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antique. Personne n'a moins connu que Voltaire le goût des anciens ce poète est éminemment moderne et français. La morgue sentencieuse, la manie philosophique, cette emphase, ce ton tranchant, cette ambition d'un auteur qui parle lui-même par la bouche de tous ses personnages, se trouvent dans sa Mérope comme dans ses autres pièces; c'est la manière qui lui est propre, et cette manière est très-nouvelle ce charlatanisme du dernier siècle est fort éloigné de l'antique. Le seul éloge que mérite Voltaire à cet égard, c'est de n'avoir pas défiguré son sujet par une intrigue d'amour c'est en cela seul qu'il s'est rapproché des Grecs : il est à la mode française dans tout le reste.

Nous ignorons quel caractère Euripide avoit donné à sa Mérope; celle de Voltaire n'en a point : tantôt elle est douce, généreuse, humaine, sensible. Elle dit à l'aspect d'un jeune inconnu :

Tendons à sa jeunesse une main secourable;

Il suffit qu'il soit homme et qu'il soit malheureux.

Tantôt c'est une cannibale, une antropophage, un monstre de barbarie : sur les plus foibles indices, sur les plus vagues soupçons, elle veut plonger ses mains dans le sang de ce même jeune homme si intéressant à ses yeux; c'est une bête féroce, une lionne à qui l'on a ravi ses petits. Il répugne à nos mœurs qu'une femme fasse l'office de bourreau; c'est calomnier le plus doux sentiment de la nature que de le confondre avec les passions les plus brutales: la douleur d'une mère ne ressemble point à la rage : une mère peut réclamer, ordonner le supplice du meurtrier de son fils; mais elle n'est point avide du plaisir de l'assassiner, de le poignarder elle-même. Quand je vois une

femme, une mère altérée de sang, exercer la vengeance d'un sauvage, elle ne m'intéresse plus, elle me fait horreur. Si cette situation se trouve chez les anciens, ce n'est pas cela qu'il falloit leur emprunter.

Je doute qu'Euripide ait jamais présenté aux Grecs une Mérope qui médite, qui prépare un assassinat; qui se fait amener sa victime, qui l'interroge, qui la fait lier à un autel, prend le poignard, et s'avance pour l'égorger. Peut-être sa Mérope, dans le premier moment de sa fureur, s'élançoit- elle sur le jeune homme qu'elle croyoit être l'auteur de ses maux. Quoi qu'il en soit, ce coup de théâtre si vanté, est aujourd'hui d'un effet médiocre ; il exige une combinaison qui réussit rarement; il faut que Narbas se trouve à point nommé en état d'arrêter le poignard de Mérope. Un pareil effet du hasard ne peut être imité avec précision: Mérope est obligée d'attendre, si Narbas arrive trop tard ; et s'il arrive trop tôt, il faut qu'il attende Mérope. Il en résulte pour les deux acteurs une gêne, un embarras qui nuit au naturel de l'action, et refroidit la scène. Lorsque je vis jouer Mérope, il y a cinq ans environ, ce fut Mérope qui attendit Narbas; ce qui fit presque rire les spectateurs: cette dernière fois, c'est Narbas qui a attendu Mérope. C'est dans la nature même, c'est dans l'explosion et le choc des passions qu'il faut choisir les coups de théâtre, et non dans des tours et des prestiges de joueur de gobelets. Plutarque dit cependant que cette situation excitoit autrefois parmi le peuple, les acclamations les plus vives; elle étoit donc mieux amenée, mieux motivée, et beaucoup mieux exécutée qu'elle ne l'est dans la Mérope de Voltaire.

Un des défauts les plus essentiels de cette tragédie, c'est de nous montrer trop long-temps Mérope dans les

mêmes alarmes : ses plaintes trop prolongées, se changent en criailleries qui fatiguent beaucoup plus qu'elles ne touchent. C'est le vice habituel de la manière de Voltaire; il ne sait point varier les situations, il ignore ces passages rapides d'un sentiment à un autre, qui réchauffent la scène et renouvellent l'intérêt : de là cette langueur d'une action qui se traîne ; langueur qui se fait sentir dans ses meilleures tragédies, et que les plus violentes déclamations ne peuvent ranimer.

Je reviendrai sur cette tragédie; mais comme on lui attribue surtout un grand mérite de style, je vais citer ici quelques vers, qui mettront le public en état de juger si ce mérite est bien réel :

Par les saccagemens, le sang et le ravage,
Du meilleur de nos rois disputer le rivage.

J'ai déjà observé que Voltaire avoit une facilité verbeuse: il entasse les mots, et grossit ainsi ses vers; mais cet embonpoint n'est que de l'enflure.

Les saccagemens, le sang et le ravage,

Saccagemens n'est ni élégant, ni harmonieux, ni usité.

L'empire est à mon fils; périsse la marâtre,
Périsse le cœur dur de soi-même idolâtre, etc.

Le cœur dur de soi-même idolâtre n'est que le commentaire de la marâtre, et ce commentaire est d'une expression malheureuse : le ton en est sententieux et plein de morgue. Mérope imite ces dévotes qui semblent ne faire le bien que pour avoir le plaisir de déchirer les femmes qui font le mal.

O perfidie! 6 crime! ô jour fatal au monde !
✪ mort toujours présente à ma douleur profonde !

O vain amas d'exclamations! ô verbiage emphatique! Comment le jour auquel le petit roi de la petite ville de Messène avoit été tué par trahison, pouvoit-il être fatal au monde, qui assurément ne savoit rien d'un pareil accident?

Qu'il vienne, que Narbas le ramène à mes yeux,
Du fond de ses déserts du rang de ses aïeuz.

Quel puéril arrangement de mots! Qu'est-ce que le fond de ses déserts, qu'on a l'air d'opposer au rang de ses aïeux? Et puis à mes yeux est une cheville : le ramène à mes yeux au rang de ses aïeux. O tyrannie de la rime, qui n'opprime que les poètes foibles!

Madame, il faut enfin que mon cœur se déploie :

Ce bras qui vous servit m'ouvre au trône une voie.

Les deux vers sont peu liés ensemble; m'ouvre au trône une voie est sec et dur; et Polyphonte qui dé ploie son cœur, paroît un peu ridicule.

Je sais que vos appas, encor dans leur printemps,
Pourroient s'effaroucher de l'hiver de mes ans.

Voilà un style bien fleuri pour un soldat tel que Polyphonte. C'est une malice à Voltaire d'avoir dit que les appas de Mérope étoient encore dans leur printemps, sachant bien que ce rôle seroit joué par des actrices dont les appas toucheroient presque à leur hiver, et commenceroient à effaroucher le spectateur.

Ce sang s'est épuisé, versé pour la patrie;

Ce

sang coula pour vous.

Ce sang coula pour vous

pléonasme, hémistiché

oiseux; car le sang versé pour la patrie a nécessaire

ment coulé pour la reine.

N'ayant rien fait pour nous il n'a rien mérité :
D'un prix bien différent ce trône est acheté.

Ne rien faire n'est pas un prix; et Polyphonte achetant le trône au prix de ses travaux et de ses services, ne peut pas dire qu'il l'achète d'un prix bien différent, puisque sa pensée est que ce prix est le seul auquel on puisse acheter le trône : c'est une impropriété de style.

Et vos fils malheureux,

Presqu'en votre présence assassinés par eux.

Les pronoms démonstratifs produisent rarement un bon effet à la fin d'un vers. Voltaire avoit cependant. l'habitude commode de les employer de cette manière: Je vois dans l'Orient cent rois vaincus par elle.

Maîtres du monde entier, s'ils l'avoient été d'eux.

Pour m'arracher des biens plus méprisables qu'eux.

En général, Voltaire n'a point connu l'élégance continue; son style va par bonds et par sauts. Après un élan généreux, il s'abat; les reins lui manquent': il est plein de chevilles, de répétitions, de mots parasites, d'hémistiches commandés par la rime, il n'a presque jamais le mot propre :

Ecarter des terreurs dont le poids vous afflige.

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Dieux! que plus on est grand, plus vos coups sont à craindre!

Dont le poids vous afflige: il n'y a point de convenance entre poids et afflige, et l'on sait que des terreurs ne réjouissent pas. Triste hasard: triste est une

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