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teur de diverses poésies; dans Sidoine Apollinaire dont les habitudes profanes reparaissent dans des poésies frivoles, dans la peinture des mœurs opulentes et relâchées des seigneurs gaulois, et qui sait cependant y associer l'énergie et le sérieux d'accens religieux et patriotiques; dans St. Remi, enfin, dont la piété sincère se mélange encore des souvenirs d'une éducation nourrie des lettres païennes. Une seule exception vient contraster avec ce ton général de la littérature: c'est St. Césaire, véritable apôtre, exercé dès son enfance par de longues macérations, étranger aux lettres profanes, persécuté pour son zèle, homme tout évangélique, homme de dévoùment, dont les prédications annoncent la fécondité d'une âme pleine de ferveur et de foi, et respirent ce caractère familier et populaire des premiers missionnaires du christianisme. Le caractère de St. Césaire, tracé avec chaleur, ressort par le parallèle avec les écrivains patens d'imagination et de style; il annonce déjà la couleur dont la littérature devra bientôt s'empreindre presque exclusivement.

En effet, à mesure que M. Ampère avance dans son récit, il nous montre cette culture païenne qui disparaît insensiblement; la barbarie avec toute sa rudesse domine dans l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours; en même temps le dernier écho de la poésie romaine se fait entendre dans les vers de Fortunat. Venu d'Italie, Fortunat charme par ses poésies platement emphatiques la cour des rois mérovingiens, et s'épuise en concetti frivoles, pour chanter l'espèce de sybaritisme où i ensevelit sa vie dans le monastère d'Agnès et de sainte Radegonde, dont il célèbre la table succulente et les jardins parfumés au moins autant que les vertus.

-Telle fut la littérature de la Gaule au cinquième et au sixième siècle. Dans les deux siècles qui suivent, l'esprit chrétien domine. Un genre de composition nouveau devient toute l'histoire, toute la poésie, tout le roman, en un mot toute la littérature de cet âge. Les derniers vestiges des lettres anti

ques ont à peu près disparu, les traditions des conquérans germains se sont effacées avec les croyances religieuses qu'ils ont abjurées en embrassant le christianisme. L'imagination, l'esprit littéraire se dirigent alors, et se réfugient pour ainsi dire, dans la tradition sacrée de ces temps, dans la légende.

M. Ampère attribue le grand développement que la littérature légendaire prit dans ces siècles, à la proscription prononcée par les hommes éminens de l'Eglise et particulièrement par Grégoire le Grand contre la littérature classique, puis à l'esprit religieux qui dominait les populations. Il en décrit le caractère et la formation.

La légende, espèce de Saga sacrée, est une tradition orale, qui transmise de bouche en bouche, et quelquefois de génération en génération, subit dans la route des modifications diverses qui la sortent du domaine de l'histoire pour l'amener dans celui de l'imagination, c'est-à-dire, de la fable et de la poésie. Au point de départ, vraie, dans ce sens du moins qu'elle est racontée de bonne foi, elle va s'altérant sans cesse, le plus souvent sans intention de la part de ceux qui croient simplement la transmettre et involontairement la transforment. Sincère à son origine alors même qu'elle invente, lorsqu'elle tombe dans la fiction, elle contient encore des élémens traditionnels, des élémens qui ont été donnés et acceptés pour vrais. De même, elle finit par le roman, par l'exagération et l'abus du merveilleux. Le merveilleux lui est sans doute inhérent; mais il y a des degrés dans le croyable, et la légende va parcourant ces degrés successifs, jusqu'à ce qu'elle arrive au merveilleux extravagant. C'est ce qui arriva au treizième siècle, quand l'imagination du moyen âge, travaillant et amplifiant sans mesure les légendes, produisit le recueil qu'on appelle la legende dorée.

Les détails que contiennent les légendes de l'époque dont nous nous occupons, annoncent particulièrement ce caractère de crédulité véridique. Il n'y a presque pas une de ces légendes

qui ne commence par une affirmation du récit qu'on va lire. Tantôt l'auteur a vu ou cru voir les faits qu'il raconte ; tantôt il en appelle à ceux qui les ont vus et qui peuvent les attester; tantôt il fait connaître ses sources, ses autorités, il explique par quelle voie la tradition lui est arrivée. Ce n'est pas tout; on mettait la sincérité légendaire sous la protection des chefs de l'Eglise, on demandait aux évêques d'attester solennellement que la légende était véritable. On prenait donc toutes les précautions possibles pour lui conserver son caractère de véracité.

La légende, née spontanément, subissait beaucoup de vicissitudes: tantôt on développait ce qui avait été publié en abrégé; tantôt on faisait un abrégé de ce qui avait été raconté avec beaucoup de détails; de prose elle était mise en vers, de vers elle était mise en prose; en un mot, l'activité des esprits métamorphosait perpétuellement la tradition. Les légendes n'étaient pas seulement racontées, mais transcrites et lues, et de là leur nom. Elles étaient lues dans les offices, dans les fêtes des saints, même quelquefois pendant les repas. On avait, pour propager les légendes, le motif d'attirer la dévotion populaire à l'église, ou à quelque tombeau célèbre. Pour arriver à ce but, il fallait répandre les légendes, et c'était une cause de plus ajoutée aux autres causes de leur diffusion.

La légende devait, sans doute, une grande partie de son charme et de sa puissance à la peinture d'une moralité idéale, et à l'intérêt des scènes de la vie qu'elle retraçait. Mais ce n'était pas là ce qui lui donnait le plus de prise sur les imaginations et sur les âmes. La légende agissait surtout en vertu de son caractère religieux. C'était en manifestant, sous toutes les formes et à toutes les pages, l'idée de l'assistance et de l'intervention divine, qu'elle exerçait toute son influence. Dans ces temps misérables, où la vie incertaine et précaire était traversée par tant de fléaux, menacée de tant de calamités et de périls, la légende devenait un réfuge pour les imaginations alar

mées, une consolation pour toutes les infortunes. Etait-on à la veille d'une invasion, souffrait-on d'une peste, d'une famine: on se racontait qu'une flamme avait paru au-dessus de telle église, sur la tombe de tel martyr, et cette flamme était considérée comme le présage d'une prochaine délivrance. La légende était un aliment pour la foi, un appui pour les âmes, en même temps qu'un charme pour l'imagination.

La légende se composait de deux portions bien distinctes. L'une était commune à toutes les légendes, elle offrait un type universel, invariable; c'était un certain nombre de faits merveilleux qui se retrouvent partout, fond pour ainsi dire conventionnel, qui a une sorte de réalité, car ce merveilleux traduit dans la langue de l'imagination l'influence et l'action véritable des hommes auxquels on l'attribue. Mais, outre ce fond commun, il y a dans les légendes une autre portion, une portion individuelle, qui caractérise chacune d'elles en particulier; cette portion présente un intérêt véritablement historique. Ici la diversité est infinie; chaque personnage représente, et est comme l'idéal des sentimens et des idées de son temps. En outre, une foule de détails de mœurs sont transmis par la légende; elle a souvent suppléé l'histoire. Du sixième au huitième siècle, la légende est presque toute l'histoire, comme elle est toute la poésie.

Deux sortes de compositions appartiennent encore à la littérature légendaire le récit des inventions ou translations de reliques, et les visions.

La légende chrétienne, tout imprégnée de l'idée d'immortalité, ne pouvait s'arrêter à la tombe. Aussi, presque toujours, une partie de la légende contient les merveilles opérées sur le tombeau ou par les reliques du saint. On y joint les miracles qui accompagnent la translation des reliques, translations fréquentes, qui semblaient des marches triomphales à travers les populations empressées, et fournissaient la matière de récits merveilleux dont la légende s'enrichissait encore.

Les visions n'ont pas toujours été de pures fictions. Souvent elles ont été produites par un état extraordinaire, un état cataleptique, dans lequel les hommes, à cette époque d'agitation et d'émotions fortes, devaient plus souvent tomber que les hommes de notre temps, et dont nous voyons encore cependant des exemples. Cet état extraordinaire de l'organisme, dans lequel les sensations, les perceptions humaines peuvent acquérir un développement dont la limite n'est pas encore connue, auquel on a donné le nom de magnétisme ou d'extase, a pu donner lieu à de véritables visions, à des hallucinations réelles, qui ont depuis servi de base ou de prétexte à des visions imaginaires. Ces visions, dont il y a une foule d'exemples, ainsi que des voyages fabuleux qui s'y rattachent, ont été reproduites bien des fois avant et pendant le moyen âge; nous en rencontrons plusieurs en France au neuvième siècle. Elles ont préparé la Divine Comédie; elles ont donné à Dante, non son génie, mais la matière sur laquelle il s'est exercé; non l'inspiration du poète, mais la forme dans laquelle il l'a réalisée. La tradition légendaire fournit à Dante la donnée puissante d'un voyage à travers l'enfer et le ciel. Il lui fallait cet espace immense pour se déployer à l'aise. Son poème n'est qu'une dernière épreuve de ces visions, de ces voyages conçus par l'imagination superstitieuse et accueillis par la .crédulité populaire; épreuve bien propre à faire oublier toutes les autres, et à les faire pardonner.

La légende a son point de départ dans le monachisme; elle est faite principalement par les moines et pour les moines : c'est la littérature des cloîtres. Aussi c'est de l'époque de St. Benoit, le grand fondateur du monachisme en Occident, c'est-à-dire du sixième siècle, que date le véritable élan de la littérature légendaire. Alors elle se constitue, elle prend complétement le caractère naïf qui lui appartient, elle est elle-même, et se sépare de toute influence étrangère. En même temps, l'ignorance devient toujours plus grossière, et par suite la crédulité s'ac

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