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opposant au tyran une résistance calme et invincible: il y a plus de force d'ame et de philosophie à attendre la mort qu'à se la donner dans un accès de désespoir; les argumens dont les deux époux appuient leur résolution, sont étrangement déplacés dans un pareil moment: Idamé, qui soutient une thèse en faveur du suicide, n'est qu'une raisonneuse dont l'orgueil effréné ne convient ni à son sexe ni à son état.

Eh bien! écoutez-moi :

Ne saurons-nous mourir que par l'ordre d'un roi ?
Les taureaux aux autels tombent en sacrifice;
Les criminels tremblans sont traînés au supplice;
Les mortels généreux disposent de leur sort;
Pourquoi des mains d'un maître attendre ici la mort?
L'homme étoit-il donc né pour tant de dépendance?
De nos voisins altiers imitons la constance :

De la nature humaine ils soutiennent les droits,
Vivent libres chez eux, et meurent à leur choix;
Un affront leur suffit pour sortir de la vie,
Et plus que le néant, ils craignent l'infamie.
Le hardi Japonais n'attend pas qu'au cercueil,
Un despote insolent le plonge d'un coup-d'œil.
Nous avons enseigné ces braves insulaires;
Apprenons d'eux enfin, des vertus nécessaires :
Sachons mourir comme eux.

Cette tirade est brillante; mais dangereuse dans toute espèce de gouvernement et de société, et surtout dans un temps où ces actes de fureur et de folie se multiplient d'une manière effrayante. Le monde se dépeupleroit si un affront suffisoit aux hommes pour sortir de la vie. Cette doctrine du suicide est fondée sur celle du néant après la mort; ce vers l'indique assez :

Et plus que le néant, ils craignent l'infamie.

Et qu'y a-t-il de plus propre à encourager tous les

crimes, que cette idée du néant? Indépendamment des funestes résultats d'une pareille doctrine, y a-t-il rien de plus opposé au caractère connu des Chinois, que ce ton républicain que le poète leur prête? Des Chinois nés sous un gouvernement despotique, élevés dans le plus profond respect pour les volontés d'un maître, accoutumés au dévouement le plus aveugle, à la résignation la plus absolue aux ordres de leur empereur, doivent-ils tenir ce langage insolent? convient-il surtout à une chinoise, formée dès l'enfance à la soumission? N'est-ce pas une faute essentielle contre les règles de l'art, que de travestir ainsi des Chinois en Romains?

Des siècles, des pays étudiez les mœurs :

Les climats font souvent les diverses humeurs.

Cet étalage d'orgueil, d'indépendance et d'athéïsme paroissoit très-imposant dans les jours qui ont précédé l'éruption de notre petite vérole philosophique et démocratique : on n'en voit aujourd'hui que l'extra→ vagance et le danger.

Virgile pensoit bien plus sagement, lorsqu'il a placé dans les Enfers ceux qui avoient attenté à leur vie. Voltaire qui a traduit ce passage de l'Eneide, auroit dû s'en souvenir :

Là sont ces insensés qui d'un bras téméraire,
Ont cherché dans la mort un secours volontaire;
Qui n'ont pu supporter, foibles et furieux,
Le fardeau de la vie imposé par les dieux.

G.

LIX.

L'ORPHELIN DE LA CHINE. Examen du style.

LA pièce commence par ces vers, qu'il semble que

Voltaire ait dérobés à Chapelain :

Se peut-il qu'en ce temps de désolation,
En ce jour de carnage et de destruction.

C'est une de ses tragédies dont le style est le plus lâche, le plus diffus, le plus gonflé de fatras et d'épithètes oiseuses. Voici quelques exemples:

Cette ville autrefois souveraine du monde,

Nage de tous côtés dans le sang qui l'inonde.

Qui l'inonde est un singulier pléonasme, lorsqu'on vient de dire que la ville nage dans le sang; mais il falloit rimer à monde. Les deux vers suivans sont du galimatias le plus bizarre.

Voilà ce que cent voix en sanglots superflus,
Ont appris en ces lieux à mes sens éperdus.

On ne trouve pas souvent dans les auteurs les plus décriés, des vers aussi grotesques. Qu'on examine un peu ces mauvaises lignes rimées, on sera étonné de la barbarie de ces cent voix qui apprennent en ces lieux, en sanglots superflus, à des sens éperdus. La plupart des vers de Corneille que Voltaire a si cruellement parodiés dans son commentaire critique, sont admirables en comparaison de ceux-ci. En voici deux

autres qui, sans être de la même force, méritent cependant d'être remarqués :

Tandis que leurs sujets tremblans de murmurer,
Baissent des yeux mourans qui craignent de pleurer.

Des yeux mourans qui craignent de pleurer, sont extrêmement plaisans ; et tremblans de murmurer est aussi assez réjouissant, et donne surtout une haute idée du courage des Chinois.

Esclaves écoutez que votre obéissance

Soit l'unique réponse aux ordres de ma voix.

Les ordres de la voix; c'est la première fois qu'on s'étoit servi d'une pareille expression. Le même caractère de nouveauté et d'originalité se retrouve dans un front qui lève les yeux :

Et je règne en des lieux

Où mon front avili n'osa lever les yeux.

On sera peut-être bien aise de connoître le style de Gengis-Kan, de ce farouche conquérant qui fit trembler l'Asie. Écoutons-le raconter comment il devint amoureux de la chinoise Idamé.

Un poison tout nouveau me surprit en ces lieux:
La tranquille Idamé le portoit dans ses yeux.

Voilà Gengis-Kan surpris par un poison qu'Idame portoit dans ses yeux : c'est vraiment là le jargon des romans de Scudery et de la Calprenede, et non pas le langage d'un guerrier Tartare.

Ses paroles, ses traits respiroient l'art de plaire.

Respiroient l'art, ces deux mots ne sont pas faits pour aller ensemble.

Son mépris dissipa ce charme suborneur,

Ce charme inconcevable et souverain du cœur.

Quelle malheureuse fécondité de mots oiseux et parasites! charme suborneur, charme inconcevable et souverain du cœur, c'est bien là le style d'un écolier; et Voltaire, lorsqu'il étoit vraiment écolier, écrivoit beaucoup mieux.

Mon ame toute entière

Se doit aux grands objets de ma vaste carrière.

Qu'est-ce que les objets de la carrière? Et les grands objets de la vaste carrière, ajoutent à l'impropriété du tour la foiblesse des épithètes :

:

J'ai subjugué le monde, et j'aurois soupiré ?

Cette interrogation, et la manière brusque dont elle est amenée, ont quelque chose de comique.

Ce trait injurieux dont je fus déchiré,

Ne rentrera jamais dans mon ame offensée ;
Je bannis sans regret cette lâche pensée.

Il est toujours ridicule d'entendre un Scyte farouche parler en berger de l'Astrée, du trait injurieux dont il fut déchiré, et qui ne rentrera jamais dans son ame offensée. Mais il est contre toutes les convenances du style de faire succéder à de si brillantes métaphores des façons de parler communes et ordinaires, et de faire dire tout simplement à Gengis :

Je bannis sans regret cette lâche pensée.

Voltaire s'est bien trompé, s'il a cru pouvoir prêter à un Scyte grossier et féroce, nourri sous les tentes au milieu des déserts, ces petites irrésolutions de l'amour, ce dépit, ces caprices d'un cœur qui se combat luimême, toutes ces agréables contradictions, toutes ces extravagances du délire amoureux. C'est le comble du ridicule de travestir ce géant tartare en berger

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