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Voltaire à calomnier les dieux; sa superstition n'est pas moins irréligieuse que sa philosophie.

C'est des débris d'une certaine Eriphile, justement sifflée, que le poète a construit sa Semiramis. Ce sont de mauvais matériaux grossièrement rassemblés, mais revêtus d'un enduit brillant. Cependant, ni le coloris, ni l'emphase du style, ni la pompe du spectacle, ni la réunion de toutes les machines du charlatanisme théâtral ne purent en imposer au public. L'ouvrage fut très-mal accueilli dans la nouveauté. Un revenant qui prend la parole au milieu des états-généraux de Babylone; Ninus qui donne du cor-de-chasse dans son tombeau; le grand - prêtre faisant l'inventaire d'un coffre mystérieux; le tonnerre, les éclairs, les feux souterrains; un guerrier fameux qui, sortant d'un sépulcre, paroît tout pâle et glacé de frayeur, quoiqu'il n'y ait fait d'autre exploit que de tuer une femme; toute cette pantomime, maintenant reléguée aux boulevards, égaya beaucoup les rieurs de ce temps-là: on savoit alors saisir le ridicule, on ne sait plus aujourd'hui que s'ennuyer.

Lorsqu'on donna Semiramis, l'empire littéraire étoit déchiré par les factions de Voltaire et de Crébillon. L'auteur d'Atrée étoit vieux, on commençoit à l'oublier; il s'oublioit lui-même étranger à l'intrigue, il s'étoit toujours reposé sur son talent du' soin de sa renommée. On le tira malgré lui de sa douce obscurité, on le produisit à la cour, où il fit la figure d'un homme accoutumé à vivre avec ses chiens. Les encouragemens de madame de Pompadour arrachèrent quelques scènes à sa paresse; il acheva son Catilina, commencé depuis vingt ans. On vouloit opposer la lumière foible et pâle d'un soleil couchant, au vif éclat que répandoit Voltaire sur son midi. Tous les

gens de lettres qui regardoient l'influence d'un poète sans principes comme très-dangereuse à la tranquillité publique essayoient de balancer l'enthousiasme des voltairiens par la juste estime due au génie de Crébillon; mais il ne s'aidoit pas lui-même : on poussoit dans l'arène ce vieux gladiateur presque sans armes ; 'bien loin d'attaquer, à peine se mettoit-il en défense; tandis que Voltaire, armé de pied en cap, frappoit d'estoc et de taille. Cet intrépide champion essaya de refaire la plupart des tragédies de son rival; dessein extravagant, dicté par un orgueil téméraire, et dont il n'eut pas lieu de s'applaudir : sur cinq tentatives, une seule a obtenu quelque succès ; il est resté audessous de Crébillon dans Oreste, dans Rome sauvée, dans les Pelopides, dans le Triumvirat il ne peut compter de victoire que celle de Sémiramis ; et mêine, si on vouloit tout mettre dans la balance, son avantage se réduiroit à quelques vers plus harmonieux et mieux frappés que ceux de son adversaire; il lui est très-inférieur pour l'intrigue, pour la conduite, et même pour les caractères, à l'exception de celui de Sémiramis, dont il a fait une meilleure femme.

Crébillon, naturellement noir et terrible, a peint sa Sémiramis endurcie dans le crime, comme Sophocle a peint Clytemnestre; elle refuse de reconnoître son fils dans Agenor qu'elle aime : d'une épouse criminelle, le poète n'hésite pas à faire une mère incestueuse. Peut-être un si affreux portrait est-il plus conforme au caractère que l'histoire donne à cette reine; mais une Sémiramis pénitente, humiliée, à moitié convertie, plaît davantage à notre délicatesse: il y a des vérités trop fortes pour la scène. La Sémiramis de Crébillon est horrible; elle étouffe la nature; mais elle a l'énergie de la scélératesse: elle agit; elle se

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débat contre sa destinée; elle lutte jusqu'au dernier moment avec une opiniâtreté invincible contre les hommes et le sort : ce n'est que lorsqu'il n'y a plus d'espoir, qu'elle tourne sa rage contre elle-même. Ce n'est pas une victime qu'on immole; elle ne va pas sottement se faire tuer par son fils dans un souterrain: la mort est moins une punition pour elle qu'une dernière ressource. Crébillon ne fait intervenir ni les dieux ni les prêtres ; il n'a ni spectres, ni tombeau, ni foudres, ni coffre sacré ; il ne se propose pas d'effrayer les enfans et les nourrices, et ne met en jeu que les passions de ses personnages : le merveilleux ne doit point se mêler à l'action tragique. La Sémiramis de Crébillon est une tragédie pleine de mouvement et d'intrigue; la Sémiramis de Voltaire est un opéra que la musique de quelques beaux vers ne peut défendre de l'ennui.

On a beaucoup vanté le mélange des remords et de la fierté dans le caractère que Voltaire a donné à Semiramis; on a même voulu le faire passer pour un trait absolument neuf, quoiqu'il soit visiblement emprunté de l'Athalie de Racine; mais Athalie, quoique d'abord alarmée par un songe, soutient beaucoup mieux son caractère, elle est étonnée sans être abattue: Sémiramis, au contraire, mêle à des terreurs ridicules, à des foiblesses indignes d'elle, une jactance et des fanfaronnades qui la dégradent encore davantage. Au moment même où elle paroît tremblante et comme anéantie sous la main d'un dieu vengeur, elle ne cesse de se répandre en hyperboles fastueuses son langage est celui d'une sotte vanité et non pas d'une véritable grandeur à l'entendre, elle est maîtresse du monde, toute la terre est à ses pieds cette Sémiramis ne savoit pas la géographie;

c'est ainsi que dans Alzire un petit cacique du Pérou se prétend souverain de l'univers. La harangue de Sémiramis, aux états-généraux, est surtout infectée de ces gasconnades. Un prince qui dans une assemblée de la nation feroit un étalage aussi ampoulé de ses faits et gestes, ne seroit défendu des sifflets que par le respect dû à la majesté royale. Les héros de Voltaire, en général, sont tous boursoufflés. Quoique né: sur les bords de la Seine, l'auteur avoit dans ses discours et dans ses écrits l'accent de la Garonne :

Tout a l'humeur gascone en un auteur gascon.

Dans aucune autre pièce, Voltaire n'a ouvert une plus large bouche; nulle part il n'a prodigué avec plus de faste les mots d'une toise, les vers ronflans, et cette vaine emphase qui s'allie si bien avec le style lâche, et prosaïque trois actes de lieux communs, pendant lesquels l'action ne fait aucun pas; une action froidement atroce; tous les ressorts de la terreur, toutes les machines du merveilleux, entassées, épuisées', pour ne produire que la fatigue et le dégoût; voilà ce qui justifie les sifflets dont ce salmis dramatique fut accueilli, avant que le fanatisme d'un troupeau d'éner gumènes eût asservi l'opinion, et ravi à la république des lettres toute espèce de liberté.

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G.

SEMIRAM

L.V...

Suite de l'Examen de SÉMIRAMIS.

ÉMIRAMIS est une tragédie de boulevards: n'est-il pas étrange que Voltaire se soit coiffé de cette fable

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:

monstrueuse au point de la reproduire dans Semiramis, après l'avoir essayée saus succès dans Eriphile, et d'y revenir encore dans Oreste dans ces trois pièces, il n'a fait qu'affoiblir et gâter l'Electre de Sophocle; ce qui fait bien voir que le théâtre grec n'étoit pas dans l'enfance, comme il a prétendu nous le faire accroire : quand un génie tel que Voltaire, après trois tentatives, reste si fort au-dessous d'un poète grec, c'est une marque bien évidente que les ́ tragiques grecs connoissoient l'art aussi bien, pour le moins, que les tragiques français dans toutes ses préfaces, dans toutes les discussions de littérature, Voltaire prononce avec assurance la supériorité du theatre français sur le théâtre grec, preuve incontes-table que sur une pareille question, il n'en savoit pas assez pour douter.pd.

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On demande si les spectres et les revenans peuvent trouver place dans une tragédie ? C'est demander en d'autres termes, si le merveilleux est aussi convenable à la nature de la tragédie, qu'à celle de l'épopée la question est décidée affirmativement par rapport aux Grecs par la raison que leurs spectacles étoient intimement liés avec la religion en France, au contraire, où la religion est absolument séparée des spectacles et même les réprouve; en France, où la plupart de ceux qui vont à la comédie ne sont inbus que très-superficiellement des idées religieuses, les miracles sont ridicules sur la scène, à moins qu'ils ne soient en quelque sorte historiques, et ne tiennent à la tradition, comme l'ombre de Samuel comme la conversion de Pauline dans Polyeucte; la vraisemblance exige que tous les incidens de nos tragédies soient dans l'ordre naturel cette même vraisemiblance n'étoit point blessée chez les Grécsi par les pro

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