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DE GENÈVE.

Littérature.

HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE AVANT LE DOUZIÈME SIÈCLE, par J.-J. Ampère, professeur de littérature française au Collège de France; 3 vol. in-8°. Paris 1839. (Second article.)

Au début du livre deuxième de l'ouvrage de M. Ampère, nous assistons à l'invasion des Gaules par les barbares. Ces peuples, longtemps contenus entre le Danube et le Rhin par les légions romaines, sont tout à coup affranchis de cet obstacle. Stilicon se retire pour s'opposer en Italie à d'autres barbares conduits par Radagaise. Alors arrive le grand cataclysme: les flots accumulés débordent ; la Gaule démantelée s'ouvre aux Vandales, aux Alains, aux Suèves, et aux nations qu'ils entraînaient dans leur marche. Ces populations se répandent dans la Gaule, l'inondent, la traversent, se déversent sur l'Espagne. Trois nations s'arrêtent et fondent sur le sol gaulois des établissemens stables: les Goths, les Burgondes et les Francs.

Après avoir fait la part des dévastations occasionnées par cette irruption soudaine, on peut se demander quelle fut l’influence de la conquête, et si, à travers leur œuvre de destruction, les barbares n'ont point jeté de germes pour l'avenir, dans le sol qu'ils ravageaient.

Les trois nations qui se fixèrent dans les Gaules étaient de race germanique. Elles apportaient au sein d'une civilisation vieillie et dégénérée les mœurs des peuples du Nord, mœurs nouvelles qui devaient concourir, avec l'action morale et incessante du christianisme, à changer toute la physionomie, à transformer même jusque dans son essence intime l'état du monde social. -Trois sources antiques servent à nous fournir des renseignemens sur ce qu'étaient ces mœurs des populations germaniques: Tacite dans son traité de la Germanie, les traditions scandinaves, les lois des peuples teutoniques. Ces documens, interrogés avec soin et comparés aux faits que nous a transmis l'histoire, signalent chez les nations barbares du Nord, des dispositions particulières, des mœurs caractérisées, dont l'influence se fit sentir au sein des populations conquises, et dont les traces sensibles se retrouvent partout où la race germaine s'établit. Au premier rang se place le grand développement des qualités guerrières: les Germains ne faisaient rien sans armes; l'esprit belliqueux les accompagne partout, il empreint de ses couleurs l'inspiration de leurs poètes; ce qu'ils célèbrent avec le plus de passion ce sont les voluptés du carnage. A cette qualité guerrière s'associe le point d'honneur, qui n'est point seulement le courage, mais une sorte d'exaltation de la valeur. Le Germain se tuait s'il avait perdu son bouclier; il ne combattait pas un ennemi inférieur en force; il renonçait alors à son avantage et rétablissait l'égalité avant de livrer la bataille; il confiait au courage le soin et le droit de protéger l'honneur individuel; le duel est purement germanique. L'esprit d'aventures est aussi un trait distinctif du caractère des nations germaines; leurs courses sur mer, leur vie erranté, leurs expéditions lointaines entretenaient chez eux le mouvement des imaginations vers l'inconnu, vers les entreprises hasardeuses. Ajoutez, comme un trait important, le rôle de la femme chez ces peuples. Non-seulement elle n'était pas réduite, comme dans le monde antique, à un état qui tenait

de la servilité; non-seulement elle y était l'égale et la compagne de l'homme, mais de plus elle était l'objet d'une sorte de culte exalté; on attachait à sa personne l'idée de quelque chose de sacré; dans la religion des Scandinaves, la femme occupait un rang intermédiaire entre l'homme et les dieux, elle était l'organe de la divinité, une science mystérieuse et surnaturelle lui était attribuée. Enfin, chez les nations germaines, l'homme avait un sentiment très-fort de son indépendance personnelle; il suivait son chef à la guerre, mais il estimait ne lui devoir que son courage: l'obéissance chez lui ne descendait jamais jusqu'à l'asservissement. Sa dignité, comme homme valant par lui-même, pouvant par lui-même, comptant comme être libre, était toujours réservée. Tels étaient les traits les plus marquans du caractère des peuples Germains. Réunissez-les, placez-les sur le sol de la conquête, associez-les aux mœurs chrétiennes, et vous en voyez sortir la chevalerie et la féodalité.

D'autres influences accompagnent encore l'invasion et se montrent, chez les nations conquises, par leurs résultats sur l'état des esprits. La langue germanique se mélange avec la langue gallo-romaine, et cette fusion qui s'opère plus lentement dans le nord de la Gaule, s'accomplit rapidement dans le midi avec la fusion plus rapide aussi des populations elles-mêmes. Les superstitions des peuples du Nord, leurs traditions poétiques se répandent et se reproduisent dans les contrées méridionales sous des formes nouvelles, mais qui en gardent assez de traces pour déceler leur origine; on les retrouve dans les croyances populaires, dans les fragmens épiques, et le sol de l'Aquitaine et des contrées méridionales ne demeure pas étranger aux légendes odiniques des Goths, des Burgondes et des Francs.

Après avoir rendu compte de tous ces élémens nouveaux, après les avoir montrés en contact avec la civilisation ancienne, M. Ampère poursuit l'histoire du développement intellectuel et littéraire où ils devaient introduire de si pro

fondes modifications. Il nous fait assister au jeu combiné de ces élémens. Il offre le tableau de l'ancienne littérature en lutte avec les idées nouvelles, les nouvelles mœurs, les sent timens nouveaux, enseignés ou inspirés par le christianisme et la barbarie. On y voit le christianisme pénétrant la barbarie; la barbarie arrêtant, contrariant, modifiant, subissant enfin l'action du christianisme : tableau d'une grande complication, et où l'auteur réussit à introduire la clarté et l'intérêt.

M. Ampère s'occupe d'abord d'un certain nombre d'écrits contemporains de la conquête, entre lesquels il distingue surtout Salvien. Il s'arrête à l'ouvrage de Salvien sur le Gouvernement de Dieu, où l'auteur, justifiant la Providence divine, trace des tableaux pleins de vigueur et d'éloquence, de la dépravation romaine et des dévastations des barbares, dépeint la corruption et l'avilissement de l'Eglise, montre avec indignation les Romains, au sein de ces scènes de carnage, se précipitant dans les plaisirs, assiégeant les amphithéâtres et les spectacles publics, acceptant lâchement l'esclavage plutôt que de renoncer à leurs voluptés, recevant des Vandales et des Goths des leçons de chasteté et de vertu. Il peint d'un mot ce mélange de mœurs dissipées et de ruine : « le monde romain

meurt en riant. >>

De là, l'auteur passe à la littérature de la Gaule après l'invasion. Il la montre telle que l'avaient faite les restes de l'esprit antique et la double action du christianisme et du gouvernement des barbares. Alors encore la littérature se rattache à la forme romaine; les écoles publiques avaient péri dans la conquête, mais des écoles particulières étaient encore dirigées par les rhéteurs, et c'est là que se formaient à l'art païen les hommes éclairés de la Gaule chrétienne, ses docteurs, ses évêques, ses saints. Ce caractère se retrouve dans St. Avit, qui s'exerçait dans la poésie chrétienne, et qui dans son poème du Paradis perdu fraya la route à Milton; dans Ennodius, panégyriste de Théodoric, biographe de St. Epiphane, et au

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