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pas lui-même. Sans aller chercher les pièces fameuses de Voltaire, il y a dans son coup d'essai, dans son Edipe, une verve dramatique plus vive et plus féconde que celle qui anime son Orphelin de la Chine.

Voici un autre exemple de l'injustice et de la partialité la plus aveugle : l'auteur du Cours de Littérature, après avoir rendu compte d'une scène d'Idamé avec sa confidente: Cette confidence, dit-il, amène ces détails de mœurs où nul poète n'a été aussi loin que Voltaire, et qu'il enrichit de ces idées philosophiques dont il a fait usage le premier. Cette phrase renferme un des plus grands mensonges littéraires, un des plus audacieux blasphêmes qu'il soit possible de proférer. Si M. de La Harpe entend par détail de mœurs, des lieux communs, des déclamations hors d'œuvre, des tirades plus parasites encore que brillantes, je crois bien que nul poète n'y a été aussi loin que Voltaire ; mais si, comme tout le prouve, il veut parler de ces peintures énergiques de mœurs, qui tout à-la-fois éclaircissent et embellissent le sujet de la tragédie, Corneille et Racine ont été bien plus loin que Voltaire, et l'emportent autant sur lui par la profondeur et la force des idées, que par l'éclat et la vigueur du style. Voyez la seule tragédie de Bajazet, qui n'est, pour M. de La Harpe, qu'une pièce du second ordre, quoiqu'aucun des chefs-d'œuvre de Voltaire ne puisse lui être comparé : rien n'approche de la beauté et de l'éloquence des détails de mœurs turques que Racine a semés partout où ils étoient nécessaires pour l'instruction des spectateurs, plus encore que pour l'ornement de sa tragédie. Quant aux idées philosophiques dont Voltaire a fait usage le premier, si vous en exceptez les maximes fausses, les principes dangereux qu'on appelle hardis, et qui sup

posoient dans l'auteur plus de lâcheté que de hardiesse, il n'y a dans les tragédies de Voltaire que des idées fort communes, dont il est bien éloigné d'avoir fait usage le premier, puisqu'elles traînent dans tous les livres faits avant lui. Assurément, aucun poète n'a jamais été moins inventeur, moins créateur, moins original, moins riche en conceptions neuves: il habilloit quelquefois assez heureusement les pensées d'autrui; il s'approprioit assez adroitement les caractères, les situations qu'il trouvoit dans d'autres ouvrages. Il doit aux Anglais jusqu'à sa philosophie; la collection de ses Euvres n'est qu'une immense friperie anglaise : il a mis aussi à contribution, autant qu'il l'a pu, Corneille et Racine; il n'a rien introduit de nouveau dans la tragédie que des défauts ; et quant à l'esprit philosophique, il y en a plus dans le Britannicus de Racine dans tout le théâtre de Voltaire.

que

G.

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EU d'ouvertures de tragédies sont plus insipides et plus ennuyeuses que celle de Tancrède: cette assemblée de chevaliers syracusains, qui proscrit les absens et prêche la liberté du ton de la tyrannie, ressemble à tout ce que l'on voudra; mais ce n'est pas le tout d'être tyran, il faut encore être éloquent, et l'on conviendra que ce club de républicains de Syracuse ne vaut pas, pour les figures de rhétorique et pour l'effet du débit, ceux que nous avons vus à

Paris. Il y a, parmi ces orateurs syracusains, des gens, timides qui savent à peine parler : ils auroient joué un triste rôle dans les conciliabules politiques qui ont voulu nous régénérer; mais on les souffre sur la scène française, où ils sont employés, non pas à la génération, mais au remplissage du théâtre.

Tout ce qu'on entrevoit à travers d'éternels discours, c'est que Tancrède, chassé de Syracuse, dès son enfance, par une faction, est proscrit de nouveau par un décret; que ses biens sont confisqués au profit de son ennemi Orbassan, lequel se dispose encore à hériter de sa maîtresse Aménaïde, et tout cela pour l'intérêt de la patrie et le bien de la paix. Argire est un vieillard imbécille; mais son gendre Orbassan n'est pas si sot: il prend toujours à bon compte les biens de Tancrède, et se contente de dire, pour le soulagement de sa conscience :

Ces biens sont à l'état, l'état seul peut les prendre;
Je n'ai point recherché cette foible faveur.

Si la confiscation ne tombe que sur des biens médiocres, sans doute la faveur est foible; mais enfin Orbassan l'accepte telle qu'elle est, sous prétexte qu'il ne l'a point recherchée, et que l'état, ayant droit de dépouiller Tancrède, peut faire part de sa dépouille à qui il lui plaît. Le bonhomme Argire a quelques scrupules sur la légitimité de la confiscation; mais un des chevaliers le terrasse par cette question foudroyante :

Blâmez-vous le sénat?

Il est clair qu'il ne peut émaner du sénat de Syracuse que des décrets justes et sages; que les passions et les erreurs de cette assemblée sont la loi éternelle,

et que la liberté consiste dans une aveugle obéissance à toutes les fantaisies du sénat. Argire en est si bien persuadé, qu'il répond modestement et en bon citoyen

:

Toujours à la loi je fus prêt de me rendre,

Et l'intérêt cominun l'emporta dans mon cœur ;

supposant que l'intérêt commun consiste dans l'exécution d'un décret que lui-même trouve injuste; ce qui est absolument contraire à l'opinion de ces vieux radoteurs de l'antiquité, qui prétendoient qu'aucune injustice ne pouvoit jamais être utile ni aux particuliers, ni au public.

que

la ·

Il n'y a peut-être pas au théâtre une fille aussi folle qu'Aménaïde il est vrai qu'elle a voyagé; elle a vu la cour de Bizance, et l'on sait cour et les voyages forment bien l'esprit d'une fille. Non-seulement elle est pédante et raisonneuse comme toutes les héroïnes de Voltaire; mais c'est une tricoteuse de Robespierre, qui veut soulever le peuple contre le sénat, et faire une révolution afin d'épouser son amant : c'est aussi une amazone, une guerrière ; elle a les principes d'un démagogue et l'ame d'un grenadier. Telles étoient les princesses que Voltaire imaginoit à soixante aus.

Tancrède n'est pas loin.

Il est temps qu'il paroisse et qu'on tremble à sa vue.....

Et peut-être

Mes oppresseurs et moi nous n'aurons plus qu'un maitre.
Il faut tout oser;

Le joug est trop honteux, ma main doit le briser:

La persécution enhardit ma foiblesse;

Le trahir est un crime, obéir est bassesse.

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L'amour à mon sexe inspire le courage.....

Et s'il est des dangers que ma crainte envisage....
Ces dangers me sont chers; ils naissent de l'amour.

Quel langage! et qu'elle dévergondée! et cependant ce n'est rien encore: elle adore un héros intrépide, et veut l'être comme lui. Ainsi, au mépris des lois, des ordres de son père, au risque de perdre la vie sur un échafaud, elle écrit à Tancrède de venir l'épouser et régner dans la république de Syracuse ; comme si cela étoit aussi aisé à faire qu'à écrire. La lettre est interceptée; on croit qu'elle est pour Solamir, parce qu'elle est sans adresse: Aménaïde est condamnée à mort. Tancrède la délivre en combattant pour elle; mais en même temps il la méprise comme une infidèle qui l'a trahi pour Solamir. L'orgueilleuse créature ne daigne pas se justifier; les très-justes soupçons de Tancrède sont pour elle une offense.

C'en est fait, je ne veux jamais lui pardonner.

S'il a pu me croire indigne de sa foi,
C'est lui qui pour jamais est indigne de moi.

Mais comme Tancrède lui a sauvé la vie, et qu'elle ne veut rien lui devoir, elle calcule très-judicieusement, qu'en lui rendant le même service sur le champ de bataille, en combattant auprès de lui pour détourner les coups de l'ennemi, elle aura payé sa dette, et qu'ils seront alors quitte à quitte.

Tancrède, qui me hais et qui m'as outragée,
Qui m'oses mépriser après m'avoir vengée;
Oui, je veux à tes yeux combattre et t'imiter,
Des traits sur toi lancés affronter la tempête,
En recetoir les coups..... en garantir ta tête,

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