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dans l'espace d'une année, qu'il ait imité la cruauté d'Hérode, et renouvelé le massacre des Innocens ?

Les Eglogues de Virgile étoient propres à délasser les Romains des images sanglantes qui avoient affligé leurs regards dans le cours des guerres civiles: cette partie de ses ouvrages, qu'on lit peu aujourd'hui, et qu'on n'apprécie pas assez, fit long-temps toute sa gloire. Horace, quand il composa son Art poétique, ne connoissoit encore Virgile que comme poète pastoral: il ne lui accorde encore que cette grâce et cette mollesse qui ont tant de prix pour les connoisseurs délicats,

Molle atque facetum

Virgilio annuerunt gaudentes rure camœnæ.

Sa première Eglogue est une des plus belles, parce que le sujet présente un intérêt particulier qui anime rarement le poëme pastoral: ses terres avoient été distribuées aux soldats du vainqueur; mais il trouva grâce aux yeux d'Octave, qui le rétablit dans ses domaines la peinture d'un malheureux laboureur forcé d'abandonner les champs de ses pères est infiniment touchante ; quel charme, quelle douceur de sentiment dans ces vers!

« Fortunate senex, ergo tua rura manebunt,

Et tibi magna satis.

Fortunate senex,
hic inter flumina nota
Et fontes sacros frigus captabis opacum,

etc.».

Malheur, disoit Fénélon, à ceux qui peuvent lire ces vers sans être vivement émus; mais, pour qu'ils produisent cet effet, il faut les lire dans l'original. Quelques taches légères déparent cette belle églogue : on y trouve des allégories froides; un vieux esclave qui recouvre sa liberté est moins intéressant qu'un

laboureur qui recouvre son champ la première image nuit à la seconde enfin le berger Mélibée est trop savant dans la géographie.

L'églogue d'Alexis, tendre et passionnée, a donné lieu à quelques calomnies contre Virgile c'est une imitation du Poliphême de Théocrite, fort supérieure à l'original. Tous les poètes érotiques n'ont cessé de répéter, depuis deux mille ans, les sentimens et les idées qu'elle renferme.

Il est étonnant qu'un poète aussi sage, aussi délicat que Virgile, ait jugé à propos d'imiter jusqu'aux grossièretés de Théocrite, et qu'il introduise dans sa troisième églogue des bergers se disant des injures infames le poëme pastoral ne doit offrir que l'image de la paix, et de l'innocence; mais Virgile, qui faisoit naître les fleurs sous ses pas, a trouvé le moyen d'adoucir les traits les plus cyniques du poète

:

grec: ce vers

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« Et quo, sed faciles nymphæ risêre sacello répand de la gaîté et de la grace sur une image par elle-même assez grossière : c'est dans cette même églogue qu'on trouve:

. Malo me Galathea petit lasciva puella,
Et fugit ad salices, et se cupit ante videri ».

« La folâtre Galathée me jette une pomme, elle fuit sous les saules: elle seroit fâchée que je n'eusse pas remarqué l'asile où elle s'est cachée ». Toute la délicatesse, tout le charme de cette ingénieuse idée s'évanouissent dans cette lourde phrase: elle seroit fâchée, etc. Le latin dit : « elle fuit sous les saules, mais se laisse voir avant de se cacher : Virgile doit à Théocrite malo me Galathea petit; mais il ne doit qu'à lui le se cupit ante videri, qui, pour l'esprit,

la finesse et la précision, l'emporte sur ce qu'ont jamais imaginé les plus ingénieux et les plus galans des modernes.

La quatrième églogue s'élève presque jusqu'au ton de la poésie lyrique; c'est une prophétie où le poète a mêlé les rêveries de Platon avec celles des Sybilles; c'est un magnifique tableau du bonheur que doit procurer à l'univers la naissance de Drusus, fils de Livie et frère de Tibère. Comment Virgile, avec un goût si pur, n'a-t-il pas mieux aimé chanter des biens réels, que des avantages chimériques : les illusions de l'âge d'or discréditent ses prédictions; il n'a plus l'air que d'un conteur de fables : comment a-t-il pu annoncer sérieusement que le bélier, dans les prairies, se vêtiroit de pourpre et de safran, et que le vermillon pareroit dans les champs la toison des agneaux? il est commode, à la vérité, de pouvoir se passer de teinturier; mais l'estime pour la pourpre et les autres couleurs précieuses, n'est-elle pas le fruit de la corruption et du luxe que Drusus doit bannir de la terre? la laine blanche, symbole de l'innocence, ne doit-elle pas avoir plus de prix que la laine rouge, pour les hommes de l'âge d'or les deux derniers vers n'ont presque aucun sens pour

nous

«

Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem.

cui non risêre parentes

Nec deus hunc mensâ, dea nec dignata cubili est ».

:

<< Enfant, commence à reconnoître ta mère par un tendre sourire !.... L'enfant à qui les auteurs de ses jours n'ont pas souri, ne s'asseoira point à la table des dieux, aucune déesse ne partagera son lit avec lui». Je ne vois là d'autre sens, sinon que la tenXI. année.

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dresse d'Auguste (qui cependant n'étoit que l'époux de sa mère), devoit être pour cet enfant le gage de la plus haute fortune, et l'élever en quelque sorte aux honneurs divins, en lui faisant épouser une princesse de son sang, qui vaudra bien une déesse.

On retrouve aussi dans la sixième églogue un enthousiasme pindarique; voici le début qui pourra vous donner une idée du style du traducteur :

<< Ma Muse entreprit la première, à l'imitation du poète de Syracuse, de se jouer sur les pipeaux rustiques. Ma Thalie ne rougit pas d'habiter les forêts. Quand j'essayai de chanter les rois et les combats, le dieu qui prit naissance sur le mont Cynthien, me tirant par l'oreille, me donna cet utile conseil : O Tityre, me dit-il, il convient à un pâtre de garder ses troupeaux; les modestes colloques des bergers doivent être le sujet de ses chants harmonieux. Varus, assez d'autres sans moi, s'empresseront de célébrer tes exploits, de raconter ces guerres sanglantes que ta valeur a terminées. Quand j'embouche le léger. chalumeau, j'obéis aux ordres d'un dieu. Si toutefois le juste admirateur de tes vertus daigne jeter les yeux sur ces vers, il se plaira à entendre les humbles bruyères et les forêts retentir de ton nom; car il n'est point d'écrits qu'Apollon préfère à ceux qui te sont consacrés. Continuez, Muses, habitantes du mont Pierie ».

Ma Thalie ne fait point ici un bon effet après ma Muse, qui commence la phrase précédente : à l'imitation du poète de Syracuse, est une périphrase froide ; de même que le dieu qui prit naissance sur le mont Cynthien: cette expression, me tirant par l'oreille, est comique en français : le mot de pâtre est ignoble; pourquoi ne pas employer celui de berger

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qui est doux et agréable? Les modestes colloques des bergers: colloque est banni de la poésie et même de la prose noble : le juste admirateur de tes vertus ; c'est une espèce de contre-senș. Captus amore signifie épris de l'amour de la poésie pastorale, et non pas admirateur des vertus de Varus: ce n'est pas le seul endroit où M. Gin ait dénaturé le sens de Virgile. Par exemple, il a traduit ainsi ces deux vers:

« His tibi Grinæi nemoris dicatur origo
Ne quis sit lucus quo plus se jactet Apollo

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Qu'il te serve à raconter l'origine de la forêt de Grynium, qu'Apollon préfère à tous ses bois sacrés. L'auteur n'a point rendu ce compliment fin et délicat. que Linus fait à Gallus : chantez avec ces chalumeaux l'origine de la forêt de Grinée, afin qu'Apollon la préfère à tous ses bois sacrés.

Fontenelle s'est égayé sur le désordre qui règne dans cette Eglogue: il pense que le bonhomme Silène se sentoit encore un peu du vin qu'il avoit bu la veille : il auroit voulu sans doute que ces chants inspirés par les dieux, eussent un plan aussi méthodique que la préface de l'Encyclopédie : il ne sentoit pas que ce désordre est une beauté ; mais pour sentir, il falloit être autre chose qu'un géomètre.

le

C'est avec peine qu'on trouve dans la huitième Eglogue, la description d'une cérémonie magique : Théocrite, il est vrai, en a donné l'exemple à Virgile; mais chez le poète grec, ce n'est point une bergère, c'est une courtisanne qui a recours à la sorcellerie pour ramener son amant: il semble que les bergers et les bergères ne doivent point avoir commerce avec les dieux infernaux : ces noires opérations ne s'accordent point avec l'innocence des jeux cham

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