reprend la sienne dans la morale qui termine chaque récit. L'agréable conteuse joint le remède au mal, et nous enseigne l'art de se damner, en le faisant suivre d'un acte de contrition. Entre deux contes gaillards éclate une pieuse réflexion, une grave maxime, où respire déjà l'ascétisme de Calvin. La grâce et le péché, le sensualisme et le mysticisme se disputent l'âme de Marguerite, comme ils se partagent le siècle lui-même à sa naissance.

Nul homme, dans sa vie et dans ses œuvres, n'exprime mieux que Clément Marot ce vagabondage d'esprit sans but, sans suite, mêlé de curiosité, d'étourderie et d'indiscrétion. Héritier des trouvères et compagnon des Enfants sans-soucy, basochien, soldat, page, homme de lettres, il rajeunit Jean de Meung, édite Villon, traduit les Psaumes de la pénitence et les Métamorphoses d'Ovide, met en vers les Colloques d'Éasme et le sermon du Bon-Pasteur, célèbre les charmes du lieu Cupidon et les vertus de l'honnête Christine, touche à out, goûte à tout, se compromet avec tout, et ne s'arrête à ien. Du reste, il n'a point encore l'indépendance ni la déciion hautaine d'un libre penseur moderne. C'est un poëte ourtisan et valet de chambre, qui se permet des privautés vec sa Maîtresse, qui accepte, qui aime la domesticité par abitude, par goût, nous dirions presque. par vanité. Il a esoin d'être à quelqu'un. François Ier le donne à sa sœur omme un épagneul ou un perroquet favori; et le poëte est out fier de cette distinction :

Le roi des Francs, dont elle est sœur unique,
M'a fait ce bien, et quelque jour viendra,
Que la sœur même au frère me rendra 1.

L'un et l'autre en effet durent être tentés plus d'une fois

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