Billeder på siden
PDF
ePub

la bagarre, Egisthe et Clytemnestre sont tués, sans que personne puisse se douter comment on a pu faire une opération si brusque. Ce n'est pas là perfectionner Sophocle, comme le prétend Laharpe, c'est le hâter ; c'est inettre, à la place d'une tragédie grecque, un roman moderne. Ce n'est point par des cris, par un tu multe factice qu'on échauffe le spectateur, mais par de beaux sentimens, de beaux vers: en vain les acteurs se démènent sur la scène ; en vain ils frappent des pieds et font un grand vacarme en arrivant sur le théâtre, la pièce n'en devient que plus froide; on est plus fatigué qu'ému de ce charlatanisme; il a même paru si grossier au einquième acte, qu'on en á ri aux éclats.

Le caractère de Clytemnestre n'est pas soutenu ; tantôt elle s'attendrit, tantôt elle menace; tantôt elle se déclare pour Oreste contre Egisthe, et lui fait entendre assez clairement qu'elle sait comment on se débarrasse d'un mari fâcheux; tantôt elle prend le parti d'Egisthe: c'est ce qui lui arrive assez malà - propos dans l'insurrection qui fait le dénouement; et pour n'avoir pas eu plus de caractère, il lui en coûte la vie. C'est un rôle sans effet et absoluanent nul.

Sophocle a prudemment supposé qu'Egisthe est absent cette absence produit plusieurs bons effets : elle motive la liberté des plaintes d'Electre; elle facilite la vengeance d'Oreste, elle épargne au spectateur la vue d'un misérable à qui l'on ne peut rien faire dire de bou. Egisthe arrive, sur la nouvelle qui s'est répandue de la mort d'Oreste ; on lui fait accroire qu'on va lui montrer son cadavre; il lève lui-même le voile qui le couvre, et voit le corps de Clytemnestre qu'on vient d'égorger; c'est le dernier degré de la terreur ; on le force ensuite d'entrer dans l'intérieur du palais, pour XIe. année.

23

[ocr errors]

y

recevoir la punition de son crime: on l'égorge comme un vil scélérat et non comme un tyran.

Cette seule scène vaut mieux que toute la pièce de Voltaire son Egisthe est un personnage aussi odieux qu'imbécille, qui ne paroît que pour ordonner à ses gardes d'arrêter ceux qui lui sont suspects, et qui se laisse braver, suivant l'usage, par Electre et Clytemnestre. Le vice radical de la pièce est l'exagération et l'enflure continuelle d'un tas de discours inutiles; le froid vous saisit au milieu de cet attirail tragique, qui n'est qu'un vain échafaudage; c'est une espèce de centon de tous les vieux lambeaux qui traînent dans la garde-robe de Melpomène. Les momeries théâtrales y sont prodiguées jusqu'à la satiété, et l'auteur n'avoit plus le vernis dont il savoit les couvrir on le voit qui se bat les flancs pour produire de l'effet ; son charlatanisme est à nu, et dans ce fatras de grands mots et de figures outrées, on cherche en vain la raison, la nature et la vérité.

Je ne renverrai point mes lecteurs sans leur présenter un bouquet de quelques vers de Voltaire :

Et nous sur le tyran nous suspendons des coups,
Que ma mère à mes yeux porta sur son époux.
O douleur! ô vengeance, ô vertu qui m'animes !
Pouvez-vous en ces lieux moins que n'ont pu les crimes?

Secondez de vos moins, ma main désespérée.

Mes mains portent des fers, et mes yeux pleins de pleurs,

Permettez que ma voix puisse encore en vous deux
Réveiller cet espoir

Semble oublier son père et négliger mes fers.

Ecrasoit à loisir l'innocente foiblesse.

L'innocente foiblesse pour la foiblesse de l'innocent, est un contre-sens grammatical.

Nos yeux, nos tristes yeux sont fermés sur son sort.

Cela n'est pas français, pour dire nous ignorons

son sort.

Quel affreux supplice,

De former de son sang ce qu'il faut qu'on haïsse!
Nous craignons les mortels autant que l'on nous craint,
Et c'est un des poisons dont mon cœur est atteint.
Ah! si j'ai quelques droits, s'il est vrai qu'il les craigne,
Dans ce sang malheureux que sa main les éteigne !
Rendez-moi tout l'affront

Dont la main des tyrans a fait rougir mon front.
Que pouvais-je plus faire,

Pour fléchir, pour briser ton cruel caractère?
Tendresse, châtiment, retour de mes bontés.
Toi seule as rompu

Ces nœuds infortunés de ce cœur combattu.

Venez avec la mort qui marche avec l'effroi.

Il faut s'arrêter : si je voulois recueillir tous les vers foibles, durs et guindés, je transcrirois plus de la moitié de la pièce.

G.

LVIII.

L'ORPHELIN DE LA CHINE. - Examen du plan.

CETTE pièce n'est pas du bon temps de Voltaire ;

et l'auteur, en la comparant aux enfans de sa jeunesse, n'étoit pas tout-à-fait injuste envers sa progéniture, lorsqu'il l'appeloit lui-même en plaisantant un magot de la Chine.

Voltaire a pris dans une tragédie chinoise traduite par un missionnaire jésuite, une partie de sa pièce ; il a puisé l'autre dans Polyeucte; mais ce qu'il doit au jésuite est meilleur que ce qu'il a dérobé à Corneille. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est la douleur d'une mère qui voit son mari livrer son enfant à la mort. Quant à l'amour de Gengis-Kan, il n'intéresse personne ; il est assez indifférent pour les spectateurs qu'Idamé épouse le conquérant tartare, ou reste fidèle à son mandarin. Je crois cependant qu'on aimeroit mieux voir Idamé unie à l'amoureux tartare, qu'à ce froid et stoïque chinois, dont la vertu farouche ne connoît point la nature du reste, la parfaite ressemblance de la situation d'Idamé avec celle de Pauline ne peut échapper à personne.

:

Gengis, sous le nom de Témugin, s'est présenté pour épouser Idamé, comme Sévère pour épouser Pauline tous les deux ont été refusés à cause de leur peu de fortune; tous les deux, après s'être élevés depuis au plus haut degré de gloire et de puissance, retrouvent leur maîtresse mariée; tous les deux peuvent

d'un mot perdre le mari qui s'oppose à leur bonheur. Polyeucte, comme chrétien; Zamti, comme attaché au sort du roi détrôné, sont exposés à périr. Mais ici commence une prodigieuse différence, qui n'est pas à l'avantage de Voltaire : quand il abandonne Corneille, il s'égare. Sévère est noble et généreux; il respecte la vertu de Pauline, et pousse l'héroïsme jusqu'à vouloir sauver son mari. Le grand GengisKan, au contraire, prétend ravir une femme à son mari, comme il vient de ravir le trône au monarque chinois, il n'est occupé qu'à ordonner un divorce, et toute sa puissance échoue contre la fidélité de deux époux, ce qui rend le grand Gengis-Kan fort petit.

Il y a duplicité d'action et d'intérêt dans l'Orphelin de la Chine dans les premiers actes il n'est question que du sort de l'orphelin; dans les derniers il s'agit de savoir si l'usurpateur enlevera la femme du mandarin la plupart des situations et des coups de théâtre sont plus propres à éblouir la multitude, qu'à satisfaire les connoisseurs. Zanti, qui vient proposer à sa femme de se tuer pour la rendre veuve et lui procurer un meilleur parti que lui, est plus ridicule qu'héroïque on ne doit jamais faire une proposition qui ne peut être acceptée; et si Zanti a sincèrement envie de rendre à sa femme ce singulier service, il faut qu'il se tue sans lui demander son avis. Il n'y a que la pompe des mots et la magie du théâtre qui puissent empêcher qu'on n'éclate de rire à une pareille

scène.

:

Les deux époux qui font la partie de se tuer ensemble pour échapper au tyran, sont encore un exemple de ces situations forcées qui n'ont qu'un vain éclat la véritable vertu n'a point tant d'apprêt ni de faste. Idamé et Zanti montreroient plus de courage en

:

« ForrigeFortsæt »