j'entends l'art de persuader effectivement, soit que l'on parle en public ou en particulier; j'entends ce qui fait qu'un avocat gagne plus de causes qu'un autre, qu'un prédicateur, humainement parlant, fait plus de conversions, qu'un magistrat a été plus fort dans les délibérations de sa compagnie, qu'un négociateur fait un traité avantageux pour son prince, qu'un ministre domine dans les conseils, en un mot, ce qui fait qu'un homme se rend maître des esprits par la parole ». FLEURY, Choix des Études, c. 33. La rhétorique n'est donc pas l'art frivole d'arranger des mots, de compasser des périodes, et d'orner des pensées vides de sens. La droite raison doit présider à tout, aux productions de l'esprit comme à la conduite ordinaire de la vie : il nous semble que M. Girard donne une idée juste, lumineuse, féconde de la rhétorique, en la définissant l'art de parler de chaque chose d'une manière convenable. C'est bien là, en effet, que se trouve tout le secret de l'éloquence. Supposez un orateur qui, dans ses discours, exprime en termes convenables ce qu'il convient de dire, qui parle un langage approprié au sujet aux personnes, aux temps, aux lieux; dès-lors il est vrai en tout, dans sa pensée, dans le style, dans le ton; il sait instruire, plaire et toucher ; rien ne lui manque de ce qui sert à éclairer, à convaincre, à persuader; il est éloquent. > Ce beau talent, la nature le donne, et le travail le nourrit, le développe, le porte quelquefois jusqu'à la plus rare perfection. On se tromperoit de croire que les préceptes puissent seuls rendre les hommes éloquens; mais pour me servir des expressions même de notre auteur, « inutilement aussi croiroit-on pouvoir se promettre des succès sans d'autres ressources que celles de la nature. Seul, il est vrai, le génie est capable des plus grandes choses; il enfante les nobles idées, les sentimens sublimes; seul, il peut faire briller des traits éclatans de lumière , et produire même, si l'on veut, des morceaux vraiment éloquens; mais seul, il ne peut répandre l'intérêt, la grâce et la variété; seul, il ne peut disposer avec intelligence, orner avec goût, exprimer avec justesse ses hautes conceptions; seul, il ne peut composer un discours qui soit vraiment beau dans toutes ses parties. C'est l'expérience de tous les siècles. Les hommes que la nature avoit le plus favorisés, à qui elle avoit départi les plus heureuses dispositions, n'ont acquis qu'une gloire médiocre quand l'étude des règles n'a point servi de base à leurs travaux litté. raires. Leur génie a pris son essor , à la vérité, et s'est élevé de lui-même; mais il n'a pu se soutenir, et il est tombé bientôt faute d'appui. Ils ont, par intervalle, vivement frappé les esprits et fortement ébranlé les cours ; mais le jugement, la raison et le goût, dont la perfection est certainement le fruit de l'étude des règles, ne présidoient point à leurs mouvemens, et ils ont fait des écarts et des fautes monstrueuses ». Lorsque M. Girard conçut le projet de donner une nouvelle rhétorique au public, il ne se dissimula pas qu'il existoit plusieurs ouvrages de ce genre, où l'on trouvoit des choses excellentes; mais les uns lui paroissoient trop volumineux , les autres trop savans ; la plupart informes et tronqués. « Un abrégé de préceptes clair, précis, méthodique, où le langage de l'art auroit de la noblesse et de la simplicité, où les vrais principes de la composition seroient présentés avec intérêt, et cependant mis à la portée des esprits ordinaires », voilà ce que cherchoit M. Girard, pour l'avantage des maîtres comme des élèves, et ce qu'il cherchoit en vain. Ce livre élémentaire, il forma le dessein de le composer lui-même, et nous osons penser qu'il a rempli sa tâche de la manière la plus heureuse et la plus honorable: élève de l'ancienne Université de Paris, où il termina ses humanités par le succès le plus éclatant; nourri de tout ce que peut avoir de meilleur la littérature ancienne et moderne, éclairé par l'habitude d'enseigner, dirigé par l'expérience le plus sûr des guides pour un bon esprit, M. l'abbé Girard a porté dans la composition de son ouvrage une grande maturité de jugement et une connoissance profonde de sa matière. Une diction sage, noble, élégante, pure, s'y trouve jointe à la justesse des pensées; en le lisant, nous nous sommes rappelés ces paroles de Fénélon : « Celui qui entreprendroit une rhétorique, devroit y rassembler tous les plus beaux préceptes d'Aristote, de Cicéron, de Quintilien, de Longin, de Lucien et d'autres célèbres auteurs. Leurs textes, qu'il citeroit, feroient les ornemens du sien. En ne prenant que la fleur de la plus belle antiquité, il feroit un ouvrage court, exquis et délicieux ». V. XVI. Epitre d'un Misantrope à un jeune homme qui entre dans le monde. JEUN EUNE homme, enfin tu sors de la nuit de l'enfance; Qui, sous des traits nouveaux, te montre le bonheur. Crains , en le poursuivant, de franchir la limite Je l'ai trop bien connu, ce monde dangereux , Hélas, j'ai fait de l'homme une étude cruelle !... Les ingrats m'ont trahi sous le masque du zèle. Un vil peuple d'amis courtisoit mon bonheur ; Ils disparurent tous aux jours de ma douleur. Long-temps, je l'avouerai, séduit par leurs caresses , J'abandonnai mon ame à leurs fausses tendresses, Long-temps j'avois pensé qu'une prompte rougeur Imprimoit sur le front le mensonge du coeur , Et qu'au sein d'un ami, qui s'ouvroit sans contrainio Je pouvois déposer mon espoir et ma crainte. Flatteuse illusion ! erreur des premiers ans Dont le prisme jamais n'abusa les méchays ! Tu jettes la vertu dans les piéges du vice, Et tu fermes les yeux aux bords du précipice ! Le temps, de la raison pous montrant le flambeau, Vient d'un monde imposteur éclairer le tableau.... Quel funeste réveil, lorsque l'expérience Dissipe tout-à-coup une longue ignorance, Lorsqu'un être sensible, abandonné, trahi , Reçoit le coup fatal de la main d'un ami !.... Le coeur ne guérit point d'une telle blessure. Penses-tu dans l'amour trouver moins d'imposture; Eh quoi ! si l'amitié, doux nectar que les dieux Trop avares pour nous de leurs dons précieux, Ne mêlent qu'avec peine aux poisons de la vie ; Si même l'amitié connoît la perfidie, Ce dieu que l'on nous peint se nourrissant de pleurs, Sous tes pas constamment sèmera-t-il des fleurs ? Ah! ne l'espère point !... Il rira de ta peine ; Son temple n'est pas loin de l'antre de la haine. Par des caprices vains sans cesse tourmenté, Aimeras-tu, dis-moi, cette fière beauté Qui voudroit, pour punir sa rivale importune , Enchaîner ses affronts au char de sa fortune ? A la prude Céphise il faut un Grandisson ; Mais, quel est son amant ? C'est un vil histrion. Tu prétends épouser la coquete Aspasie? Arrête... ou de ton cæur bannis la jalousie , Qui te fera douter même de tes plaisirs. L'hymen, qui dans ses noeuds captivant nos désirs, de l'époux la rançon adultère, |