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asiatique, une composition lâche et diffuse; souvent il prodigue, sans ménagement, les fleurs de l'éloquence; il est sophiste et rhéteur : forcé d'inculquer à des juges ignorans ou distraits les preuves fondamentales de sa cause, il tombe dans des répétitions désagréables pour un lecteur instruit et attentif; aveuglé par son goût excessif pour la plaisanterie, il se permet des jeux de mots un peu froids; son harmonie même, d'ailleurs si admirable, est quelquefois trop symétrique, trop compassée, et les chutes uniformes de ses périodes ont donné matière aux railleries de ses envieux. Ces défauts plaisoient au peuple, qui n'avoit pas à Rome le jugement aussi sûr qu'à Athènes; et Cicéron avoit trop de vanité pour sacrifier à la perfection de l'art les applau dissemens de la multitude: mais dans ses ouvrages philosophiques, composés pour les savans, pour les hommes polis et lettrés, il est bien plus pur et plus, châtié; les pensées sont justes, naturelles et délicates; l'expression propre, élégante et choisie; tout y respire le goût le plus sain, le sentiment le plus exquis; le style a cette simplicité noble et piquante, cet agrément, cette délicatesse, cette urbanité qui n'est pas plus aisée à définir que l'atticisme des Grecs, et qui s'appelle parmi nous le ton de la bonne compagnie; enfin, on admire dans ces Traités précieux une éloquence douce, insinuante, variée, quelquefois pathé tique, toujours grave et solide.

Ce qui contribue particulièrement à répandre beaucoup d'agrément et d'intérêt sur les ouvrages philosophiques de Cicéron, spécialement sur les Traités de la Vieillesse et de l'Amitié, c'est la forme dramatique que l'auteur leur a donné, à l'exemple de Platon, dont toute la doctrine est en dialogue. Les Grecs,

naturellement grands parleurs, aimoient à diriger la conversation vers des objets curieux et utiles; on les voyoit, dans leurs heures de loisir, rassemblés dans les places et sous les portiques, discuter paisiblement les matières les plus graves de la philosophie; leur esprit subtil et pénétrant, mais en même temps solide et appliqué, suivoit sans peine le fil des raisonnemens les plus abstraits, et se plaisoit à approfondir les questions les plus épineuses: chacun interrogeoit et répondoit alternativement; chacun soutenoit sou opinion par les argumens les plus spécieux; et c'étoit un triomphe bien flatteur pour celui qui forçoit les autres au silence: on s'éclairoit ainsi mutuellement ; on s'exerçoit à penser et à réfléchir; l'enjouement, la politesse régnoient dans ces disputes savantes; et sans doute un pareil amusement étoit plus raisonnable que le jeu, qui occupe aujourd'hui nos plus brillantes sociétés.

L'Académie, le Lycée, le Portique, n'étoient que des promenades où les philosophes des différentes sectes s'entretenoient familièrement avec leurs disciples: Platon et Xénophon se sont fait une loi de conserver dans leurs écrits la forme des entretiens de leur maître; Platon, sur-tout, excelle dans l'art d'établir la scène de ses dialogues, et de caractériser ses interlocuteurs; presque tous ses débuts sont imposans et magnifiques. Cicéron n'est pas moins habile que Platon à ouvrir la scène de ses entretiens, à tracer les caractères de ses acteurs; et en même temps il a su éviter la sécheresse et les vaines subtilités qu'on reproche à son modèle. Dans le Traité de la Vieillesse, c'est Caton l'ancien qui joue le principal rôle ; et ce grand homme se peint dans ses discours tel que l'histoire le représente. Dans un

siècle où les mœurs commençoient à se corrompre, Caton retraça l'image des anciennes vertus: quoique l'usage de tirer les magistrats de la charrue fût aboli depuis long-temps, on lui fit cependant le même honneur qu'aux Fabricius et aux Curius ; un simple laboureur fut élevé aux premières dignités de la république, malgré les intrigues et les cabales des patriciens; il se distingua dans tous ses emplois par l'austérité de ses mœurs et son exactitude sévère à remplir tous ses devoirs ; il méprisoit les sciences, et cependant il les apprit dans sa vieillesse ; il donnoit à l'agriculture tous les momens que la république lui laissoit libres, et il nous reste de lui un Traité sur cet art important dans un âge avancé, il prenoit plaisir à instruire les jeunes gens sa longue expérience, sa mémoire remplie d'anecdotes et de faits intéressans, rendoient son entretien utile et agréable.

Ariston de Chio, qui avoit composé un Dialogue sur la Vieillesse, avoit choisi Titon pour principal interlocuteur; mais ce vieil époux de l'Aurore étoit un personnage fabuleux, dont les discours ne pouvoient avoir beaucoup de poids: Cicéron, plus judicieux, introduit sur la scène Caton l'ancien. Deux jeunes Romains d'un mérite distingué, Scipion et Lælius, lui témoignent l'admiration que leur inspire sa constance à supporter les désagremens attachés à la vieillesse ; Caton leur répond que les vieillards ne sont malheureux qu'autant qu'ils ne trouvent en eux aucune ressource; il leur cite plusieurs hommes célèbres, qui, dans l'âge le plus avancé, ont joui de l'estime et de la considération dues à leur mérite; enfin, il entre en matière, et se propose de justifier la vieillesse des reproches injustes qu'on lui fait.

Ces reproches se réduisent à quatre d'abord, la

vieillesse nous éloigne des affaires; ensuite, elle ôte les forces du corps ; de plus, elle nous interdit les plaisirs; enfin, et c'est le grief le plus important, elle est voisine de la mort. Caton réfute successivement ces quatre objections avec une force et une grâce toute particulière; mais il faut convenir que ses discours sont plus persuasifs qu'ils ne sont convaincans. M. de Buffon, dans l'Histoire naturelle, entreprend aussi de repousser les accusations intentées contre la vieillesse; et il le fait avec une dignité, une convenance, une sorte de majesté supérieure peut-être à toute l'éloquence que le génie de Cicéron prête à l'autorité d'un des plus grands personnages de l'ancienne Rome. Il appartenoit sans doute au philosophe qui analysoit et peignoit à-la-fois les œuvres de la création, d'apprécier les différentes époques de la vie humaine ;. mais ses raisonnemens sont des consolations utiles, plutôt que des démonstrations solides: la vieillesse est une loi de la nature, à laquelle il faut se soumettre ; et le conseil de la résignation est le seul qui convienne véritablement à notre fragilité.

Pour donner une idée de la traduction de M. Barett aux lecteurs qui ne la connoissent pas, je choisis un passage d'un des morceaux les plus brillans du Traité de la Vieillesse. Parmi les plaisirs réservés au déclin de la vie, Cicéron distingue avec raison ceux dont l'agriculture est une source inépuisable : « Je passe » maintenant, dit l'apologiste de la vieillesse, aux plai» sirs de l'agriculture, qui font mes délices, que la » vieillesse peut goûter en liberté, et que je compare » à la sagesse même : car ils ont pour objet la terre, qui, docile à l'homme, ne reçoit le dépôt qu'il lui » confie que pour en payer une usure quelquefois plus foible, et souvent plus forte; encore, ce que

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>> j'en aime est moins le produit que la vertu et la » nature de la terre; aussitôt que, labourée et ramol« lie, elle a reçu la semence éparse enfoncée par la » herse, elle la couvre dans son sein, la renfle par » ses sucs et sa chaleur, en fait sortir un jet vert, qui tenant toujours aux racines, grandit insensi» blement, s'élève en tuyau noueux, se nourrit dans » ses envoloppes, d'où il sort enfin pour se terminer » en épi régulier, qu'un rempart de pointes piquantes » défend contre les insultes des oiseaux ». Cette description des différens progrès de la végétation est dans l'original d'une beauté inexprimable : la traduction n'en est qu'une copie bien foible et bien pâle; mais cette copie, pourtant, c'est pas sans mérite: grandit insensiblement, s'élève en tuyau noueux, sont des expressions qui rendent fort bien les traits du modèle; pour se terminer en épi régulier, est exact et ne manque point d'élégance; et en général il faut en avoir un peu pour ceux qui essaient de transporter dans notre langue les beautés de Cicéron; car cet auteur, si clair, si facile à entendre, est peut-être un des plus malaisés à traduire.

On ne trouve pas dans le Traité de l'Amitié autant d'ordre et de méthode que dans celui de la Vieillesse ; mais ce léger défaut est bien racheté par la grandeur et la sublimité des idées : jamais on n'a parlé d'une manière plus noble et plus touchante de ce sentiment délicieux, le plus doux charme de la vie, qui réunit les avantages des passions sans en avoir les inconvéniens et les dangers. Fannius et Scévola vont trouver Lælius pour le consoler de la mort récente de Scipion son ami et lui font les plus vives instances pour l'engager à leur exposer son opinion sur l'Amitié. Lælius se rend avec peine à leurs

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