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disculper de tout sentiment d'envie. « C'est à l'humeur, dit-il, et à la vengeance, qu'il faut attribuer ses torts envers les gens de lettres ». Assurément il ne vaut pas la peine de chicaner sur les motifs, lorsqu'à des causes basses et honteuses, on en substitue qui ne le sont guère moins.

Enfin, dans la querelle de Voltaire et de J.-J. Rousseau, l'admirateur du premier veut que ce soit le second qui ait tort. Voltaire, dit-il, après que J.-J. eut été décrété de prise-de-corps, à cause de la publication de l'Emile, lui offrit sa maison de l'Ermitage. Voici la réponse de Rousseau : « Je n'accepte point votre offre, monsieur, vous êtes un méchant homme. Vous vous occupez à pervertir mes concitoyens, tandis que je travaille à rendre les vôtres meilleurs ; vous donnez la comédie aux portes de Genève, ce qui n'empêchera pas que vous ne soyez enterré en terre qu'ils disent sainte, et que mon corps ne soit jeté à la voierie, comme un chien mort ». Il est certain que J.-J., qui travailloit à nous rendre meilleurs, auroit bien dû travailler à se rendre plus poli envers un homme qui lui faisoit une offre très-polie.

On voit que cet ouvrage n'est pas capable de nous faire revenir d'un sentiment que nous avons déjà émis sur le peu de mérite qui accompagne ordinairement les œuvres posthumes. M. de Saint-Ange, éditeur de celle-ci, y a joint, il est vrai, quelquesunes des siennes; mais hélas! c'est encore pis qu'une œuvre posthume : ce sont des lettres à Palissot et des réponses de celui-ci, où ces deux grands hommes se disent des douceurs, dont il étoit très-essentiel de rendre le public confident: ce sont encore d'étermelles adulations de Voltaire, de grands éloges de

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d'Alembert, de Thomas, de Diderot qu'on loue d'avoir fait les Bijoux indiscrets, éloge où il n'y a pas plus de goût que de décence. Cependant, comme Palissot n'a pas toujours loué les philosophes, SaintAnge le gronde un peu. Palissot s'excuse en disant qu'il n'a fait que la Police des Ruches; à quoi le défenseur des philosophes répond: « Je vous avois intenté procès à ce sujet, comme coupable d'une sévérité vexatoire. J'accusois en vous un juge qui avoit eu, en plus d'une occasion, acception d'abeille..... Gardons-nous de placer dans la classe des abeilles, ni la sigale au cri aigre (voilà du style imitatif), ni le papillon aux ailes frêles et brillantées (voilà du style sublime), encore moins la cloporte, née dans l'humidité des vieux plâtras (voilà du style familier), ni le stupide et triste hanneton, et bien moins encore la chenille, qui, faite pour ramper sur les choux, pénètre, en les souillant, dans les ruches des filles de l'air. (Je ne sais de quel style est ce gali❤ matias ).

A cette belle prose sont joints des vers qui en sont dignes. Ainsi, dans une ode intitulée les Larmes, M. de Saint-Ange nous dit:

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XXXIII.

Sur M. Moreau, historiographe de France.

JE suis surpris, Monsieur, que vous n'ayez pas

encore annoncé la mort de M. Jacob-Nicolas Moreau, ancien historiographe de France, et un des auteurs les plus distingués du dernier siècle. Un journal comme le vôtre, dépositaire des vrais principes, ne sauroit être indifférent à la perte de cet écrivain, qui les défendit avec autant de talent que de persévérance. L'obscurité à laquelle un grand âge et les malheurs des temps le condamnoient depuis plusieurs années ont sans doute fait ignorer sa mort, comme elle faisoit oublier sa vie. L'erreur même, qu'il avoit péri dans la révolution, et qui se trouve, consignée dans les Siècles littéraires, où il est dit qu'il fut décapité le 27 mars 1794, peut aussi avoir contribué à le faire perdre de vue; mais cet oubli ne peut rien ôter à sa gloire, et n'est même qu'une raison de plus de s'y intéresser. Peu d'hommes de lettres ont fourni une carrière plus laborieuse et en même temps plus utile; peu ont écrit sur plus d'objets avec plus de solidité et d'élégance. Il sut allier à-la-fois les fleurs de la littérature aux épines de la jurisprudence, et passer successivement des amusemens de l'esprit aux plus graves discussions du droit politique. Il avoit déjà débuté par l'Observateur hollandais, espèce de journal politique dirigé contre l'Angleterre, qui alors comme aujourd'hui, faisoit une guerre injuste à la France et où le sage penseur se montre autant que

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le bon écrivain, lorsqu'il fit paroître son Mémoire pour servir à l'histoire des Cacouacs, production vraiment piquante et originale, où respire la plus fine plaisanterie, et où les philosophes qui commençoient alors à faire secte, sont percés de part en part des traits réunis de la raison et du ridicule. C'est ce petit ouvrage qui donna l'idée de la comédie des Philosophes à M. Palissot, lequel jugeoit alors à propos de jouer les philosophes, dont il avoit quelque raison de n'être pas content, et qui encense ceux d'aujourd'hui, quoiqu'ils aient les mêmes principes; apparemment parce qu'il n'a plus les mêmes raisons; ce qui n'empêche nullement qu'il ne conseille de réimprimer les Cacquacs dont l'édition est épuisée oubliant aussi que s'il a fait dans le temps des petites lettres sur de grands philosophes, il a fait aujourd'hui, sur de bien petits philosophes, de grandes lettres. Et nous aussi nous conseillons la réimpression des Cacouacs, non-seulement parce que ce seroit une bien petite vengeance que de nous faire rire encore aux dépens de ceux dont les principes désastreux nous ont fait tant pleurer, mais aussi parce qu'on y verroit jusqu'à quel point l'auteur étoit doué du don de prophétie, combien il savoit de loin prévoir les orages, et combien le zèle qu'il montroit alors contre les novateurs venoit en lui, non de l'intérêt personnel, mais de l'intérêt public; non de l'esprit de parti, mais de l'amour de son pays.

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Cependant la plume de M. Moreau étoit faite pour de plus grands objets, et il étoit digne de lui de s'élever plus haut, en donnant au chef de la nation française et à son héritier de grandes et utiles leçons. C'est dans cette vue qu'il composa son livre intitulé: Les Devoirs d'un Prince réduits à un seul principe, ou XI. année.

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Discours sur la justice, ouvrage que les princes ne sauroient trop méditer, qui fait autant d'honneur à son éloquence qu'à son courage, et qui eût paru hardi dans une république. Et certes, c'est une chose assez honorable pour lui que de voir ainsi un simple particulier opposer hoblement la liberté de ses leçons aux flatteries des courtisans, et la sévérité de ses principes à ce torrent de corruption qui commençoit dès-lors à déborder de toutes parts, et devoit bientôt engloutir à-la-fois et les flatteurs et les flattés; mais cet ouvrage n'étoit que le prélude et comme l'esquisse d'un autre beaucoup plus important et plus étendu, qui doit lui donner un rang parmi nos plus célèbres publicistes. C'est celui qui a pour titre : Principes de Morale, de Politique et de Droit public, ou Discours sur l'Histoire de France, en 20 vol. in-8°.; entreprise véritablement grande, magnifique dépôt de nos principaux monumens historiques, où l'auteur parcourant depuis Clovis jusqu'à Saint-Louis, la suite des siècles, et les comparant les uns aux autres, démontre par les faits, ce qu'il n'avoit prouvé que par théorie dans son discours sur la justice; ét 'toujours le flambeau de T'expérience à la main, fait ressortir de toutes les pages de notre histoire cette vérité éternelle, que la morale est la loi fondamentale des états; qu'avec elle ils s'élèvent et prosperent, comme sans elle ils périssent et s'affaissent sans retour, et que l'iniquité est le fléau de celui qui la commet, ainsi que la ruine du pouvoir qui la sert; politique sublime qui garantit tout à-la-fois et l'autorité de ceux qui gouvernent, et la sûreté de ceux qui sont gouvernés! car M. Moreau ne sépara jamais la cause des peuples d'avec celle des princes. En défendant d'une main le pouvoir unique, il repoussoit de l'autre toute idée d'oppression. Tout,

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