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par conséquent le vôtre mes camarades, les gentilshommes ordinaires, m'obligeront à me défaire de ma charge, si j'essuie devant eux et toute la famille royale un avilissement aussi cruel. Je ne puis croire que ce soit là le style du chef des philosophes, de cette idole de tous les coeurs qui palpitent au nom de liberté. La grandeur de Voltaire tenoit-elle donc à sa charge de domestique et de gentilhomme ordinaire ? Ses terreurs paniques le rendoient plus ridicule que toutes les parodies n'auroient pu le faire. On a parodié Corneille et Racine, en sont-ils moins grands? N'avoit-on pas parodié dipe, Marianne, Brutus, Zaïre, Alzire? Pourquoi falloit-il que Semiramis fût privilégiée ? Parce que l'auteur étoit revêtu de la dignité de domestique du roi et de la reine, il n'étoit plus permis de se moquer d'un valet de cette importance. Quelle petitesse! Quelle pitié! J'en rougis pour la philosophie et pour la liberté.

La reine ne fit pas grand cas de la lettre sublime et pathétique du gentilhomme Voltaire ; elle lui fit répondre que les parodies étoient d'usage; et qu'on ne pouvoit pas, en sa faveur, faire des coups d'autorité dans la république des lettres. Il répliqua par des sophismes et des bévues: il soutint, entr'autres erreurs, que la parodie étoit une sottise réservée à notre nation, long-temps grossière et toujours frivole. La peur lui avoit fait, oublier sans doute qu'Aristophane est plein de parodies des poètes grecs, et surtout d'Euripide ; et qu'Euripide, parodié par Aristophane, n'en fut pas moins honoré de son temps, et n'en est pas moins aujourd'hui l'émule et le rival de Sophocle.

Voltaire représenta aussi que le théâtre entroit dans l'éducation de tous les princes de l'Europe. Tant pis, assurément, pour les princes qui font leurs études

dans les tragédies et les comédies. Henri IV et Sully, les deux plus grands hommes dont la France s'honore, ne furent point les élèves du théâtre. Les inconvéniens attachés au goût des spectacles étouffent le peu de bonne morale qui peut s'y trouver; les passions qu'ils exaltent parlent plus haut que les sentences qu'on y entend; et les hommes se conduisent par leurs passions plutôt que par leurs lumières (*). G.

LVII.

ORESTE.

DANS la première fleur de la jeunesse, Voltaire sut

imiter heureusement Sophocle; dans la pleine maturité de l'âge, il ne sut que le défigurer. A vingt ans, il fit un dipe fort supérieur à celui de Corneille, à cinquante-cinq il composa un Oreste qui n'a point fait

(*) « Il n'est question au théâtre, dit ailleurs ce même critique, que d'exciter les passions; et par cet objet même, le théâtre est essentiellement vicieux, puisqu'au contraire toute bonne institution a pour but de réprimer les passions. Ce sont les passions qui bouleversent et détruisent tout dans l'ordre social; les passions sont, par leur nature, ennemies de l'esprit créateur et conservateur, et il est très-singulier que dans les associations civiles il y ait des établissemens publics formés tout exprès pour exciter les passions. Hélas! elles ne sont que trop faciles à exciter, trop difficiles à contenir; et les gouvernemens qui ont assez d'art et d'habileté pour leur opposer un frein puissant, sont ceux dont l'existence est la plus ferme et la plus durable, par la raison que les corps physiques qui éprouvent le moins de secousses et de troubles dans leur organisation, sont ceux qui vivent le plus long-temps ».

oublier l'Electre de Crébillon. On peut sans doute reprocher à Crébillon de s'être écarté de Sophocle, d'avoir affoibli un sujet terrible par d'insipides amours. Electre a de grands défauts, mais ils sont rachetés par des beautés vraiment tragiques, et ces beautés appartiennent au génie de l'auteur : les deux derniers actes sont dignes de Crébillon. Dans l'Oreste, au contraire, on ne trouve presque rien qui soit digne de Voltaire, rien qui lui appartienne en propre : les situations pathé– tiques de cette pièce ne sont que des répétitions ou des réminiscences. Voltaire a mis à contribution Sophocle et son imitateur Longepierre, il a pillé le Gustave de Piron ; il s'est pillé lui-même. Longepierre lui a fourni le plan, la coupe des scènes, et le coup de théâtre d'Electre qui va poignarder son frère, croyant tuer son assassin. Il est vrai que ce vol n'est qu'une récidive; il y avoit déjà long-temps qu'il s'étoit approprié un pareil effet dans sa fameuse tragédie de Mérope. Oreste qui se présente à Egisthe comme le meurtrier d'Oreste, c'est Gustave qui se présente å Christiern comme le meurtrier de Gustave. La scène où Electre reconnoît son frère dans celui qu'elle regardoit comme son assassin, est aussi empruntée en partie de celle où la fille de Stenon reconnoît Gustave son amant dans celui-là même qui vient lui annoncer sa mort. Que reste-t-il donc à Voltaire, que des déclamations dans un style qui n'est plus celui d'Alzire et de Mahomet?

Dans le parallèle établi par La Harpe entre Crébillon et Voltaire, le critique insiste avec beaucoup de fiel et d'amertume sur la foiblesse et la dureté des vers de Crébillon, mais il n'a garde de nous dire que l'Oreste n'est pas mieux écrit que l'Electre; qu'il y a même des morceaux de verve où le style de Crébillon

s'élève avec le sujet ; tandis qu'on citeroit à peine. dans la tragédie de Voltaire une tirade de vingt vers où l'on ne trouve pas des impropriétés, des tournures prosaïques, des épithètes inutiles ou mal choisies; on croit lire des vers de Lagrange-Chancel, de Lamotte ou de Piron. Les premières tragédies de Voltaire sont en général les mieux versifiées : il est vrai qu'il a répandu plus d'éclat et de pompe dans ses chefsd'œuvre; mais c'est au dépens de la justesse et de la correction: il a perdu de très-bonne heure ce charme de style que ses enthousiastes appellent son coloris. On sait que des couleurs plus brillantes que solides ne supportent pas long-temps l'action de l'air et du soleil ; cette chaleur, cette heureuse audace, cette vivacité d'imagination qui séduit dans les ouvrages de son bon temps, ne se retrouvent plus dans ce qu'il a composé vers l'âge de cinquante ans, c'est-à-dire à cette époque où Racine enfanta ce chef-d'œuvre d'Athalie, ce prodige de poésie et d'éloquence, où brille toute la vigueur de la jeunesse ; mais le style de Racine pétri de raison et de goût, fondé sur la nature et sur la vérité, donnoit bien moins de prise à la vieillesse que le clinquant de Voltaire.

Le système tragique des Grecs est si différent du nôtre, que Racine dui-même, ce grand amateur de la simplicité antique, n'a pu traiter sans épisode les sujets empruntés du théâtre d'Athènes. Par ce qu'a fait Racine, on peut, en quelque sorte, juger que ce qu'il n'a pas fait étoit impossible. Voltaire nous apprend que l'Edipe de Sophocle lui fournissoit à peine la matière de deux actes; et, plus de trente ans après, lorsqu'une longue expérience devoit avoir mûri son jugement, il entreprend de délayer en cinq actes, sans aucun mélange étranger, l'Electre de Sophocle,

sujet moins abondant et moins heureux que celui d'Edipe. On lui a fait un grand mérite de ressusciter ainsi l'ancienne tragédie, et d'exposer, sur notre scène, dans toute sa simplicité, une des plus terribles catastrophes du théâtre grec; mais la simplicité n'est qu'un défaut d'action, quand elle est noyée dans un amas de déclamations, lorsqu'elle n'est qu'un galimatias ennuyeux: il n'y a point d'amour, point d'épisode dans l'Oreste de Voltaire; mais il est farci de redites, de scènes inutiles, de situations forcées; mais les caractères sont outrés, les personnages ne savent ce qu'ils font ni ce qu'ils disent ; il n'y a point de plan, point de marche, point d'ensemble, et læ dénouement est ridicule.

en

Sophocle, dès la première scène, nous montre Oreste qui vient de Delphes avec son gouverneur, pour venger la mort de son père sur Egisthe et Clytemnestre; les dieux eux-mêmes lui font un devoir de ce crime religieux. Son dessein est de s'introduire dans le palais, comme un étranger qui apporte les cendres d'Oreste, et il charge son gouverneur d'aller l'annoncer. Dans Voltaire, tout le premier acte se passe en vaines lamentations, en exclamations, apostrophes. Au commencement du second, Oreste et Pilade sont jetés par la tempête sur les rivages d'Argos; mais ils n'indiquent leur projet que d'une manière très-vague; ils n'ont aucun moyen de réussir. Dans le cours de la pièce, l'action ne fait pas même un pas, quoique les coups de théâtre soient si fréquens, et qu'il règne sur la scène beaucoup de fracas et de confusion. Tout-à-coup, quand on s'y attend le moins, lorsqu'Oreste et Pylade sont découverts et prêts à périr par l'ordre du tyran, les mutins n'entendent point raison, une insurrection éclate, et, dans

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