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Te rendre à tes côtés tout ce que je te dois,
Punir ton injustice en expirant pour toi,
Surpasser, s'il se peut, ta rigueur inhumaine,
Mourante entre tes bras t'accabler de ma haine,
De ma haine trop juste, et laisser à ma mort,
Dans ton cœur qui m'aima, le poignard du remord,
L'éternel repentir d'un crime irréparable,

Et l'amour que j'abjure, et l'horreur qui m'accable.

Ce n'est pas pour le théâtre, c'est pour les PetitesMaisons qu'un pareil galimatias est fait. Que cette frénésie du sot orgueil est petite et ridicule! qu'on s'intéresse peu pour une furie! pour une fille enragée de vanité, irritée qu'on la soupçonne, quand elle est entre les mains du bourreau, condamnée à mort sur sa propre écriture, et coupable de l'aveu même de son père! Il n'y a pas d'exemple d'un tel délire, il n'y en a guère aussi d'un verbiage plus pauvre, plus lâche et plus indigne d'un bon écrivain.

Aménaïde n'en veut point démordre; elle va au milieu des soldats courir après Tancrède; son père court après elle, et a bien de la peine à ramener cette folle, qu'il auroit fallu lier dans sa chambre, s'il y avoit eu de bonnes lois dans la république de Syracuse. Revenue à la maison, elle insulte le peuple, le sénat, sa patrie, son père, tout l'univers. Dans un transport de joie que lui cause une fausse nouvelle, elle devient insolente au point d'oser s'écrier:

Oppresseurs de Tancrède, ennemis, citoyens,
Soyez tous à ses pieds, il va tomber aux miens.

Y eut-il jamais arrogance plus indécente et plus comique, surtout de la part d'une créature à qui l'on n'a que des crimes et des folies à pardonner? Il est incroyable qu'on ne soit pas tenté de rire de ces absurdités heureusement on ne les comprend pas; le

jeu de l'actrice les couvre; elles passent sous le nom d'amour. Tout cela fait du fracas et du tintamarie sur la scène; il n'en faut pas davantage pour le vugaire, toujours prêt à s'extasier sur les sottises pompeuses et bruyantes. G.

TANCRED E.

LXIII.

Sa Dédicace à Madame DE POMPADOUR.

CETTE tragédie est dédiée à madame de Pompa

dour. Voltaire s'est cruellement moqué de Corneille pour avoir dédié Cinna au sieur de Montauron, trésorier de l'épargne, et pour l'avoir comparé à Au-' guste si le sieur de Montauron imitoit la libéralité d'Auguste envers les gens de lettres, Corneille a pu, sans le comparer à Auguste, observer qu'il avoit une des qualités de cet empereur. Je conviens que Corneille faisoit trop d'honneur au financier Montauron, en lui dédiant un chef-d'œuvre de poésie dramatique ; mais Voltaire n'en a pas fait beaucoup à madame de Pompadour, et s'en est fait encore moins à lui-même, en dédiant à la maîtresse de Louis XV une pièce assez médiocre : Montauron du moins avoit un état honnête, son emploi ne blessoit point publiquement les mœurs; et, subalterne dans son administration, il n'y pouvoit pas faire beaucoup de mal. Corneille, en honorant un homme de cette espèce, ne se déshonoroit pas lui-même. Il n'y a que de la simplicité et de la franchise dans son procédé ; celui de Voltaire est le résultat de l'intérêt, de l'ambition, de l'intrigue.

L'auteur de Tancrède voudroit en vain nous persuader que le seul motif de la reconnoissance lui a dicté cet hommage public rendu à une femme perdue d'honneur, et dans ce temps-là même l'objet des malédictions de la France, qui lui imputoit avec quelque raison tous ses malheurs. Il faut plaindre Voltaire, s'il avoit reçu des bienfaits d'une source aússi impure, et s'il étoit forcé de mettre le public dans la confidence de ses obligations. Il est triste de devoir tant à la personne que tout le monde hait et méprise, et qui n'est pas même estimée du vil courtisan qu'elle protège. Voltaire avoit-il donc oublié ces vers de Zaïre:

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Seigneur, il est bien dur pour un cœur magnanime,
D'attendre des secours de ceux qu'on mésestime;

Leurs bienfaits font rougir, leurs refus sont affreux.

On s'étoit servi autrefois avec succès de cette sultane pour opposer Crébillon à Voltaire. Les faveurs de la marquise avoient ranimé le vieux auteur de Rhadamiste, engourdi dans la paresse : il avoit retrouvé, à soixante-dix ans, assez de vigueur pour achever son Catilina, commencé depuis vingt ans. Madame de Pompadour avoit pris la pièce sous sa protection, l'avoit prônée à la cour, et avoit poussé la générosité jusqu'à vouloir habiller tous les acteurs. On peut imaginer ce qu'ont dû lui coûter le sénat et les deux consuls, c'est-à-dire, dix-huit comédiens revêtus de toges de toile d'argent, par-dessus des tuniques de toile d'or, enrichies de diamans. Voltaire s'en souvenoit ; et, bien loin d'en conserver une éternelle rancune contre la favorite, ce qui ne l'eût mené à rien, il fut assez philosophe pour tâcher d'avoir part aussi à ces précieuses faveurs.

Le maréchal de Richelieu arrangea les choses; on commença par dédier au maréchal l'Orphelin de la Chine, et madame de Pompadour eut ensuite la dédicace de Tancrède. C'est ainsi que Voltaire, en bon citoyen, partageoit ses hommages entre les deux personnages qui rend oient alors au roi de France les services les plus agréables et les plus essentiels. On voit, avec le plus grand intérêt, dans la correspondance du grand-prêtre de Ferney, quelles étoient les vives alarmes de ce fin courtisan, au sujet de son Orphelin de la Chine. Il trembloit que sa fidèle chinoise, sa vertueuse Idamé, qui préfère la mort au divorce, et un mandarin à l'empereur, ne fût regardée comme une satire de mademoiselle Poisson, très-jolie française qui ne s'étoit pas fait prier pour quitter son mari; qui trouvoit un roi de France meilleur qu'un fermiergénéral, et le nom de marquise de Pompadour plus harmonieux que celui de madame le Normant d'Estiolles.

Voltaire, dans son épître dédicatoire, commence par avertir madame de Pompadour, que toutes les épîtres dédicatoires ne sont pas de lâches flatteries ; que toutes ne sont pas dictées par l'intérêt. C'est avouer du moins que la plupart méritent ce reproche; et un tel aveu n'est ni délicat, ni adroit ; car rien ne prouve que son hommage soit exempt de flatterie et d'intérêt. Les flatteurs et les intrigans savent toujours se parer de beaux prétextes si on les en croit, n'ont jamais que des vues nobles et pures; c'est toujours le zèle, l'amitié, la reconnoissance qui les ins pire. L'art apprend à taire les objections auxquelles on ne peut répondre ; et un homme d'esprit tel que Voltaire me paroît en manquer beaucoup, lorsqu'il dit à sa marquise : « Les autres faiseurs d'épîtres sont

:

ils

flatteurs et intéressés ; mais moi je ne suis que reconnoissant et sensible, par la raison que j'ai vu, dès votre enfance, les grâces et les talens se développer, et que j'ai reçu de vous des témoignages de bonté ». Voilà une singulière manière de penser et une étrange liaison d'idées.

Voltaire, au reste, ne se contente pas de justifier ses propres intentions; il se rend caution pour celles de Crébillon, son confrère et son maître, lequel avoit aussi dédié son Catilina à madame de Pompadour ; mais Crébillon, homme simple et presque sauvage, n'avoit pas besoin d'un répondant aussi suspect que Voltaire; il se défendoit assez par son caractère, par son âge. Ce que madame de Pompadour avoit fait pour lui et pour Catilina, étoit public et notoire : l'hommage qu'il lui fit de cette tragédie, étoit vraiment une dette qu'il acquittoit ; et comme il le dit ingénieusement luimême, le public avant lui avoit déjà dédié Catilina à celle qu'on pouvoit en regarder comme la mère. L'épître de Crébillon, renfermée en très-peu de lignes, annonce la simplicité et la franchise de ses mœurs il y a de la vérité et du naturel dans le ton avec lequel il rend grâces à la favorite d'avoir retiré des ténèbres un homme oublié.

Pour Voltaire, connu pour être le flatteur officiel de tous les grands, et qui avoit passé sa vie dans le grand monde et dans les intrigues, on savoit à quoi s'en tenir sur sa dédicace; la contrainte seule et la froideur d'un style très-compassé ne laisse aucun doute sur les motifs de l'écrivain, et ce n'est pas ainsi que s'exprime la reconnoissance. Si quelque chose pouvoit dérober Voltaire au soupçon de flatterie, ce seroient les maladresses et les balourdises qui lui échappent: les flatteurs ordinairement ne sont pas si gauches.

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