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secrets cabalistiques. Clitandre rend justice à la science

et à l'esprit :

Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes;
Mais j'aimerais mieux être au rang des ignorans
Que de me voir savant comme certaines gens.

C'est mon sentiment qu'en faits comme en propos,
La science est sujette à faire de grands sots.

Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

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Il est heureux que ce soit Molière qui dise cela : son autorité du moins a quelque poids vis-à-vis d'un tas de clabaudeurs qui s'érigent très gratuitement en champions de la science, et font, à l'envi l'un de l'autre, les petits Trissotins. Un autre que Molière seroit traité par ces messieurs, de fanatique, de vandale, de cagot, qui veut ramener l'ignorance pour rétablir la superstition.

Rien de plus serré, de plus piquant, de plus vigoureux que le dialogue qui s'établit entre Clitandre et Trissotin. Dans cette lutte, l'avantage du sens et de la raison est toujours pour Clitandre: enfin Trissotin, forcé dans ses retranchemens, s'avise de faire diversion en se jetant sur la cour: la cour de Louis XIV n'étoit pas favorable aux pédans, aux jongleurs scientifiques et littéraires; elle savoit estimer et récompenser le vrai mérite; mais elle n'étoit point dupe des charlatans. Trissotin étoit, à la vérité, de l'académie française; mais il n'avoit obtenu du monarque aucune grâce considérable, et il regardoit son obscurité comme une injustice de la cour.

La cour, comme l'on sait, ne tient pas pour l'esprit;
·Elle a quelqu'intérêt d'appuyer l'ignorance.

Clitandre alors justifie la cour, et tombe avec une force nouvelle sur les auteurs et les savans : son irrévérence pour une classe d'hommes qui se regardent comme les lumières de la société, les colonnes de l'état, les oracles de la raison éternelle, peu paroître aujourd'hui scandaleuse; elle n'en est pas moins fondée sur de puissans motifs, qui demandent une trop longue discussion, et que je suis obligé de remettre à une autre représentation des Femmes saG.

vantes.

XXI.

Fin du même sujet.

UNE des plus belles scènes est sans doute celle où

l'on voit un courtisan en opposition avec un pédant: c'est là que Molière a marqué, avec la force et la profondeur qui caractérisent son génie, la différence qui se trouve entre l'esprit et la science, deux choses très-bonnes par elles-mêmes, et l'abus qu'on en fait trop souvent, abus si fatal au bon sens, à la raison

et aux mœurs.

Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

C'est-là une de ces grandes vérités que la philosophie du dix-huitième siècle semble avoir méconnue : c'est dans ce siècle surtout qu'on a donné à l'abus de l'esprit et du savoir une importance ridicule qui, vers la fin, a dégénéré en folie. On diroit que Clitandre a voulu peindre les beaux- esprits du dix-huitième

siècle, lorsqu'il a dit avec tant de franchise et d'énergie:

Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l'État d'importantes personnes;
Qu'avec leur plume ils font les destins des couronnes;
Qu'au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions;
Que sur eux l'univers a la vue attachée;

Que partout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu'en science ils sont des prodiges fameux.

Ce qui sembloit à ces trois gredins s'est réalisé dans le dix-huitième siècle à l'égard de quatre hommes, dont trois surtout ont été des personnages marquans par leur état et par leur fortune. Voltaire, dans ses lettres, appelle toujours Rousseau de Genève un polisson, un gredin, parce qu'il étoit pauvre et n'avoit point de château ce qui n'est guère philosophique les trois autres avoient un château. Le château de la Brède, le château de Montbard, le château de Ferney, sont trois châteaux fameux; c'est là que trois écrivains de la plus haute importance, Montesquieu, Buffon et Voltaire, composoient ces ouvrages sublimes qui faisoient le destin des couronnes, attachoient la vue de l'univers épanchoient la gloire sur leur nom, et les faisoient regarder comme des prodiges de science. Cependant, le gredin Rousseau, s'il m'est permis de lui donner ici l'épithète dont Voltaire le gratifie continuellement, n'a pas acquis dans son grenier, moins de célébrité que les trois autres grands seigneurs dans leurs châteaux; mais il faut convenir que Voltaire, patriarche de la littérature et de la philosophie du siècle, et le plus grand propagandiste qui ait existé depuis Mahomet,

s'est élevé fort au-dessus de tous les auteurs ses contemporains: il avoit semé de grands germes de régénération; quand il est mort, en 1778, la France sa patrie, qu'il avoit endoctrinée avec un soin particulier pendant soixante ans, étoit si bien disposée, si mûre pour son salut, que pour la consommation du grand œuvre elle n'avoit plus qu'environ dix ans à attendre. Ce fut après ce court intervalle qu'elle vit s'écrouler tous les vieux préjugés, toutes les anciennes bases de la socité.

Au reste, ces quatre grands hommes s'estimoient peu et s'aimoient encore moins: ils étoient tous quatre rivaux, tous quatre amans de la Renommée, dont ils prétendoient ravir les faveurs à quelque prix que ce pût être. Après avoir très-exactement recueilli les témoignages sincères qu'ils ont rendus les uns des autres, je trouve, par le dépouillement du scrutin, que Voltaire étoit un charlatan, et Rousseau un fou: que Montesquieu faisoit de l'esprit sur les lois, et Buffon de la poésie sur l'histoire naturelle. Aucun des quatre, pour le bon sens, pour la bonne foi, pour la justesse et la profondeur des vues, n'est comparable aux grands écrivains du dix-septième siècle; et rien ne fait plus d'honneur à ce siècle que la sévère tirade de Molière car le siècle où l'on est sans pitié pour la sottise et pour le mauvais goût, est toujours celui où triomphent le mieux le génie et la sagesse. C'est üne erreur bien funeste d'attacher tant d'importance aux livres et à ceux qui les font, puisque sur cent mille ouvrages, à peine y en a-t-il quatre qui soient bons et utiles, et souvent pas un nécessaire ; tandis que les trois quarts et demi sont nuisibles, et ne sont excusables que parce qu'on ne les lit pas.

G.

འང་

HISTOIRE ET LITTÉRATURE DU XVIII. SIÈCLE.

XXII.

}

Correspondance inédite de madame de Châteauroux, précédée d'une Notice historique sur la Vie de madame de Châteauroux; par madame GACON-DUFOUR, membre de plusieurs sociétés savantes.

MADAME Gacon - Dufour, déjà connue dans les

lettres par la composition ingénieuse d'une nouvelle espèce de confitures, n'excelle pas de même dans la composition de ses Notices historiques : c'est que art d'écrire est plus difficile que l'art de faire du ratafiat avec du jus de prunelles. Ce n'est pas l'esprit qui manque à l'auteur; ce seroit plutôt, qu'on me permette de le dire, ce seroit plutôt le bon sens, ce sens commun qui devient de jour en jour plus rare, ce grossier bon sens, qui fuit les opinions étranges et bizarres, et qui craint moins la honte de penser comme la multitude, que le dangereux honneur d'être tout seul de son avis. Malheureusement madame Gacon - Dufour paroît ambitionner une manière plus éclatante, et un genre d'esprit moins vulgaire. Féconde en paradoxes piquans et hardis, elle renverse les réputations les plus illustres, et relève les plus décriées; elle méprise ce que tout le monde admire, elle admire ce que tout le monde méprise; et il faut que nous admirions nous-mêmes l'assurance avec laquelle elle éteint toutes les lumières de l'histoire. O le rare courage! O l'admirable méthode pour éclaircir

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