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« plus cruelle. Des temps plus doux sont arrivés.... »

L'épigraphe placée en tête de ce procès n'est pas moins curieuse. Elle est tirée d'Ayrault, lieutenantcriminel au présidial d'Angers, sous Charles IX; ce temps n'était pas doux. Or, mon vieux criminaliste, qui avait réfléchi et savait son métier, dit, en parlant des accusations politiques intentées dans le feu des réactions: «< En pareil cas, en usent bien sagement << ceux qui laissent faire l'entrée aux autres, et se pré<< sentent en seconde ligne pour se justifier, parce que « les dernières accusations sont toujours plus douces « et plus mollement poursuivies. » Ainsi, vous voyez bien qu'ici le temps fait quelque chose à l'affaire. Aussi d'Argentré, dans un passage, dont je ne me rappelle pas le texte, mais dont j'ai bien retenu le sens, dit-il aux plaideurs: Prenez garde au temps où vous formerez votre action; vous perdrez tel procès dans tel temps et devant tel juge, et vous le gagnerez dans un autre temps et devant un autre tribunal; è sempre bene, comme disait l'avocat vénitien. En effet, les lois, les opinions, les devoirs, tout change avec le temps, tout marche avec lui...I

1 Voici ce texte que j'ai déjà cité dans ma Jurisprudence des arrêts, section x1, p. 103. Hoc in lite, aut accusatione instituendá, spectandum : quid tempora, quid conditio homiпит, quid judicantium mentes agitet. Quid cùm sic dicitur, illo judice vinces, illo excides eâdem in causá. Sunt quædam temporum opportunitates, et alia, quæ homini prudenti despici oporteat, antequàm res aggrediatur. (D'Argentré, ad art. 486, Const. Brit. p. 1731. édit. 1646).

Que les temps sont changés! Combien de faits s'expliquent par ce peu de mots! N'est-ce pas là l'unique base de tant de réhabilitations politiques? Combien d'accusés justifiés dans l'avenir, qui furent condamnés par leurs contemporains! Combien d'hommes dont l'unique titre aux honneurs et aux places, est d'avoir subi à une certaine époque quelque condamnation! Et réciproquement, combien de fonctionnaires, placés quelque temps au sommet des honneurs réservés à l'accusation et aux sévérités, criminelles, recoivent un peu plus tard l'ineffaçable surnom de Jefferies et de Laubardemont! Telle est la force du temps; tels sont les priviléges de l'histoire, dont il ne faut pas méconnaître les droits. La fonction d'historiographe, autrefois érigée en titre d'office, n'a point été transportée aux tribunaux; et la maxime res judicata pro veritate habetur, n'a pas lieu pour les faits historiques. Cela serait trop commode pour les gouvernemens. On ferait assigner les gens, pour ouïr dire que tel fait s'est passé de telle ou telle façon, et il n'y a pas de bataille perdue par le droit canon, qui ne pût être regagnée par le Code pénal.

Vous voyez, Messieurs, à quoi toute cette discussion se réduit. Le sursis à l'exécution ne vint pas... Est-il venu? non. Les temps étaient changés!... L'étaient-ils en effet? oui; ce n'était plus 1793; à moins qu'en interprétant la phrase, en y mettant ce qui n'y est pas, on ne lui donne un sens contre lequel il m'est sans doute permis de protester par une interprétation contraire.

L'accusation ramenée à ces termes, vous excuserez aisément M. Jouy de s'être apitoyé sur la mort de deux frères d'armes dont la condamnation appartient à des temps et à un mode d'administration déjà loin de nous. C'est à vous, magistrats, vous dont l'honneur s'est placé à son véritable poste, en se réfugiant au sein de vos consciences; en se manifestant par des actes de justice, et non pas en se produisant avec affectation au dehors par les actes extra-judiciaires d'un zèle ambitieux, pétulant et irréfléchi; c'est à vous dis-je, qu'il appartient de décourager cette ardeur de poursuites dont la police obsède et fatigue incessamment la justice; poursuites, qui n'ont trop souvent pour effet que de mettre en lumière ce qu'il eût été prudent de laisser ignoré.

Ah! Messieurs, ce n'est point par la prison que l'on convertit des esprits cultivés et qu'on persuade les auteurs; c'est un homme de lettres qui répondit au tyran de Syracuse : Qu'on me remène aux carrières. Vous connaissez trop le cœur humain pour espérer de commander à la pensée avec des fers. Oubliez donc le courroux de M. l'examinateur; demeurez sourds aux instances, aux sollicitations du chef de la police; et ceux qui ont cru que le moment était venu de profiter de votre indépendance, apprendront encore une fois, par le noble usage que vous savez en faire, ce que leur a déjà répondu votre premier président, dans une occasion mémorable : La Cour rend des arrêts, et non pas des services.

FIN DU TOME CINQUIÈME DU BARREAU MODERNE.

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