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quoique rien ne soit aujourd'hui plus commun que le succès des pièces sifflées: la plupart de nos nouveautés ont commencé par là. Du Belloi aima mieux composer une seconde pièce que de faire siffler une seconde fois la première.

Zelmire fut aussi fortunée que Titus avoit été malheureux. Du Belloi, irrité contre les anciens principes dramatiques auxquels il attribuoit sa chute, avoit flatté dans Zelmire toute la corruption du goût moderne ; il y avoit entassé les coups de théâtre, les aventures les situations incroyables; en un mot, tous les prestiges, tous les piéges du charlatanisme théâtral; il avoit fait de Zelmire le roman le plus absurde; le public n'y pouvoit pas tenir : ce fut un succès forcé.

Jusque-là, imitateur de Métastase, du Belloi osa se confier enfin à son talent, et devint original. Il aura un nom dans les fastes du théâtre, pour avoir le premier fait réussir sur la scène un sujet national:

Vestigia græca

Ausus deserere, et celebrare domestica facta.

Après tant de héros grecs et romains, il introduisit des héros français et même des bourgeois qui valoient des héros. Il n'y a point d'exemple d'un enthousiasme pareil à celui qu'excita le Siége de Calais dans toute la France. Voltaire n'avoit jamais reçu tant d'honneur: le vieillard de Ferney, qui avoit épousé la Renommée, fut consterné d'une pareille infidélité, quoique les vieux maris soient assez sujets à cette disgrâce: tout le parti philosophique en fut horriblement scandalisé. D'ailleurs, cet amour, cette idolâtrie de la nation française pour les souverains, déplaisoit à des républicains, et déconcertoit leur politique; ils affectoient de rougir de ce dévouement, qu'ils appeloient

un fanatisme servile d'esclaves pour leur maître: c'étoit donc en vain que Voltaire avoit combattu le despotisme, si du Belloi le consacroit en faisant une vertu de la servitude.

Le triomphe de du Belloi ne dura qu'un moment, et empoisonna le reste de sa vie. La secte alors, occupée à corrompre l'Europe, ne pardonna jamais à l'auteur du Siége de Calais, ni sa gloire, ni ses opinions. Le moindre mérite de du Belloi étoit de faire des tragédies; il étoit honnête homme, point intrigant, point cons→ pirateur; il avoit le coeur français, il n'avoit puisé dans l'école de Voltaire que ses principes littéraires et dramatiques; mais sa morale, sa politique étoient celles de ses pères : c'étoit un homme à noyer. Les philo→ sophesy travaillèrent avec un zèle vraiment patriotique. Cette corporation, plus puissante que ne l'avoit jamaïs été celle des Jésuites, fournissoit alors des directeurs à toutes les bonnes maisons: ces directeurs firent agir leurs dévotes, et bientôt l'admiration pour le Siege de Calais devint un ridicule ; il fut clair pour tout Paris que le Siége de Calais étoit une mauvaise pièce, écrite en vers barbares, et qui n'avoit pu être applaudie que par des sots. La vérité est que le Siège de Calais est un ouvrage où il y a plus d'invention, de nerf et de verve, plus d'art et de profondeur que dans la plupart des prétendus chefs-d'oeuvre de Voltaire, qui n'ont que l'avantage d'une décoration plus élégante et d'un vernis plus brillant.

La Harpe, créature de Voltaire, nous apprend Iui-même, dans son Cours de Littérature, que la prodigieuse fortune du Siége de Calais étoit un des reproches qui venoit le plus souvent à la bouche de Voltaire, et l'un des souvenirs qui lui donnoient le plus d'humeur. Tous les Voltairiens partageoient

l'indignation de leur maître une estampe qui parut en 1767, représentant l'apothéose de M. du Belloi, acheva de les mettre en fureur; Diderot surtout écumoit de rage, et rien n'est plus comique que la grande colère de cet énergumène. « Quant à l'apothéose de M. du Belloi, dit-il, tant que Voltaire n'aura pas vingt statues en bronze et autant en marbre, il faut que j'ignoré cette impertinence. C'est un médaillon présenté au genie de la poésie, pour être attaché à la pyramide de l'immortalité. Attache, attache tant que tú voudras, pauvre génie si vilement employé ! je te réponds que le clou manquera, et que le médaillon tombera dans la boue. Une apothéose! Et pourquoi? pour une mauvaise tragédie d'un style boursoufflé et barbare, morte à n'en jamais revenir : cela fait hausser les épaules. Pour le portrait de du Belloi, mauvais de tout point; j'en suis bien aise ».

Quel style de charlatan! que d'hyperboles fanatiques ! quel ton grivois et brutal ! quelle joie féroce! parce que le portrait de M. du Belloi est mauvais de tout point. C'est donc là de la philosophie ! Quand on songe que ce jongleur Diderot passoit alors pour un inspiré et pour un prophète dans le beau monde, n'est-on pas tenté de s'écrier: Quelle époque de folie et de sottise, qu'on voudroit nous donner pour le siècle des lumières !

Miné par de sourdes persécutions, du Belloi se trouva tellement tombé dans l'opinion › que les comédiens refusoient ses pièces : il fut obligé de faire imprimer son Gaston et Bayard. Ce ne fut que d'après la lecture, que messieurs du Théâtre Français se déterminèrent à jouer cette tragédie. Le moment de la justice est arrivé, la littérature et la scène ne sont plus soumises à l'influence philosophique. On vient

d'accueillir avec transport la tragédie de Gaston et Bayard: la seconde représentation a été plus heureuse encore que la première. L'ouvrage a sans doute les défauts de l'école de Voltaire, la complication des incidens, l'abus de la pantomime et des coups de théâtre, l'invraisemblance des situations; mais les beautés l'emportent l'héroïsme des pensées et des sentimens, la grandeur des caractères, la force des combinaisons dramatiques, le contraste de la perfidie italienne et de la loyauté française, un certain élan de générosité, de courage et de gloire, un enthousiasme guerrier et la peinture admirable des mœurs chevaleresques, attachent et intéressent vivement le spectateur. On peut appliquer à cette tragédie ce que Quintilien dit des odes d'Alcée ; on y entend pour ainsi dire le son de la trompette: Sonat quodammodo bellicum.

G.

THEATRE DE VOLTAIRE.

XXXVI.

ŒDIPE.

Lettre de l'auteur au P. PORÉE.

L'AUTEUR 'AUTEUR nous apprend lui-même qu'il avoit d'abord composé cette tragédie presque sans amour; et, sur cet article, on peut le croire ; mais il assure aussi qu'il étoit alors plein de la lecture des anciens, et des Leçons du P. Porée. Quant aux leçons du P. Porée, je n'en doute pas; Voltaire fut certainement un excellent écolier, un écolier rare pour la lecture des anciens, cela mérite explication. Si, par les anciens il désigne seulement ses livres de classe, il est constant qu'il les entendoit et les expliquoit mieux qu'aucun de ses condisciples : s'il a dessein de nous persuader qu'au sortir du collége, il lisoit les poètes grecs à livre ouvert, c'est une gasconnade poétique dont il faut beaucoup rabattre : il est plus que probable que Sophocle étoit pour lui du haut allemand, et qu'il composa son Edipe sur la traduction de Dacier. Voltaire ne savoit point le grec, et savoit médiocrement le latin, comme tous les jeunes gens qui se hâtent, au sortir du collége, de se jeter dans le métier d'auteur : Racine, au contraire, étoit très-savant dans ces deux langues; et quand la différence de leur éducation et de leur caractère ne confirmeroit pas cette assertion, il suffit de les entendre tous les deux parler des anciens, pour juger que Racine les aime et les connoît XI. année.

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