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l'ameublement, ou les carrosses, l'argenterie et les porcelaines d'un ambassadeur. De Rome, de Berlin de Londres, M. de Nivernois informoit très-scrupuleusement ses correspondans de toutes ses migraines, d'un mal qui lui survenoit à un œil, ou à un bras, ou à un doigt; de toutes les médecines qu'il prenoit, et de leur effet. Ce soin étoit sans doute agréable aux amis de l'ambassadeur: il n'est point un tort dans M. de Nivernois; mais il le devient dans l'édition de ses Œuvres; car la postérité ne doit pas être fort curieuse d'apprendre que tel jour, en l'année 1756, ou en l'année 1762, M. le duc de Nivernois eut mal à la tête ou prit médecine: elle pourroit tout au plus conclure de tous ces bulletins, en comparant la santé de M. de Nivernois avec les affaires qu'il avoit à traiter, soit auprès du roi de Prusse, soit auprès du ministère anglais, que jamais ambassadeur plus malingre ne fut chargé de plus tristes affaires ; mais la conclusion est en elle-même assez peu instructive.

Les lettres qu'il écrivit pendant son ambassade de Rome, sont celles qui contiennent le moins de détails de santé, parce que M. de Nivernois étoit alors plus jeune et plus vigoureux; mais elles contiennent aussi moins de détails de politique, parce que des trois missions dont il fut chargé, celle de Rome est la moins importante. On trouve dans cette partie de la correspondance quelques lettres de Montesquieu, relatives à la censure, dont l'Esprit des Lois étoit menacé par la congrégation de l'Index: ces lettres ressemblent à toutes celles de Montesquieu, qui ont été recueillies; c'est-à-dire, qu'on y cherche en vain cet esprit vif et piquant, ce tour saillant et original cette précision animée, énergique, étincelante, qui caractérise ses écrits. On peut observer que Mon

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tesquieu ne veut absolument passer aux yeux de la cour de Rome, que pour un jurisconsulte français. M. de Nivernois étoit alors également en correspondance avec le marquis de Mirabeau, dont le style épistolaire n'est pas moins burlesque que celui de ses ouvrages. Pour peindre la vivacité de son caractère, il écrit à M. de Nivernois : « Je fais toutes les besognes avec tant d'action, que je ne saurois jamais répondre de mâcher une aile de poulet du côté droit ou du côté gauche de la mâchoire ». A l'exception de quelques traits touchant les principaux personnages de la cour de Rome, le reste de la correspondance ne roule guère que sur des objets relatifs à l'ameublement et au train de l'ambassadeur.

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La mission de Berlin fut très-courte, mais trèsembarrassante; et quelques témoignages d'estime et presque de tendresse que le roi de Prusse ait prodigués à M. de Nivernois, ce dernier ne joua auprès de Frédéric que le plus triste rôle : il sembloit n'avoir été envoyé que pour être de plus près témoin de la défection de ce prince, qu'il étoit chargé de confirmer dans notre alliance, et qui signa son traité avec l'Angleterre le jour même de l'arrivée de l'ambassadeur aussi les lettres de M. de Nivernois peignentelles sa confusion et l'espèce de mystification qu'il éprouvoit. Il écrit au ministre près la cour de Saxe : « Votre patriotisme auroit été pour le moins aussi ahuri que le mien, si vous étiez arrivé ici le 12 janvier, tandis que ladite convention se signoit à Londres le 6 ». Ailleurs, il cherche à se soutenir par une de ces maximes auxquelles on n'a recours que dans les besoins pressans « C'est par réflexion, dit-il, et non pas par sentiment qu'il faut se conduire dans les affaires : en politique, il ne faut pas se piquer toutes les fois que

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l'occasion y invite, mais seulement lorsque l'intérêt le requiert ». En somme, et quoi qu'en dise l'éditeur, qui veut opposer ces Lettres aux Mémoires de Frédéric et à ceux de Voltaire, ce n'est pas là une belle ambassade cette ambassade n'a produit qu'une triste correspondance; et quoique pendant le cours d'une mission si rapidement terminée, M. de Nivernois, n'ait pas eu le temps de se plaindre de sa santé, comme il falloit apparemment qu'elle fût toujours, pour quelque chose dans ses relations diplomatiques, elle servit de prétexte à son rappel. On conçoit à peine comment l'éditeur, qui paroît si jaloux de la gloire de M. de Nivernois, a pu se résoudre à réveiller des souvenirs qui sans doute ne ternissent point la mémoire de son auteur, mais qui sont désagréables.

Comment surtout n'a-t-il point senti qu'il ne falloit pas, dans ces circonstances, exhumer les monumens de ce funeste traité de 1763, dont M. de Nivernois ne fut que l'instrument passif et innocent, il est vrai, mais où la gloire de la nation étoit si terriblement compromise, et qui inspira quinze ans après, à Gilbert, ces vers admirables, dictés par l'indignation la plus noble comme la plus juste:

Vengez-nous : il est temps que ce voisin parjure
Expie et son orgueil et ses longs attentats;
D'une servile paix prescrite à nos États,
C'est trop laisser vieillir l'injure.

Dunkerque vous implore: entendez-vous sa voix
Redemander les tours qui gardoient son rivage,

Et de son port dans l'esclavage,

Les débris indignés d'obéir à deux rois?

On ne reconnoît pas ici M. François (de Neufchâteau); un zèle aveugle pour la mémoire de M. de Nivernois semble lui avoir fait oublier les sentimens

qui ont fourni tant de matière à son éloquence: après tout, de quelle utilité pourroient être ces lettres de M. de Nivernois? La santé de l'ambassadeur, laquelle sembloit suivre le cours des affaires, étoit plus déplorable que jamais, et il en parle aussi plus que jamais : avec la cunette de Dunkerque, c'est l'objet dont il est le plus souvent question dans cette correspondance. Les médecines de M. Nivernois, et cette malheureuse cunette, reviennent sans cesse : c'étoit sans doute un objet assez important que cette cunette; mais le lecteur en a les oreilles assourdies, et peut dire, comme M. de Nivernois lui-même : « La cunette, les écluses et les canaux ne me sortent pas de la tête ». On trouve dans cette partie du Recueil, quelques lettres de la chevalière d'Eon, qui étoit alors auprès de l'ambassadeur en qualité de secrétaire. Le style de cette chevalière est par fois un peu cavalier : une de ses maximes favorites, c'est qu'on ne sait pas ce qu'il y a de caché dans la matrice de la Providence. L'axiome n'est pas nouveau; mais l'expression est assurément neuve. Je suis étonné que l'éditeur, qui n'est point avare de remarques, n'en ait fait aucune sur cette femme qui parvint si long-temps à déguiser son sexe, et à qui M. de Nivernois donna lui-même la Croix de Saint-Louis, après la conclusion du traité, sans se douter que le chevalier qu'il armoit était une femme. Ses parens, désirant un fils, cachèrent son 'sexe, la vêtirent en homme, et lui en donnèrent l'éducation. Elle fit ses études au collége Mazarin. Le prince de Conti, connoissant sa facilité à s'énoncer, engagea Louis XV à la charger d'une mission auprès de l'Impératrice de Russie. Elle fit trois fois ce voyage de Paris à Pétersbourg, servit en 1761, comme aide-de-camp du maréchal de Broglie, et

força, avec 80 dragons, un corps de 800 hommes à mettre bas les armes. La question de son sexe devint à Londres le sujet d'un pari considérable, qui fut terminé au banc du roi, d'après ses propres déclarations. Louis XV lui ordonna de reprendre les habits de son sexe, et lui fit une pension de 12,000 liv.

Il falloit bien que quelque chose de romanesque égayât un peu l'ambassade de M. de Nivernois d'ailleurs si triste sous tous les rapports.

Je rendrai compte, dans un troisième extrait, des œuvres qu'il a publiées lui-même, et j'y trouverai quelque dédommagement aux critiques que j'ai été obligé de faire de ces deux tomes posthumes, que l'éditeur, pour me servir de ses expressions, auroit dû sacrifier à Vulcain et même à la Prudence. Y.

XXVI.

Fin du même sujet.

LE public peut se souvenir qu'un partisan de

Voltaire, voulant confondre, il y a quelques années, les critiques dont la témérité osoit attaquer les ouvrages de cet écrivain, s'écria d'un ton très-emphatique : « Lorsque d'un côté j'aperçois sur ma table une misérable feuille volante, et que de l'autre, je contemple dans ma bibliothèque les soixante-dix volumes de l'édition de Kelh, je ne puis m'empêcher de rire de pitié ». Ce partisan de Voltaire attachoit, comme on voit, une grande importance au nombre de volumes. Je suis, je l'avouerai, d'un sentiment bien différent : quand les ŒŒuvres d'un auteur sont très-volumineuses, je soupçonne toujours qu'elles sont

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